Les archives du Forum Catholique
Forum | Documents | Liens | Q.F.P. | Oremus

Les archives du Forum Catholique

JUILLET 2003 A MARS 2011

Retour à la liste des messages | Rechercher

Afficher le fil complet

Les deux Témoins Imprimer
Auteur : Jean Ferrand
Sujet : Les deux Témoins
Date : 2010-03-14 18:48:35

2. Les grandes énigmes de l'Apocalypse.

3. Les deux Témoins.

Pour Prigent les deux Témoins d’Ap 11,1-14 ne sont que des figures symboliques, la personnification de la mission prophétique confiée quelques lignes plus haut (ch. 10) à l’auteur de l’Apocalypse. La preuve, c’est que ces Témoins s’adressent au même public que devait le faire Jean. « L’appel à prophétiser sur des nations, peuples, langues et rois (d’Ap 10,11) semble bien trouver un écho dans l’énumération des gens qui ont été tourmentés par la prédication et l’action des deux Témoins (Ap 11,9 : peuples, tribus, langues, nations). » (Page 260).

Preuve fragile. Pourquoi alors deux Témoins ? Jean les décrit sans doute, dit le commentateur, en pensant à Moïse et Elie, ceux mêmes qu’on avait vus aux côtés du Christ sur la montagne, et qui résument à eux seuls tout l’Ancien Testament. Sans aucun doute sont-ils de dignes représentants de la mission prophétique, qui est, selon Jean « le témoignage de Jésus » (Ap 19,10).

Ou encore Jean a-t-il pensé aux deux oliviers de Zacharie, qui symbolisent Josué et Zorobabel, les chefs du retour d’exil. (Cf. Za 4,3.14).

Oui, Jean y a pensé comme à des modèles, comme à des « types » (typologie), car il emprunte constamment son langage à la Bible. Il cite dans ce passage, parfois mot à mot, l’Exode, les Rois, Ezéchiel, Daniel et Zacharie. Mais ce ne sont-là que des « types », des figures, des anticipations. Depuis l’avènement de Jésus-Christ nous sommes passés dans le temps de la réalisation, et nous avons quitté celui de la figure. Les prophéties sont accomplies dans les personnes du Messie et de son Eglise. Ni Moïse, ni Elie, ni Josué, ni Zorobabel n’ont quelque chose à faire dans le nouveau Temple de Dieu qu’il s’agit de mesurer (cf. Ap 11,1), ni dans la nouvelle Ville sainte (cf. Ap 11,2), qui sont l’Eglise. Aucun d’eux ne fut martyr. Aucun n’a foulé le sol de la ville de Rome, où se situe nettement l’apostolat des deux Témoins. Aucun n’y mourut. Aucun d’entre eux n’a eu son cadavre exposé sur la place de cette grande Cité. (Cf. Ap 11,8).

Jean a emprunté son langage à maints endroits de l’Ancien Testament, et il en composé un tableau poétique, à la fois, et véhément, comme un peintre élabore ses couleurs sur sa palette puis les dispose finement sur la toile.

On voit où je veux en venir. Jean dépeignait une réalité très récente et très pathétique, le martyre à Rome des deux coryphées de l’Eglise, Pierre et Paul, ses collègues en apostolat, et qu’on venait tout juste de lui rapporter. L’illustre « témoignage de Jésus », rendu par le sang, des deux plus grands prophètes, après Jésus, des deux plus grands oliviers, des deux plus grands flambeaux. Ces Témoins illustres furent jumeaux dans le martyre. C’est pourquoi ils sont nommés « deux » (cf. Ap 11,3.4). Ils sont jumeaux à jamais dans le souvenir de l’Eglise, jumeaux dans leur naissance au ciel (cf. Ap 11,12). Encore aujourd’hui on les fête ensemble (le 29 juin), malgré la différence de leurs tempéraments, et de leurs charismes, qu’on se plaît souvent à souligner.

Certes, on ne manquera pas de soulever une difficulté textuelle à cette opinion, que Pierre et Paul seraient les deux Témoins d’Ap 11. Prigent l’énonce en ces termes : « Le lecteur mesurera toutes les difficultés que soulève cette identification : la grande cité que l’on peut nommer Sodome et Egypte, c’est le monde [ou l’endroit] dans lequel Jésus a été crucifié. » « Là où leur Seigneur aussi fut crucifié » dit en propres termes l’Apocalypse (11,8).

Difficulté redoutable dit Prigent. J’ajouterais : difficulté insurmontable. Mais l’aporie du texte subsiste, même si l’on ne reconnaît pas Pierre et Paul dans les deux Témoins. Comment Jérusalem pourrait-elle être qualifiée de Grande Cité (cf. Ap 11,8) alors qu’ailleurs dans l’Apocalypse cet attribut désigne invariablement Rome, la capitale de l’empire païen, sous le nom de Babylone ? (Cf. Ap 14,8 ; 16,19 ; 17,5.18 ; 18,2.10-21).

La Bible de Jérusalem, dans son édition originale, supposait que ces mots : « là où leur Seigneur aussi fut crucifié » fussent une glose, introduite à tort dans le texte. Pour ma part, je proposerais une correction moins drastique en suggérant qu’il faille lire : « comme leur Seigneur aussi fut crucifié », et non pas « là où leur Seigneur aussi fut crucifié ». «Hopôs», de la même manière que, en grec, et non pas «hopou», là où. Paléographiquement les deux mots sont très proches. On peut présumer une erreur de scribe.

Ou encore on pourrait comprendre, en poussant jusqu’au bout la logique de ce chapitre 11 de l’Apocalypse : puisque Pierre et Paul ont établi à Rome, ville païenne, le nouveau Temple spirituel , la nouvelle Ville Sainte (versets 1 et 2), nous aurions donc à Rome la nouvelle Jérusalem. En ce sens-là, ce sens mystique, on peut dire que Jésus lui-même y fut crucifié. De même Irénée parlera de « l’Eglise très grande, très ancienne et connue de tous, que les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul fondèrent et établirent à Rome » (Adv. Hae. III, 3, 2) laissant presque entendre que l’Eglise hiérosolomytaine avait toute entière déménagé à Rome.

Mais cette dernière explication me paraît amenée de trop loin. Je me rabats de préférence sur l’erreur de scribe. Elle me semble plus obvie. C’est cette solution que je préconise dans l’article de Wikipédia.

Le père Mariana, jésuite espagnol du XVIIe siècle, fut le premier à avoir l’intuition de reconnaître Pierre et Paul sous la figure des deux Témoins et des deux oliviers d’Ap 11,1-13. (Scholia in Vet. et Nov. Test., 1624).

Cette hypothèse a le mérite de jeter un jour quasi définitif sur une péricope controversée de l’Apocalypse. De plus elle s’insère dans un ensemble très cohérent. Voici le commentaire que j’étais amené à donner de ce passage, en 2005, sur mon site. La traduction de l’Apocalypse est de mon crû.

Excursus III. Les deux témoins : 11,1-14

(11,1) « Puis on me donna un roseau, semblable à une baguette, en me disant : « Lève-toi et mesure le sanctuaire de Dieu, l’autel et les adorants qui s’y trouvent. [Lève-toi pour mesurer les dimensions prises par l’Eglise de Dieu dans le monde contemporain (de Jean), le nombre et le mérite des croyants qui s’étaient agrégés à elle, depuis sa fondation. Déjà cette Eglise se trouvait-elle répandue dans l’univers connu, de l’orient à l’occident, et les foules commençaient-elles d’envahir ses parvis.]

(11,2) Quant à l’atrium, qui est à l’extérieur du sanctuaire, évite-le, et ne le mesure pas, car il fut donné aux nations : [Comme le Temple de Jérusalem l’Eglise naissante possédait, elle aussi, son parvis des gentils : l’espace de ceux qui avaient entendu parler d’elle, mais ne l’avaient pas encore rejointe par le baptême.] la ville sainte, elles la fouleront pendant quarante-deux mois. [Ils fouleront la nouvelle Jérusalem, comme on foule du raisin dans la cuve : ils la persécuteront pendant trois ans et demi. C’était en effet à peu près le temps que devait durer la persécution de Néron : de fin 64 à début 68. Ce délai typique d’une persécution était emprunté au prophète Daniel (cf. Dn 7,25 ; 9,27). Il caractérisait, chez ce dernier, la persécution d’Antiochus Epiphane.]

(11,3) Mais je donnerai à mes deux témoins [Les deux témoins, les deux martyrs par précellence : Pierre et Paul.] de prophétiser pendant mille deux cent soixante jours, [Durée approximative, ou symbolique, du ministère de Pierre et de Paul, à Rome, venus pour y fonder l’Eglise de Dieu.] vêtus de sacs. » [Portant l’habit classique des prophètes, prêchant dans la pauvreté et le dénuement, dans la simplicité, et même travaillant de leurs mains comme Paul s’en faisait gloire à plusieurs reprises dans ses lettres (cf. 1 Co 4,12 ; 2 Co 12,13 ; 1 Th 2,9 ; 2 Th 3,8).]

(11,4) Ce sont les deux oliviers et les deux flambeaux, qui se tiennent devant le Seigneur de la terre. [Les nouveaux Josué et Zorobabel, ceux qui avaient été choisis pour restaurer le Temple de Jérusalem (cf. Za 4,3.14) ; les nouveaux Moïse et Aaron.]

(11,5) Et si quelqu’un veut leur nuire, un feu sort de leur bouche et dévore leurs ennemis ; [Leur parole prophétique brûlante comme une flamme, celle même qui était recueillie dans leurs épîtres respectives.

Spirituellement, Pierre et Paul se dressaient comme des géants redoutables. Leur stature dominait la terre, même si, physiquement, ils se présentaient comme des êtres chétifs et vulnérables.

L’écrivain sacré les dépeignait en référence aux géants de l’Ancienne Loi : Moïse et Elie, qui avaient éduqué le peuple de Dieu.] et si quelqu’un avait voulu les frapper, ainsi lui faut-il être tué.

(11,6) Ils ont pouvoir de fermer le ciel, de sorte qu’il ne tombe plus de pluie, durant les jours de leur prophétie. [Comme Elie (cf. 1 R 17,1)] Ils ont aussi pouvoir sur les eaux, de les changer en sang, et de frapper la terre de tout fléau, [Comme Moïse (cf. Ex 7,17 ; 11,10)] autant de fois qu’ils l’auront voulu.

(11,7) Mais quand ils auront fini leur témoignage, la bête, qui surgit de l’abîme, fera la guerre contre eux, les vaincra et les occira. [La Bête n’était autre que l’empereur Néron, qui nous serait longuement présenté en 13,11-18. Il était le premier des Antéchrists, et leur type même, en tant que meurtrier de Pierre et de Paul, les deux coryphées de l’Eglise. Le premier aussi il avait lancé une persécution générale contre l’Eglise en vue de la détruire.]

(11,8) Et leurs corps sur la place de la grande cité, qu’on appelle, spirituellement, Sodome et Egypte, [Ces sobriquets ne pouvaient désigner que Rome. Elle était Sodome par son péché ; elle était Egypte par l’oppression qu’elle faisait subir au nouveau peuple de Dieu ; elle était Egypte aussi par les plaies dont elle était menacée, plaies qui nous seraient décrites en détail dans le cinquième cycle : les Sept fléaux des sept coupes (cf. 15,1 --- 16,21).

La Grande Cité n’était autre que la maîtresse actuelle des nations, celle qui serait bientôt appelée Babylone (cf. 14,8).] là où leur Seigneur aussi fut crucifié. [Beaucoup de commentateurs avaient souligné l’incohérence de cette incise, qui nous transportait soudain à Jérusalem. Mais jamais Jérusalem ne fut qualifiée de Sodome ou Egypte, encore moins de Babylone. Dans la bouche de Jean ç’eût été des insultes.

Infidèle, meurtrière des prophètes, et même du Grand Roi, vouée à être foulée aux pieds par des païens, Jérusalem n’en demeurait pas moins la Cité de Dieu.

A la fin de l’Apocalypse, on la verrait descendre du ciel, toute belle, telle une fiancée parée pour son époux (cf. 21,2).

Aussi la Bible de Jérusalem (dans son édition de 1956) suggérait-elle que l’incise en question fût une glose – et une glose erronée – introduite plus tardivement dans le texte. Pourtant, il fallait reconnaître le fait : tous les manuscrits de l’Apocalypse contenaient ce membre de phrase, avec quelques variantes minimes qui n’en changeaient pas la signification.

Le plus simple, d’après nous, était d’accepter ici une légère correction du texte reçu. Il fallait lire, croyions-nous :

Hopôs kai ho kurios autôn estaurôthê.

« De la même manière que leur Seigneur aussi fut crucifié. »

Et non pas :

Hopou kai ho kurios autôn estaurôthê.

« Là où leur Seigneur aussi fut crucifié. »

‘Hopôs’ au lieu de ‘Hopou’.

Paléographiquement les deux mots étaient proches ; écrits en onciales bibliques, en usage au premier siècle de notre ère, cela donnait :

opôc au lieu de : opoy

Il suffisait donc que l’oméga et le sigma (dans le premier mot) eussent été accidentellement rapprochés pour que la confusion fût possible.

Dans le style d’écriture fleurie, utilisé précisément dans les années du règne de Néron, une confusion de ce genre était encore plus plausible. Une mauvaise lecture se serait introduite de très bonne heure dans la tradition du texte, et serait passée de là dans tous les manuscrits.

Mais quel que fût le cas de figure envisagé, la leçon habituellement retenue de l’incise : « Là où leur Seigneur aussi fut crucifié » était indéfendable.]

(11,9) Et des gens venus des peuples, des tribus, des langues et des nations contemplent leur cadavre pendant trois jours et demi ; sans qu’il soit permis de mettre leurs cadavres dans le tombeau. [Nous apprenions ici un détail historique, inconnu par ailleurs, mais fort vraisemblable : les cadavres de Pierre et de Paul eussent été exposés à la curiosité ou même à la vindicte publiques, au beau milieu de « la place de la Grande Cité » (11,8), pendant un temps assez long, avant qu’il fût permis de les ensevelir.]

(11,10) Et les habitants de la terre se réjouissent à leur propos, et se congratulent ; ils échangeront des présents, car ces deux prophètes avaient tourmenté les habitants de la terre. [Les païens, mais aussi tous les démons, s’éjouissaient de voir périr les deux hérauts de la nouvelle, et soi-disant perverse, doctrine. N’oublions pas que la rumeur publique, alimentée soigneusement par Néron, attribuait aux chrétiens l’incendie de Rome, et encore bien d’autres méfaits. On les soupçonnait de ‘haine du genre humain’ comme l’écrirait plus tard l’historien Tacite.]

(11,11) Mais après les trois jours et demi, un souffle de vie entra en eux et les remit sur pieds ; alors un grand effroi tomba sur ceux qui les regardaient.

(11,12) Et ils entendirent une voix puissante, venant du ciel, leur disant : «Montez ici !» Ils montèrent donc vers le ciel dans la nuée, et leurs ennemis les regardaient. [Passés les trois jours et demi, Pierre et Paul ressuscitaient « en esprit », et leurs âmes montaient au ciel à la confusion de tous les démons. Jamais Pierre et Paul n’avaient été plus vivants, et spécialement à Rome, que depuis leur martyre. Ils survivaient dans cette Eglise qu’ils avaient fondée. Leur esprit planait sur les lieux vénérés de leur sépulture.]

(11,13) A cette heure-là il y eut un violent séisme, et le dixième de la ville s’écroula et furent tuées dans ce séisme sept mille personnes ; et les survivants furent frappés d’effroi et rendirent gloire au Dieu du ciel. [Ici était évoqué un tremblement de terre, qui aurait fait sept mille victimes dans une Rome déjà ravagée par l’incendie. Peut-être fut-ce un désastre plus moral que physique…]

(11,14) Le deuxième « Malheur » est passé ; voici que le troisième « Malheur » vient, vite. »


La discussion

 Pierre Prigent et l'Apocalypse, de Jean Ferrand [2010-03-09 13:35:25]
      Le plan de l'Apocalypse, de Jean Ferrand [2010-03-09 14:25:06]
      Le Millenium, de Jean Ferrand [2010-03-11 14:07:20]
      Les 24 anciens, les 4 animaux, et les 7 esprits, de Jean Ferrand [2010-03-12 20:59:02]
      Les deux Témoins, de Jean Ferrand [2010-03-14 18:48:35]
          Il semble pourtant..., de Athanasios D. [2010-03-14 19:04:39]
              Il n'y a pas, de Jean Ferrand [2010-03-14 19:23:20]
      Le petit livre et les sept tonnerres, de Jean Ferrand [2010-03-15 13:51:06]
      La Femme, de Jean Ferrand [2010-03-17 10:02:22]
      Le Dragon, la première Bête et la deuxième Bêt [...], de Jean Ferrand [2010-03-19 20:34:41]
      666, de Jean Ferrand [2010-03-19 21:14:17]
      Le sixième Roi, de Jean Ferrand [2010-03-20 09:31:58]
      3 ans et demi, de Jean Ferrand [2010-03-20 13:33:50]
      Les cent quarante-quatre mille, de Jean Ferrand [2010-03-20 16:41:19]
      La première résurrection, de Jean Ferrand [2010-03-21 08:32:32]
      Le second et dernier combat eschatologique, de Jean Ferrand [2010-03-21 14:23:52]
      Harmaguedon, de Jean Ferrand [2010-03-21 18:54:43]
      Gog et Magog, de Jean Ferrand [2010-03-22 12:18:45]
      Les sept Eglises, de Jean Ferrand [2010-03-23 11:44:37]
      Merci, de Personne [2010-03-24 11:42:26]
      Les sept sceaux, de Jean Ferrand [2010-03-24 14:53:06]
      Les sept trompettes, de Jean Ferrand [2010-03-24 21:46:58]
      Les sept coupes, de Jean Ferrand [2010-03-25 21:06:41]
      La Jérusalem céleste, de Jean Ferrand [2010-03-26 16:49:51]
      L'historicité de l'Apocalypse, de Jean Ferrand [2010-03-27 21:02:18]
      La doctrine de l'Apocalypse. Son autorité, de Jean Ferrand [2010-03-28 20:54:32]