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JUILLET 2003 A MARS 2011

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Le Millenium Imprimer
Auteur : Jean Ferrand
Sujet : Le Millenium
Date : 2010-03-11 14:07:20

2. Les grandes énigmes de l’Apocalypse.

1. Le Millenium.

Le commentateur, Prigent, entend le millenium (cf. Ap 20,2.3.4.5.6.7) comme étant le temps présent, qui est le temps de l’eschatologie déjà réalisée. Pour lui nous sommes déjà rendus à la fin du monde. Mais pourquoi ce chiffre de mille ? A quel symbolisme répond-il ? C’est parce que, selon la tradition, le paradis terrestre aurait duré mille ans ! Et le millenium ne serait autre que la reprise sur terre de ce paradis terrestre !

Explication originale, et qui me paraît à moi totalement artificielle, pour ne pas dire extravagante.
D’abord, dans la description que Jean donne du millenium (ch. 20), à part la mention de «l’antique serpent », rien n’évoque directement le second chapitre de la Genèse. Ensuite si Adam, selon Gn 5,5, a vécu presque mille ans (exactement 930 ans !) c’est bien après la faute, et donc il ne résidait plus au paradis, et donc le paradis terrestre n’a pas duré mille ans (CQFD). On est obligé d’en venir à ce littéralisme pour contrer le commentateur.

Que si le millenium prétend restaurer le paradis terrestre sans la faute, alors de nouveau il y a erreur. Car le paradis sans la faute originelle n’aurait pas durer mille ans, mais bien dix mille, ou même jusqu’à la fin du monde !

S’il existait des traditions dans le bas judaïsme sur la durée millénaire du paradis terrestre, elles furent tout à fait marginales, peu connues. On ne voit pas que Jean les eût invoquées ici sans la moindre préparation et qu’il les eût appliquées arbitrairement à une autre réalité : celle de l’avènement présent du Christ, et du temps de l’Eglise. Ce serait une charade. Il y a d’autres charades, direz-vous, dans l’Apocalypse ? Oui, mais elle sont amenées.

« Sur la base de ces traditions juives, écrit Prigent, des chrétiens [Justin, Irénée, etc.] ont affirmé que le séjour en paradis qu’instaurerait le messie durerait mille ans. » (Page 430). Raisonnement circulaire. Si lesdits chrétiens ont estimé que le premier règne inauguré par le messie durerait mille ans, c’est au vu de l’Apocalypse qu’ils connaissaient. Irénée le dit expressément : cf. Adv. Hae. V, 36, 3 : « Ainsi donc, de façon précise, Jean a vu par avance la première résurrection, qui est celle des justes… » Et la première résurrection, c’est précisément celle qui doit durer mille ans : cf. Ap 20,5-7.

Cette question du millenium a toujours posé problème aux exégètes, et elle en pose encore. Les premiers Pères de l’Eglise, donc, Justin, Papias, Irénée… l’ont pris au pied de la lettre, prévoyant un premier règne du Christ d’une durée de mille ans, précédant la parousie. Sous l’influence de Tyconius, un donatiste, mais surtout des orthodoxes saint Jérôme et saint Augustin, la pensée chrétienne s’est reprise, voyant dans ce chiffre de mille ans un pur symbolisme. Heureusement qu’elle s’est reprise, sinon nous dirions aujourd’hui qu’elle s’est trompée !

Saint Augustin (Cité de Dieu, livre XX) voyait dans les mille ans (il ne pouvait se défaire de cette expression qu’il lisait noir sur blanc dans l’Apocalypse) l’espace (symbolique) qui sépare la Pentecôte (origine de l’Eglise) du dernier combat eschatologique qui, selon lui, durerait trois ans et demi tout juste (d’après Ap 13,5) et précéderait le jugement des nations (décrit en Ap 20,11-15).

La Bible de Jérusalem (édition de 1998, note sur Ap 20,4) pense que ce règne de mille ans est « la phase terrestre du Règne de Dieu, de la chute de Rome (cf. Ap 18,21) à la venue du Christ (cf. Ap 20,11). » Certes, le point de départ est juste, ou relativement juste. Mais du coup, elle n’explique pas le chiffre de mille. Pourquoi mille, et non pas dix mille, ou encore 1697 (2010 – 313 !), ou encore dix millions ?

Je pense que le lecteur brûle de savoir ma pensée là-dessus ! L’Apocalypse prise à la lettre fait en effet partir le millenium d’après la chute symbolique de Rome en tant qu’empire païen, décrite en Ap 18,21, ou encore quelque temps après cette chute, mais ce millenium doit se poursuivre seulement jusqu’au second et dernier combat eschatologique d’Ap 20, 7 sq, dont la durée, contrairement à ce qu’affirme saint Augustin (voir plus haut), reste indéterminée, et peut par conséquent s’étendre sur des siècles, voire des millénaires…

Les mille ans, et la première résurrection, correspondraient donc à la durée approximative d’une chrétienté, et nous nous situerions déjà dans le dernier combat eschatologique, celui qui précède tout juste la parousie !

Saint Jean aurait ainsi prévu non seulement la chute de Rome, en tant que capitale du paganisme, mais encore la victoire temporaire et précaire des chrétiens, les mille ans, la première résurrection, mais encore la remise en cause de cette victoire : le relâchement de Satan pour un dernier et décisif combat.

Ce qui précède ne présume en rien de l’imminence de la parousie. Conformément aux sentences du Christ, personne au monde ne connaît l’échéance.

Ce qu’on peut déduire de tout cela, c’est que l’Apocalypse prise au pied de la lettre demeure parfaitement logique et compréhensible. Inutile même de faire appel au spiritualisme (des Pères) ou au symbolisme (des Pères, comme des exégètes qui souvent en usent et abusent).

Prigent (pages 425-426) divise les hypothèses millénaristes, émises au cours des âges, en deux catégories principales :

1. Le millénarisme futuriste, dirons-nous, de ceux qui attendent le millenium pour la fin des temps. Ils prévoient avant la parousie une période de mille ans pendant laquelle le Christ règnera visiblement sur la terre avec les justes. Les plus anciens Pères de l’Eglise, Justin, Papias, Irénée, se comptent dans cette catégorie.

Pour certains exégètes modernes (Swete, A. Feuillet, la Bible de Jérusalem même…), et cette solution se rapprocherait assez de la nôtre, en tout cas y conduirait, le futur du millenium serait à considérer du point de vue de Jean. Le millenium « coïncide[rait] avec le renouveau de l’Eglise, après la période des persécutions sanglantes, celle qui s’ouvrait au temps où écrivait l’auteur de l’Apocalypse. »

2. Le millénarisme présentiste, qui fut celui de saint Augustin, et auquel se rallie le commentateur. « Mille ans » désignerait symboliquement la période présente, celle que nous vivons depuis la Résurrection du Christ et qui court jusqu’à la parousie.

3. Prigent n’envisage en aucune façon le millénarisme passéiste. Et si des fois le millenium était forclos… S’il appartenait au passé !

Saint Irénée, qu’on présente parfois comme la parangon du millénarisme, pensait que la durée totale du monde atteindrait 7.000 ans. « Car autant de jours a comporté la création du monde, autant de millénaires comprendra sa durée totale. C’est pourquoi le livre de la Genèse dit : ‘Ainsi furent achevés le ciel et la terre et toute leur parure. Dieu acheva le sixième jour les œuvres qu’il fit, et Dieu se reposa le septième jour de toutes les œuvres qu’il avait faites.’ (Gn 2,1-2) Ceci est à la fois un récit du passé, tel qu’il se déroula, et une prophétie de l’avenir : en effet, si ‘un jour du Seigneur est comme mille ans’ (2 P 3,8 ; cf. Ps 90,4) et si la création a été achevée en six jours, il est clair que la consommation des choses aura lieu la six millième année. » (Adv. Hae. V, 28, 3).

Après ces 6.000 ans, donc, viendra le septième millénaire, celui du shabbat, le règne du Christ avec les justes, le paradis restauré que les presbytres cités par Irénée ont décrits en termes dithyrambiques. Jérusalem sera rebâtie sur la terre d’après les indications des prophètes.

C’est à ce moment-là seulement, après l’achèvement du septième jour, et sans transition, que descendra la Jérusalem d’en haut et que commencera l’éternité bienheureuse.

« Car, après les temps du royaume, ‘je vis, dit-il [Jean], un grand trône blanc et Celui qui y était assis ; de devant sa face le ciel et la terre s’enfuirent, et il ne se trouva plus de place pour eux.’ (Ap 20,11). Il décrit alors en détail la résurrection et le jugement universels. » (Adv. Hae. V, 35, 2).

Mais je fais remarquer que ce scénario ne cadre pas tellement avec la lettre de l’Apocalypse. En effet Jean nous dit clairement : « Les mille ans écoulés, Satan, relâché de sa prison, s’en ira séduire les nations des quatre coins de la terre, Gog et Magog, et les rassembler pour la guerre. » (Ap 20,7).

Après le millenium Satan fera encore des ravages ! Il faut donc renoncer à cette conception d’un millénaire enchanté et paradisiaque avant la parousie. Jean veut simplement nous parler d’une victoire relative, et provisoire, du Christ et des chrétiens sur la terre, d’un enchaînement non définitif de Satan. Certes pendant ce temps-là les martyrs ou les saints déjà rendus au ciel commencent de régner avec le Christ et « suivent l’Agneau partout où il va. » (Ap 14,4).

Saint Augustin, après avoir été un temps millénariste (cf. Sermon 259), se rétracte dans la Cité de Dieu (livre XX) sous l’influence de son compatriote, le donatiste Tyconius, mais plus encore de saint Jérôme. Même s’il l’interprète au sens spirituel, ou symbolique, il revient sans cesse sur cette expression des « mille ans », le temps qui sépare, dans ses vues, la Résurrection du Christ de la parousie. Les « mille ans » correspondent en chiffres approximatifs au règne spirituel de l’Eglise, inauguré avec le premier avènement du Sauveur.

Le diable, après ces mille ans, sera délié pour un peu de temps (cf. Ap 20,7) exactement trois ans et demi, selon Ap 11,2. Après quoi viendront le jugement et la parousie.

Il semble que saint Augustin commette une double méprise sur le millenium.

D’abord il n’est pas évident que le millenium parte de la Résurrection du Christ, mais bien plutôt de la chute de l’empire romain, en tant qu’empire païen (cf. Ap 18,21), ou des temps qui suivirent cette chute. Ensuite il n’est dit nulle part que les « quarante-deux mois » (d’Ap 11,2 et 13,5) ou « mille deux cent soixante jours » (d’Ap 11,3), soit trois ans et demi, visent la durée du dernier combat eschatologique, qui doit avoir lieu après les mille ans (cf. Ap 20,7-8). Ce dernier combat reste d’une durée indéterminée, d’après le texte même de l’Apocalypse.

Je m’en tiens donc à ma position. Le millenium prophétiserait, de la part de Jean, une victoire provisoire du Christ (cf. Ap 19,11), puis de l’Eglise (cf. Ap 20,1-3) sur les païens, après la chute de Rome et avant le dernier combat eschatologique. En somme un temps de chrétienté.


La discussion

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