A la découverte du Beau (Jean Ousset)
XA -  2008-02-20 08:28:57

A la découverte du Beau (Jean Ousset)

A la découverte du Beau par Jean Ousset (partie précédente) Objectif et subjectif Exemples qui aident à comprendre que le problème de "l'objectif" et du "subjectif" n'est pas de savoir si tous, ou seulement quelques-uns, sont capables de distinguer cette plénitude qui fait la beauté d'un être ou d'une chose. Le seul problème est de savoir si ce que le sujet prétend contempler dans l'objet considéré, s'y trouve ou ne s'y trouve pas. Le comble ne serait-il pas que le jugement de l'ignorant, le jugement de qui ne sait rien de ce qu'il regarde, le jugement de qui ne s'en tient qu'à l'aspect le plus bassement matériel de "l'objet", passe pour plus "objectif" que le jugement de celui qui sait tout, sinon presque tout, de ce qu'il a devant lui. Il est inadmissible que pour être dit plus "objectif", un jugement esthétique sur Nazareth, Jérusalem, Rome, Florence ou Tolède s'attache à oublier ce qu'un honnête homme ne peut manquer de savoir de l'Evangile, de la capitale des Césars et des Papes, de la gloire des Médicis, de Dante, de Fra Angelico, du Greco ou de la résistance des cadets de l'Alcazar. Tout cela étant déclaré "subjectif" pour cette seule raison que les sens (oeil, nez, oreille...) ne le perçoivent pas. Pour être reconnu "objectif", faudrait-il qu'un jugement sur Notre-Dame de Paris, par exemple, se borne à n'y désigner qu'une superposition de pierres plus ou moins sculptées. Car cela... même un crétin pathologique peut le percevoir. Personnellement, donc, nous admettrons comme "objectif" tout ce qui se rattache à "l'objet" d'une façon notoire ou de telle façon qu'il soit impossible de considérer cet élément comme un apport pur et simple du "sujet". Que la plénitude de "l'objet" - cette plénitude qui fait sa beauté - puisse être parfois difficile à percevoir, cela ne diminue en rien son caractère objectif. Tout comme le caractère objectif d'une découverte scientifique ne saurait être contesté sous prétexte que ladite découverte fut particulièrement compliquée. Rien d'étonnant donc à ce que des beautés, pourtant très "objectives" ne puissent être perçues que par certains sujets. Parce que ces sujets sont seuls capables de les bien saisir et comprendre. Telles les beautés des découvertes scientifiques dont on comprend qu'elles soient inaccessibles à qui n'a jamais été capable d'être reçu au certificat d'études. Tant il est vrai que le plus beau poème perd de son intérêt pour qui en ignore la langue. Tant il est vrai que la beauté d'un jeu de couleurs peut échapper à un daltonien. Tant il est vrai que les plus beaux sentiments risquent d'être sans écho chez un rustre. Autrement dit : pour certaine que soit la beauté d'un être ou d'une chose, l'intelligence de cette beauté suppose une capacité suffisante d'observation, de vision. Le mot "vision" étant pris ici, non au sens strict de perception oculaire, mais au sens large de saisie du sensible autant que du spirituel, du moral, de l'intellectuel, etc... Apprendre à voir D'où le mot célèbre d'Ingres : "Il faut apprendre à voir". "La beauté d'un bouquet de fleurs ou d'un paysage, a fort bien dit Maritain, n'est pas la même que la beauté d'une démonstration mathématique, ou la beauté d'un acte de générosité, ou la beauté d'un être humain. Toutes sont beautés, mais des sortes de beauté typiquement ou foncièrement différentes les unes des autres...". Ce qui ne contredit pas cette maxime (déjà citée) de La Rochefoucauld : "Une chose, de quelque nature que ce soit, ne saurait être belle et parfaite si elle n'est véritablement tout ce qu'elle doit être et si elle n'a pas tout ce qu'elle doit avoir". Tout ce qu'elle doit être. Tout ce qu'elle doit avoir. Pas moins ! Ni plus ! Ce qui condamne, explicitement, la médiocrité, l'insuffisance, l'incomplet, le manque d'être. Esthétiquement parlant, l'excès, le trop, l'enflure ne sont pas moins laideur. Autant dire ces innombrables façons pour un être de cesser d'être ce qu'il doit être par abus ou surabondance d'éléments n'apportant rien à sa vraie plénitude. Le fait pour un veau d'avoir cinq pattes n'a jamais été considéré comme un succès. Et l'on devine l'empressement qu'aurait une jolie fille si on lui proposait, sous prétexte de surabondante plénitude, la greffe de deux ou trois nez supplémentaires sur le visage ! Preuve que la surabondante plénitude qui fait la beauté d'une chose ne saurait être dans une multiplication d'éléments superflus ou secondaires qui (loin de contribuer à l'harmonie de l'ensemble), détruisent cette harmonie par surenchère, obstruction, distraction de l'esprit. Ce qui condamne l'emphase, la grandiloquence, le pédantisme, le "pompier". En clair : ces mille façons de nuire à l'intégrité, à la plénitude d'un être par désir de le faire passer pour plus qu'il n'est; autant dire pour ce qu'il n'est pas. Destruction comme une autre. D'où ces réflexions, très importantes, à méditer ! De Baudelaire : "l'absence nette du juste et du vrai dans l'art équivaut à l'absence d'art". De Delacroix : "ce qui fait l'infériorité de la littérature moderne c'est la prétention de tout rendre. L'ensemble disparaît, noyé dans les détails et l'ennui en est la conséquence". Encore de Delacroix : "Lu un fragment de Barbès devant ses juges. On voit dans les discours de ces gens-là tout le faux et l'ampoulé qui est dans leur pauvre tête. C'est bien toujours la race écrivassière, l'affreuse peste moderne, qui sacrifie tranquillement un peuple à des idées du cerveau malade (...). Dans le discours de Blanqui, quelques jours auparavant, les images prétendues poétiques à la moderne se mêlent à l'argumentation. Il parle d'une crevasse qu'il fallait que la Révolution franchît, pour passer des anciennes idées aux nouvelles : l'élan trop faible n'a pas permis de franchir cette fatale crevasse où l'avenir est près de se noyer, mais qui n'embourbe pas le moins du monde la rhétorique de Blanqui. Tout dans ce style, est ardu, crevassé, boursouflé. Les grandes et simples vérités n'ont pas besoin pour s'énoncer et frapper les esprits, d'emprunter le style d'Hugo, qui n'a jamais approché de cent lieues de la vérité et de la simplicité". (à suivre)