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JUILLET 2003 A MARS 2011

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La doctrine de l'Apocalypse. Son autorité Imprimer
Auteur : Jean Ferrand
Sujet : La doctrine de l'Apocalypse. Son autorité
Date : 2010-03-28 20:54:32

4. La doctrine de l’Apocalypse. Son autorité.

Pour un catholique, il ne fait aucun doute que le rapport du lecteur à l’Apocalypse ne peut être que la déférence due à la parole de Dieu, et à son autorité. On peut certes la commenter, ou l’interpréter, et encore en tenant compte du sensum Ecclesiae, le sens de l’Eglise, et de la concordance générale des Ecritures entre elles, qui ont toutes un même auteur divin. On ne peut en aucun cas la critiquer, ni même suspecter les intentions de l’hagiographe, l’auteur humain, lequel écrivait sous le contrôle de l’Esprit. On doit en accepter l’enseignement, ou encore les sentiments, comme valides et faisant pleinement autorité.

Comme l’enseigne Vatican II : « Dieu a choisi des hommes auxquels il eut recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à ses désir et cela seulement.» (Dei verbum, 11). Cela est vrai de Jean dans l’Apocalypse, comme cela sera encore plus vrai de lui, avec son IVe évangile, d’ailleurs prophétisé par l’Apocalypse (cf. Ap 10).

Que si l’on voulait résumer d’une phrase le kérygme, ou l’enseignement primaire, de ce petit livret qu’est l’Apocalypse, on dirait : le Jésus-Christ cosmique est ressuscité ; il entraîne avec lui toute l’humanité dans les cieux, l’arrachant aux périls de cette terre ainsi qu’au pouvoir de Satan, et même de la mort.

Prigent, en bon protestant, entretient une tout autre relation avec la Bible, et l’Apocalypse en particulier. Il l’accepte certes comme parole de Dieu, inspirée par lui, mais non sans réticences, ou réserves, ou mêmes critiques, soit envers l’auteur humain, soit à l’égard du texte lui-même. Il n’accepte pas sa doctrine sans examen. Il se permet des jugements moraux ou doctrinaux sur elle, au-delà même du champ de la seule interprétation.

Prigent est, entre autres, très critique à l’égard de l’apologie du martyre, ou de la chasteté, prônée par l’auteur de l’Apocalypse. Il va même jusqu’à le soupçonner, à cet égard, de fanatisme. Dans son avertissement, en tête du livre, il va jusqu’à dénoncer chez Jean « des faiblesses manifestes – notamment son côté fanatique et sa prétention à détenir seul la vérité.» (Page 6).

« Si l’auteur, pose-t-il page 504 et dernière, n’a pas poursuivi jusqu’en ses ultimes et très contestables conséquences les inclinations de sa nature intransigeante, en posant (comme Ignace le fera !) que seul le martyre fait le chrétien accompli, c’est bien en raison de cet enracinement cultuel [les allusions à la liturgie primitive, relevées par Prigent dans l’Apocalypse]. » Saint Jean n’exigeait certainement pas des autres le martyre, puisqu’il ne l’avait pas lui-même subi !

« Encratisme peu commun » écrit Prigent, page 334, à propos des 144.000, qui furent chastes : « Ceux-là, ils ne se sont pas souillés avec des femmes, ils sont vierges ; ceux-là suivent l’Agneau partout où il va ; ceux-là ont été rachetés d’entre les hommes comme prémices pour Dieu et pour l’Agneau. » (Ap 14,4). Bien sûr, si dans sa philosophie les 144.000 représentent l’ensemble des chrétiens, il lui est très difficile d’admettre que Jean (et Dieu !) exigent la chasteté de tous les élus. « Il y a eu, dans le christianisme primitif, des tendances ascétiques. Mais jamais elles ne se sont exprimées avec cette intransigeance. Ici, tous les membres du peuple de Dieu doivent respecter cette interdiction. Et qu’en est-il alors des femmes ? Ceci amène à se poser la question : les mots ne seraient-ils pas à prendre dans un sens symbolique ? Souvenons-nous que […] l’impureté est dans l’Apocalypse synonyme de prostitution […] Sans doute est-ce là le sens du verset 14,4 : les cent quarante-quatre mille se sont gardés de toute relation illicite avec l’idolâtrie. » (L’Apocalypse, 1998, pages 145-146). Le symbolisme sauve opportunément le commentateur d’une contradiction insoluble.

Dans la logique de son système, Prigent est amené, presque, à attribuer une forme d’idéalisme à l’auteur de l’Apocalypse. Puisqu’il néglige absolument les contingences historiques, ou terrestres, Jean n’emploierait qu’un langage figuratif, pur reflet, et reflet imparfait, d’une réalité transcendante. « Il faut bien admettre, écrit Prigent page 431, non seulement que ces chiffres et ces périodes [trois ans et demi, mille ans, etc.…] ont une valeur symbolique, mais encore qu’il s’agit d’un essai bien imparfait d’utiliser des mots et des catégories humains pour transmettre une révélation indicible parce que trop étrangère à notre univers. » Et, page suivante, il précise sa pensée : « Il y a ce que Dieu décide, dit, fait, juge, etc., cela seul est la réalité, cela seul a vraiment de l’importance. C’est le ciel. La terre, livrée à elle seule, n’offre qu’un jeu d’apparences. » L’auteur du mythe de la caverne n’aurait sans doute pas parlé autrement !

Suivant cette ligne de pensée, le commentateur, Prigent, est amené à condamner énergiquement tous les artistes qui ont prétendu illustrer l’Apocalypse. Puisque les mots, ou les métaphores, de Jean ne recouvrent que des concepts maladroits, et d’ailleurs à moitié cassés, pour parler d’une réalité proprement ineffable, vouloir les traduire en images picturales serait en effet le dernier des contresens. « Il est bien regrettable, écrit Prigent, que les innombrables artistes qui se sont crus appelés à représenter les visions de l’Apocalypse n’aient pas compris cela, qui est pourtant fondamental ! Ils auraient dû rougir d’illustrer littéralement des visions qui voulaient seulement signifier au moyen d’images provisoires. » (L’Apocalypse, 1998, page 29). Et encore, page 206, même livre : « On peut aller plus loin : l’étrangeté des images est comme un signe supplémentaire qui indique un sens extraordinaire. Les artistes qui ont cherché à illustrer l’Apocalypse se sont donc entièrement fourvoyés. La vraie fidélité n’est pas ici d’ordre formel !» C’est ignorer la beauté plastique de telles images, parfois fantastiques, qui nous sont proposées par Jean. La fantasmagorie ne contredit pas l’art, ne le dénie pas. Bien au contraire elle l’appelle. L’Apocalypse reste une source inépuisable d’inspiration pour les artistes de tous les temps, et de tous les pays. Pour les penseurs également, pour les poètes, pour les cinéastes etc.… parfois même ceux qui sont les plus éloignés de la religion. Pour le vulgaire également qui ne cesse d’y faire référence. L’Apocalypse participe de l’inconscient collectif de l’humanité.

Le grand reproche que l’on peut faire au commentateur Prigent, avec son anhistoricisme, avec sa théologie de l’eschatologie déjà réalisée, c’est qu’il aboutit dans l’interprétation au télescopage de tous les cycles, de tous les symboles, de tous les chiffres. Au fond, comme nous l’avons remarqué bien des fois, son herméneutique n’est qu’une reprise du vieux système d’un Tyconius, selon lequel dans l’Apocalypse, et plus largement dans maints textes prophétiques, tout ne serait que « récapitulations », autrement dit répétitions, ou réexposés des mêmes thèmes, sous différents aspects.

Les trois ans et demi d’Ap 11,2, comme les mille ans d’Ap 20,2, comme le dernier combat eschatologique d’Ap 20,7-10 représenteraient une seule et même chose : le temps présent.

La Femme, ou communauté, descendant du ciel au chapitre 12, le triomphe du dragon au chapitre 13, les fléaux qui s’abattent sur la Prostituée fameuse du chapitre 17, tout cela nous raconterait symboliquement les péripéties de la période actuelle de l’Eglise.

Les 144.000 d’Ap 7,4, comme les 144.000 d’Ap 14,1, les compagnons de l’Agneau, comme la foule immense d’Ap 7,9, recouvriraient une même réalité : l’ensemble des chrétiens, ou encore l’ensemble des élus.

Autre exemple. « C’est, dit Prigent page 422, donc trois présentations différentes du même événement [16,16 : Harmaguedon ; 17,14 : la campagne contre l’Agneau ; 19,17-18 : le premier combat eschatologique] que notre auteur nous donne. Le fait n’a rien d’extraordinaire dans l’Apocalypse. Il faut seulement se garder soigneusement d’interpréter comme une succession chronologique ce qui veut être une description reprise avec des compléments et des éclairages différents. »

Alors qu’Harmaguedon (cf. Ap 16,16) a eu lieu avant la chute de Rome en tant que capitale d’un empire païen (cf. Ap 18,21), la campagne contre l’Agneau (cf. Ap 17,14) pendant les prodromes de cette chute, et le premier combat eschatologique (cf. Ap 19,17-18) après cette même chute.

Ce confusionnisme aboutit, chez Prigent, à des contradictions inéluctables, dont nous ne relèverons que quelques-unes.

« Si l’on se laisse obnubiler par la chronologie qui organise ce passage [celui du dernier combat eschatologique, cf. Ap 20,7-10], sans chercher à en saisir l’intention véritable, on tombe dans un inextricable lacis de difficultés : quelle est cette cité (même assimilée à l’Eglise) qui après les mille ans subit le siège des armées sataniques ? » (Page 443). Evidemment, dans le système de Prigent, c’est incompréhensible. Mais, selon nous, la Cité sainte, qui n’est autre que l’Eglise catholique, subit, après mille ans d’un triomphe relatif (un temps de chrétienté), un assaut effrayant, universel, mais qui sera le dernier, et dont elle est appelée à sortir victorieuse. Quoi dès lors de plus obvie ? De plus prophétique ?

Page 445 : « C’est la résurrection générale [chap. 20, verset 12] pour le jugement. Toutefois la logique de notre auteur implique que les fidèles qui ont connu la première résurrection et qui donc vivent d’une vie éternelle ne font pas partie des gens dont il est maintenant question. » Mais c’est plutôt la logique de Prigent qui entraîne cette contradiction. Si la fameuse première résurrection d’Ap 20,5 devait déjà être considérée comme étant la résurrection générale, forcément ces gens-là ne devraient pas ressusciter une seconde fois ! Mais il pense à tort. La première résurrection, selon saint Augustin et la majorité des critiques catholiques, correspond à une résurrection en esprit, avec le Christ, qui permet aux saints privilégiés, les 144.000 d’Ap 14,1, les compagnons de l’Agneau, de régner déjà avec le Christ, ceux qu’on vénère le jour de la Toussaint. Mais comme tous les autres, ils attendent la résurrection générale de la fin des temps, une résurrection en corps et en âme. Celle que dans le Credo on appelle la résurrection de la chair, et qui concernera aussi bien les élus que les damnés.

Lors du jugement des nations (cf. Ap 20,11-15), on aperçoit l’ouverture systématique de deux sortes de livres : un grand livre universel, et des petits livres. Prigent y voit le souvenir de deux traditions apocalyptiques, qui seraient quasiment contraires. Pourtant « la coexistence des deux traditions prouve qu’elles ne sont pas ressenties comme inconciliables. » (Page 446). Certes, car les deux espèces de livres ont une fonction bien distincte. Le grand livre est celui de la Vie ; il contient la liste de tous les élus. Tandis que les petits livres individuels renferment les actions des hommes, bonnes ou mauvaises, d’après lesquelles chacun se trouve jugé.

« Et chacun fut jugé selon ses œuvres » note l’Apocalypse (20,13). « De même Paul, commente Prigent, ne craignait pas d’insister sur le jugement de salut par grâce, tout en affirmant le jugement selon la conduite! » (Page 446). Il faut être protestant pour voir une contradiction dans le salut par pure grâce et le salut d’après le compte des œuvres individuelles. Car nos œuvres, même les plus libres, demeurent des grâces gratuites de Dieu. Nous ne sommes certes pas sauvés par nos actes, mais en vertu d’un don gratuit de Dieu, acquis une fois pour toutes, au Calvaire, par Jésus-Christ, qui est l’Agneau immolé et notre rédempteur. Mais le don véritable de Dieu, c’est de nous rendre saints, et donc agréables à ses yeux.

La lecture, que fait Prigent de l’Apocalypse, est certes inspirée par son protestantisme, mais aussi par une espèce de jansénisme, ou de puritanisme, hostile au réalisme et à l’historicisme prophétique de Jean. Il ne voit guère dans ce livre qu’un pur théorème théologique, élaboré certes par un croyant et un chrétien, mais non pas cette épopée cosmique du Christ avec l’humanité, du Christ avec son l’Eglise, que nous avons cru discerner.


La discussion

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