A la découverte du Beau (Jean Ousset)
XA -  2008-02-13 14:03:41

A la découverte du Beau (Jean Ousset)

A la découverte du Beau par Jean Ousset (partie précédente) Notion de plénitude Voire, idée de surabondante plénitude..., laquelle implique ipso facto, une détermination convenable de l'objet considéré. Comment serait-il possible, en effet, de parler de plénitude si l'on ignore quel objet doit (ou ne doit pas) être déclaré pleinement, surabondamment réalisé ? Pour juger de la beauté d'une chaise, encore faut-il savoir qu'elle est d'abord faite pour s'asseoir. Et c'est parce que nous concevons le beau comme étant surtout plaisir des yeux qu'il nous arrive de trouver belle une chaise sur laquelle il est impossible de rester assis. Mais alors, est-ce même une chaise ? Ce n'est pas réellement une chaise, mais une apparence de chaise, visuellement agréable. D'où l'importance de la distinction entre joliesse et beauté. La joliesse étant simple plaisir des sens (vue, ouïe, etc...) très conditionnée par nos habitudes, la psychologie de notre époque, nos modes, etc... La beauté étant, elle, la surabondante plénitude d'un être... Ce qui ne dépend plus ni des élans d'un siècle ni du flux ou reflux de nos humeurs. Or, confondre joliesse et beauté est une des causes principales de nos contradictions esthétiques. Pour merveilleux qu'il soit, nous avons le plus grand mal à déclarer "beau" l'objet qui ne nous procure pas d'agrément visuel, auditif. Tant il est vrai que le "joli" (l'agréable à voir, l'agréable à entendre) est pour beaucoup, le test privilégié, sinon exclusif de la beauté. Certes, il peut arriver que beauté et joliesse coïncident, comme dans les bouquets de fleurs auxquels on ne demande que de charmer les yeux. Leur fin étant ce plaisir visuel, leur plénitude (donc leur beauté) s'y trouve par là-même. Mais semblable coïncidence est loin d'être la règle, de belles choses pouvant ne pas être jolies; de jolies choses pouvant ne pas être belles. Mirabeau avait de son propre aveu une belle "hure". Il n'était pas joli. Et combien d'oeuvres magnifiques peuvent ne pas être agréables aux sens, agréables aux yeux, agréables à l'oreille. Si elles le sont, tant mieux. C'est là, pour elles, un élément supplémentaire de plénitude. Si elles ne le sont pas, tant pis. Leur beauté peut n'en pas être atteinte. L'erreur consiste à nier le beau tant qu'il n'y a pas plaisir des sens. Car la beauté est par essence "joie de l'esprit", enseigne Henri Charlier. Joie que peut éveiller un plaisir sensible, mais seulement dans ce cas où le plaisir sensible contribue à la fin (donc plénitude, donc la beauté) de l'être envisagé. Cas des objets qui ont pour but d'être agréables à regarder. Sans plus. Reste que la beauté ne peut être ramenée au seul agrément visuel, auditif, etc. Ce qui revient à dire qu'on ne doit pas confondre la beauté et l'apparence agréable aux yeux ou à l'oreille d'un être ou d'une chose. N'est-il pas fréquent de voir ou d'entendre tels êtres, telles oeuvres qui, au premier regard, à la première parole, à la première note, offrent un caractère d'incontestable séduction, mais qui, plus connus, plus attentivement observés, apparaissent insipides, superficiels, fastidieux, insupportables. Parce qu'on découvre alors que le joli minois est celui d'une péronnelle; que le tableau est d'une virtuosité toute superficielle et d'inspiration nulle; que la composition musicale ne supporte pas trois auditions, etc... Que le beau puisse être en même temps joli (autant dire : agréable à voir, agréable à entendre) c'est ce que chacun souhaite confusément. Il n'en reste pas moins que le beau peut n'être pas joli; ou que ce n'est point parce que joli que le beau est beau. Car le joli (s'il n'est que joli) risque fort de n'être que la forme la plus superficielle de la beauté. Voire ! Le joli risque de n'être point beau du tout. A moins que cette superficialité, comme dans un bouquet, ne corresponde à la nature de l'objet considéré. Ce qui a pour fin d'être agréable à l'oeil, est beau par le seul fait qu'il est joli. Puisque cette joliesse est le tout de ce qu'on lui demande. Le tout de ce que l'on attend de lui. En pareil cas, la seule joliesse réalise la plénitude de l'être, donc la beauté. On ne demande pas à un bouquet de fleurs d'être philosophique, ni de préserver la pièce qu'il orne contre l'incendie. On lui demande d'être agréable à voir, de constituer une tâche de couleurs agréable et décorative sur une table, devant un mur, etc... Pour peu que son parfum soit doux, tout ce qu'on peut attendre d'un bouquet de fleurs est obtenu. Il est donc aussi beau qu'il est joli, agréable à voir et à sentir. Pour l'ordinaire, voilà le tout de l'être possible d'un bouquet. Soit par contre, un champ de blé plein de bleuets, chardons, coquelicots et autres fleurs sauvages. "Que c'est beau" s'écrie le citadin. Erreur ! Un tel champ de blé peut offrir aux yeux un jeu de couleurs agréables. Un paysan, pourtant, ne dira jamais que c'est là un beau champ de blé, parce que le paysan sait que ces fleurs, si admirées des touristes en vacances, sont en réalité de mauvaises herbes, parasites menaçant la moisson. Nul doute que si un champ de blé avait pour fin de "faire joli" dans le paysage, coquelicots, chardons et bleuets en seraient les accessoires obligés. Mais qui osera dire que ce soit là le but de celui qui laboure et qui sème ' Un "beau" champ de blé est donc un de ces champs où n'apparaît que le blond des épis ondulant comme une mer au souffle du vent. "C'est beaucoup moins joli", diront les midinettes ! Elles ont peut-être raison! La beauté, elle, est plénitude... est surabondante plénitude d'une chose ou d'un être. Or, dire que la beauté est plénitude, surabondante perfection d'une chose ou d'un être, c'est dire que le beau est dans tout ce qui réalise pleinement, surabondamment sa fin; qui la réalise "en beauté", comme dit fort bien le bon peuple. "Une chose, écrit La Rochefoucauld, ne saurait être belle et parfaite si elle n'est véritablement tout ce qu'elle doit être et si elle n'a pas tout ce qu'elle doit avoir". Soit, sous la signature de Le Corbusier, la célèbre définition de la maison : "machine à habiter". Son insuffisance, pensons-nous, ne tient point tellement à l'emploi du mot "machine", par lequel tant de gens sont choqués. La vérité est que la maison ("machine" si l'on veut) est et doit être beaucoup plus qu'une construction "à habiter". Si, pour faire plus "fonctionnel", on tient à l'emploi du mot "machine", il faudrait dire que la maison doit être une machine, pas seulement "à habiter", mais une machine à vivre... à vivre une vie humaine harmonieuse, tonique, familiale (enfants compris). Et non une machine à entasser les hommes, à parquer les enfants, à déboussoler les adolescents, à faire se multiplier les suicides, à faire s'organiser autour d'elle des "gangs" de blousons noirs. Machine à déséduquer, à démoraliser ceux qui y habitent. Et qui pourra jamais dire si, pour Mimi Pinson, des fleurs aux fenêtres ne sont pas plus utiles qu'un escalier ? Car combien préféreraient une échelle dans un lieu de rêve à un ascenseur dans une caserne climatisée ? Réflexions élémentaires qui, cependant, permettent de comprendre qu'il n'y a pas, qu'il ne peut pas y avoir de Beau en soi, de Beau "abstrait", au sens moderne. (à suivre)