(Daoudal Hebdo N° 89)

Mgr Kurt Koch, évêque de Bâle, nommé président du Conseil pontifical pour l'unité des chrétiens, a adressé une lettre à son diocèse avant son départ pour Rome. On y lit notamment ceci :

« Au mois de février déjà, le Pape m’a demandé si je serais prêt à prendre en charge cette responsabilité. A cette occasion, il a souligné combien il lui importait que cette tâche soit à nouveau confiée à quelqu’un qui connaisse les Eglises et les communautés ecclésiales issues de la Réforme non seulement par les livres, mais par une expérience directe. Ainsi le Pape a montré à nouveau combien l’œcuménisme lui tient à cœur, et ceci non seulement avec les Orthodoxes, mais aussi avec les Protestants. L’unité des chrétiens est en effet une mission confiée par Jésus Christ lui-même, et son urgence aussi bien que ses difficultés sont aujourd’hui manifestes. »

Il est très surprenant de voir le prélat chargé du dialogue œcuménique à l’échelle de l’Eglise universelle utiliser l’expression « les Eglises et les communautés ecclésiales issues de la Réforme ». En effet, en 2007, la Congrégation pour la doctrine de la foi avait rappelé que « les textes du Concile et du Magistère postérieur n’attribuent pas le titre d’“Église” aux Communautés chrétiennes nées de la Réforme » « parce que, selon la doctrine catholique, ces Communautés n’ont pas la succession apostolique dans le sacrement de l’ordre » et qu’il « leur manque dès lors un élément essentiel constitutif de l’Église » Et l’on renvoyait à la Déclaration Dominus Jesus de 2000, qui renvoyait elle-même au décret de Vatican II sur l’œcuménisme.

Même si le texte de 2007 a suscité une gigantesque polémique dans les milieux « œcuménistes », on voit qu’il ne disait rien de nouveau. Il insistait simplement sur ce point, précisément à cause des déviations constatées dans le dialogue œcuménique, du côté catholique. Il est donc inquiétant de voir Mgr Koch parler des « Eglises et communautés ecclésiales issues de la Réforme ».

C’est d’autant plus étonnant qu’en 2007 Mgr Koch avait publié une analyse du document romain où il expliquait :

« Le document romain réaffirme clairement que la plus grande difficulté du dialogue œcuménique réside aujourd’hui dans la conception différente de l’Église : les Communautés de la Réforme se comprennent comme parties de l’unique Église dans des formes se réalisant de façon toujours différente. La conception de l’Église catholique se différencie radicalement de cette vision dans la mesure où elle revendique de n’être pas seulement une partie de l’unique Église, mais qu’en elle l’unique Église de Jésus-Christ est concrètement réalisée. Il est donc évident que les Communautés ecclésiales issues de la Réforme ne peuvent pas pleinement reconnaître la compréhension de l’Église catholique, ni l’Église catholique celles des Communautés réformées. Ce constat dur mais réaliste et franc, signifie qu’aujourd’hui nous pouvons poursuivre sur le chemin de l’œcuménisme uniquement à condition de dialoguer sur ces visions théologiquement très différentes sur l’Église. »

Un mois plus tard, le 6 août 2007, Mgr Koch envoyait une longue lettre ouverte au pasteur Thomas Wipf, président du Conseil de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, par laquelle il entendait répondre aux virulentes attaques contre l’Eglise catholique orchestrées par les protestants en réaction au texte romain. « Il va de soi, disait-il, que nous, catholiques, dans le quotidien, parlons des Eglises réformées en Suisse (…) et nous continuerons à le faire, car nous reconnaissons l’auto-compréhension de ces Eglises. »

En effet, on doit appeler les organisations par le nom qu’elles se donnent. Mgr Koch poursuivait : « La pensée théologique sur l’Eglise diffère pourtant de l’emploi du mot “Eglise” au quotidien, elle questionne les éléments essentiels de l’être-Eglise. ».

Jusque là, on croit comprendre. Mais il enchaîne : « Précisément, on ne veut pas dire que les Eglises réformées ne sont pas des Eglises, on ne soustrait pas aux Eglises réformées le fait d’être-Eglise. L’on affirme plutôt que les Eglises réformées ne sont pas des Eglises dans le sens que s’attribue et doit s’attribuer l’Eglise catholique à partir des fondements de sa foi. Ceci est évident pour tout un qui s’intéresse à l’œcuménisme, dans la mesure où vous-mêmes soulignez que les Eglises réformées ne souhaitent pas être des Eglises dans le sens entendu par l’Eglise catholique. »

Mais alors il aurait dû commencer par dire : « Précisément, on veut dire que les Eglises réformées ne sont pas des Eglises, et que si on reconnaît qu’elles s’intitulent Eglises, on ne reconnaît pas leur être-Eglise. »

Et l’on voit bien que Mgr Koch n’a pas une idée claire de la question quand on constate que, dans le paragraphe précédent, celui–là même qui introduit son explication (?), il évoque… « les Eglises et les communautés ecclésiales issues de la Réforme » !

Mgr Koch souligne que le pape a voulu nommer quelqu’un qui a une expérience directe de l’œcuménisme avec les protestants. Car « le Pape a montré à nouveau combien l’œcuménisme lui tient à cœur, et ceci non seulement avec les Orthodoxes. »

Voilà qui est intéressant, et qui conduit à une conclusion qui est peut-être forcée et caricaturale mais me paraît inéluctable, surtout quand on a suivi les derniers développements de l’œcuménisme romain. D’un côté, Benoît XVI se réserve le seul œcuménisme qui vaille, celui avec les orthodoxes, et les autres chrétiens les plus proches de l’Eglise catholique (les anglo-catholiques, une frange luthérienne), à sa façon, qui déplaisait tellement au cardinal Kasper (et la constitution apostolique Anglicanorum cœtibus a été explicitement conçue en dehors du conseil pontifical). Et il laisse l’œcuménisme avec les autres protestants à Mgr Koch, expert dans les relations œcuméniques en Suisse : la Suisse, où de l’aveu même de Mgr Koch, aucune des nombreuses confessions protestantes (en dehors de l’Alliance méthodiste mondiale, qui y compte 14.000 membres) n’a ratifié la Déclaration commune sur la doctrine de la justification signée en 1999 entre l’Alliance luthérienne mondiale et le Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens dont il est maintenant le président…