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Marie-Madeleine et son mystère (II) Imprimer
Auteur : origenius
Sujet : Marie-Madeleine et son mystère (II)
Date : 2010-07-15 14:37:55


Marie de Magdala et l’Eglise de Lyon

Les légendes de la venue de Marie Madeleine en Provence, liées apparemment au développement du culte de la Sainte aux XIIe et XIIIe siècles sous l'influence de Vézelay, supposent une arrivée de reliques depuis le delta du Rhône, en remontant le fleuve.
Une "ascension" semblable avait eu lieu au 2e siècle de notre ère lorsque le christianisme s'est propagé en Gaule, amené par les chrétiens de la "Province d'Asie", dont la capitale était Ephèse. Indubitablement des disciples de Jean l'Évangéliste sont arrivés à Vienne et à Lyon, fondant la première Église chrétienne dans notre pays.

Un témoignage en est donné par la fameuse "Lettre des chrétiens de Vienne et de Lyon" relative aux martyrs de 177 et conservée par l'historien Eusèbe de Césarée, au début du IVe siècle, dans son Histoire ecclésiastique, au Livre V.
Elle cite notamment, avec l'évêque Pothin, deux martyrs originaires d'Asie, Attale et Alexandre, compagnons de la jeune esclave gauloise Blandine. Pothin avait un adjuteur, St Irénée, qui lui a succédé et qui est dit également originaire d'Asie et disciple de Polycarpe et de Papias, eux-mêmes disciples de St Jean. Comme le dit Émile Mâle (38) :
"Ce sont des Grecs d'Ephèse qui apportèrent le christianisme à Lyon. La vallée du Rhône fut de bonne heure la grande voie des Orientaux pénétrant en Gaule".

(38) La fin du paganisme en Gaule, p.154

Il suffit par ailleurs de suivre les vallées pour y découvrir le nom de Madeleine et le témoignage des ermites provençaux ayant demeuré sur leurs flancs. Dans le Nord, ce sont les faubourgs des villes qui portent ce nom. Ils recevaient jadis les chapelles des cimetières, lors des épidémies et à la suite des massacres, ainsi que les refuges hospitaliers des malades et des lépreux. Autour de Madeleine une immense ferveur s'est répandue au cours des siècles, un rayonnement de pitié pour tous ceux dont le corps et l'âme avaient subi la dégradation.

Un nouveau miracle s'est produit à la fin du siècle dernier, peu après le retour des dominicains à St Maximin sous l'influence de Lacordaire : Un petit Frère Prêcheur appelé à donner quelques instructions dans une prison de femmes d'un village de Gironde à réalisé que des femmes au lourd passé pouvaient s'enflammer pour la personne de Jésus et refaire leur vie sous le signe de Madeleine. Les Dominicaines des prisons, actuellement Dominicaines de Béthanie, continuent aujourd'hui, dans divers monastères du monde entier, à réunir sous la même bure femme "repenties" et vierges pures sans distinction entre elles. C'est vraiment Marie et Madeleine réunies ... comme autrefois à Ephèse ... dit-on.
La question qui se pose, dans le cadre de notre étude, est : Ces Asiatiques du Ile siècle apportaient-ils à Lyon la "présence" de Marie de Magdala ?
Si aucun texte avant le Ve siècle ne fait allusion à la venue à Ephèse de Marie mère de Jésus, ni, avant le VIe siècle, à l'existence de la tombe de Marie Madeleine à Ephèse, il serait surprenant que l'attestation de cette présence ait surgit spontanément à cette époque :
Aux environs de 448, on découvre à Ephèse sept jeunes gens "endormis" dans une grotte sous la protection des restes d'une sainte qu'on dit être Marie Madeleine, restes réunis dans une petite tombe à l'entrée de la grotte .. Ces corps sont attribués à des martyrs d'une persécution ayant eu lieu deux siècles auparavant.

Cela suppose l'existence d'une tradition selon laquelle cette Sainte aurait vécu en ermite dans une grotte des collines d'Ephèse, tandis que Marie aurait logé, avec St Jean, sur les hauteurs voisines… La vie très retirée de petites communautés sans relations entre elles, comme c'était le cas, à Ephèse, d'après les Actes des Apôtres, en ce qui concerne les communautés relevant de St Jean Baptiste lors de la venue de St Paul, peut justifier qu'elles n'aient pas été mentionnées dans les textes. Plus fondamentalement, la considération d'un "domaine subtil" permet d'envisager une présence indépendamment des réalités historiques, comme c'est le cas pour les légendes provençales.
Il en est de même à Lyon, avec le cheminement supposé d'un fonds obscur aboutissant aux premiers témoignages écrits relatifs aussi bien à la Vierge Marie qu'à Marie Madeleine. Nous partirons de ceux concernant cette dernière sainte :
D'après Saxer, (39) : "A Lyon sur la colline de Fourvière, on ne sait pas exactement quand et comment le culte de la Sainte est apparu. Une vigne de la Madeleine est signalée dès avant la XIIe siècle par le Barbet du chapitre…Ce n'est pas une chapelle qui lui a donné ce nom (subsistant encore) à la fin du XIIIe siècle. On n'en a fondé une sous son vocable dans l'église de Fourvière (40) qu'au siècle suivant. Elle est nommée pour la première fois en 1394… "
Ce n'est pas en effet à l'église de Fourvière qu'il faut rattacher la vigne de la Madeleine. Nous allons en trouver la raison dans d'autres documents :
L'inventaire, en 1531, des reliques vénérées dans l'église d'Ainay comporte la mention suivante : "Dans la chapelle de la bienheureuse Magdeleine et de Sainte Blandine il y a une châsse où sont les reliques des dix mille martyrs". (41)

(39) Le culte de Marie Madeleine en Occident, Paris 1959, p. 247.

(40) Fourvière et son pèlerinage remonterait au XIIe siècle.

(41) Item in capella Beatae Magdalenae et sanctae Blandinae est une casso in quo sunt rellquiae decem mil martyrum. A. Chagny : La Basilique Saint-Martin d'Ainay et ses annexes. Lyon, 1935, p. 232.
Il ne s'agit pas de la chapelle actuelle de Ste Blandine qui constituait à l'origine l'ancienne église St-Pierre et dans la crypte de laquelle St-Pothin passait pour avoir été enfermé.

La chapelle en question est mentionnée en 1353 sous le seul nom de "chapelle de la bienheureuse Marie Magdeleine" (42) sur une pierre tombale actuellement scellée au mur intérieur du porche latéral gauche de la Basilique d'Ainay. (43) L'inscription du XIVe siècle précise que la chapelle avait été alors "réédifiée" et existait donc plusieurs siècles auparavant. On la situe comme accolée à la partie Est de l'ancien cloître d'Ainay, donc au Nord-est de l'église.

Ainsi dans la Basilique d'Ainay dont l'origine, d'après la Mure (44) serait un oratoire édifié par les chrétiens ayant survécu à la persécution de 177, se trouve le témoignage, lié à Sainte Madeleine, de la persécution de 202 où moururent, avec St Irénée, dix mille martyrs. (45) Or si les cendres des 48 martyrs de la première persécution ont été jetées dans le Rhône (à l'exception de ce que des fidèles en avaient pu recueillir) (46), les corps des très nombreux martyrs de la deuxième persécution ont été enterrés dans l'immense nécropole qui a été retrouvée entre les églises St Irénée et St Just. On y a trouvé de nombreux sarcophages, du IIIe au VIIIe siècle. Ces deux églises sont reliées

(42) Sans celui de Ste Blandine qui a pu être omis pour abréger le travail du graveur de la pierre.

(43) Chagny, op. cit. p. 310-312.

(44) La Mure : Chronique de l'abbaye d'Ainay publiée par Georges Guigue, Lyon, 1885, p.98.

(45) 19000 d'après La Mure, sans compter les femmes et les petits enfants!" La Mure : Histoire ecclésiastique du diocèse de Lyon, 1671. p. 15.

(46) D'après La Mure, id. p. 7, les cendres jetées dans le Rhône auraient été rejetées sur le rivage et placées dans la crypte de l'église actuelle de St-Nizier où St-Pothin aurait déjà placé une Image qu'il avait apportée d'Orient" ; (p. 8).

par la rue dite des Macchabées, ce nom de "Maccabées" étant celui de la première église de St Just. (47)

On trouve-là l'explication de la "vigne de la Madeleine" que Saxer situait sous Fourvière mais qui ne pouvait être qu'un peu plus au Sud, sur la colline, entre les églises de St Georges et de St Just, là où le plan scénographique de 1550 environ reproduit l'image d'un petit édifice qu'il nomme "Magdeleine".
Il était tout à fait normal qu'une chapelle, une récluserie dédiée à la Sainte ait été édifiée à proximité d'une nécropole de martyrs, tout comme à Ephèse le reliquaire de Madeleine à l'entrée de la grotte des Sept Dormants. (48)

Analogie de plus : la nécropole lyonnaise était dédiée aux Maccabées. Il était en effet très normal que les martyrs du IIIe siècle fussent rapprochés des martyrs juifs de la persécution d'Antiochus Epiphane, au IIe siècle avant Jésus Christ. Mais l'analogie se poursuit avec la Légende des Sept Dormants d'Ephèse, car il est bien certain que cette Légende a pour origine le récit, au chapitre 7 du 2° Livre des Maccabées, de sept frères martyrs et de leur mère, récit regardé comme une "composition littéraire" résumant un

(47) La Mure : Histoire ecclésiastique, p. 28. Fête le 14 Juillet.

(48) Il en est de même du prieuré de "La Magdeleine de la Calme" ou "Magdeleine des Bols", dépendance d'Ainay, qui a donné son nom à la petite chaine de montagnes prolongeant celle du Forez et dominant la plaine du Roannais. Il s'agit d'une église mentionnée en 1153 dans le Cartulalre d'Ainay, puis sous le nom de prieuré plus tard et dans le Cartulaire de Savigny. Elle gardait vraisemblablement une nécropole, non de martyrs, mais de populations massacrées sur les hauteurs où elles s'étalent réfugiées pour fuir les Invasions barbares. Cf. l'ouvrage de Jean canard : La Madeleine de la Chalme, Roanne, 1976.

grand nombre de faits historiques sous le symbolisme des nombres 7 et 8. (49)
Lorsque, d'après la Mure (50), l'église d'Ainay eut été réédifiée par Brunehaut, entre 600 et 612 et dédiée en l'honneur de St Martin, on connaissait par Grégoire de Tours et les moines de Marmoutier la Légende des Sept Dormants. Ce peut être l'origine d'une future chapelle de Madeleine et de Blandine, en liaison avec les nécropoles situées exactement en face d'Ainay, de l'autre côté de la Saône.

(49) Cf. : la Légende des Sept Dormants.
(50) Histoire ecclésiastique. p. 98.


VI – MARIE MADELEINE ET LES ÉCRITS GNOSTIQUES



Marie Madeleine tient une place importante dans un certain nombre d'écrits "gnostiques" : la Pistis Sophia, les Livres du Sauveur, l'Évangile de Marie, la Sophia de Jésus, l'Évangile de Philippe, la fin de l'Évangile de Thomas, et d'autres encore. (1)
Il est bien évident que ce qui est dit de Marie dans ces écrits est purement imaginaire et n'a pas de fondement historique. Cependant il ne nous paraît pas possible de les négliger dans une étude sur Marie de Magdala et cela pour plusieurs raisons :
Tout d'abord, l'image de Marie Madeleine qui en est donnée est celle que se représentait un milieu proche de celui où elle avait vécu. La Sainte est contemporaine de ce Nicolas, le septième des diacres institués par les Apôtres peu après l'Ascension de Jésus. On attribue à Nicolas la secte des Nicolaïtes dont Jean, dans l'Apocalypse, fait le reproche aux Églises de Pergame et d'Ephèse.

Cette secte est rattachée par Irénée (2) aux gnostiques et alors que cet auteur attribue à Cérinthe (3) un contemporain de St Jean qui l'aurait côtoyé à Ephèse, des idées qui ne sont pas caractéristiques du gnosticisme, il est au contraire admis que les gnostiques n'avaient pas tous les scrupules des chrétiens orthodoxes pour éviter le martyre en mangeant des viandes offertes aux idoles, comme, d'après Irénée, le faisait Nicolas.

(1) Doresse : Les livres secrets des gnostiques d'Égypte, éd. du Rocher, 1984, p 273, note 82.

(2) Contre les hérésies, 1, 26, 3, Le Cerf, 1985.

(3) Op. cit., 1, 26, 1.

L'imaginaire des écrits gnostiques n'était donc pas uniquement dépendant des récits Évangéliques concernant la présence de Marie de Magdala à la Résurrection et celle-ci pouvait, dans ces textes, prendre les traits d'une femme appartenant au monde dont elle faisait ou avait fait partie.
Deuxième raison : Les gnostiques, avec la personne de Marie Madeleine, mettent en évidence la place éminente de la femme dans la religion, alors qu'il n'en est pas ainsi dans les Écrits orthodoxes de cette époque. C'est du moins ce que croit devoir soutenir Elaine Pagels, une américaine docteur de l’Université d’ Harvard, qui s'est spécialisée dans l'étude des documents découverts en 1947 à Nag-Hammadi :
" Ces textes, dit-elle (4), démontrent une différence particulièrement frappante entre ces sources hérétiques et les sources orthodoxes. Les sources gnostiques ne cessent d'utiliser un symbolisme sexuel dans la description de Dieu ... Pour la plupart, leur expression est spécifiquement chrétienne, liée, à n'en pas douter, à un héritage judaïque (5)…Tout un ensemble de sources gnostiques se réclament d'une tradition secrète provenant de Jésus par l'intermédiaire de Jacques et de Marie Madeleine".

(4) Les Évangiles secrets, Gallimard. 1982, P. 92
(5) Allusion à la ruah hébraïque (la ruhâ araméenne)

S'interrogeant sur la raison pour laquelle, suivant son expression, "lorsque fut achevé le classement des divers Écrits, - guère avant l'an 200 probablement - toutes les représentations féminines de Dieu avaient disparu de la tradition chrétienne orthodoxe" (6), l'auteur en question y trouve des raisons d'ordre pratique : le refus de laisser les femmes exercer des fonctions dans l'Église, refus catégorique de la 1re Épître à Timothée (7), ou limité à la défense d'exercer des fonctions supérieures comme l'enseignement et la distribution des sacrements.

De fait, Irénée, en caricaturant les gnostiques, ironise sur "l'Assistante de Dieu et du mystique Silence antérieur aux Eons", celle à qui les Grandeurs recourent "comme à un guide et une conductrice". (8) Il reproche aux plus caractéristiques de leurs représentants de faire prophétiser les femmes, surtout "les plus élégantes et les plus riches", ajoute-t-il sans bienveillance. (9) Il s'indigne surtout des déviations de leurs maîtres en matière de mœurs.

(6) op. cit. p. 101.

(7) "Je ne permets pas à la femme d'enseigner ni de faire la loi à l’homme, qu'elle se tienne en silence" (11, 12).

(8) op. cit. 1. 13, 6.

(9) Id. 1. 13, 3.

Pour Tertullien (10) les femmes gnostiques ne craignent pas d'enseigner, voire de baptiser. (11)
Que penser de tout cela ? En ce qui concerne le premier point évoqué par Elaine Pagels, les représentants de la tradition "orthodoxe" ne peuvent nier que la Femme soit présente dans la Pensée divine, puisqu'elle a été créée par Dieu, mais ils sont obsédés par les dangers d'une conception "dualiste".

D'autre part, il faut bien constater que si les femmes sont présentes dans les Évangiles, elles sont étrangement absentes des autres écrits du Nouveau Testament. Toute communauté y est bien représentée par la Femme, comme dans le Judaïsme. C'est la "Dame élue" de la 2e Épître de St Jean, l'"Épouse", dans St Paul et l'Apocalypse, mais cette communauté est composée essentiellement d'hommes qui craignent le voisinage des femmes représentant pour eux la chair et son impureté.
Irénée s'étend, avec juste raison, sur les dangers auxquels des communautés gnostiques ont succombé, mais quand il s'étonne des ravages que les gnostiques faisaient dans la vallée du Rhône (12), il passe sous silence le fait qu'elles avaient davantage que les hommes la curiosité d'esprit et le goût du mystère, héritage de leur lointaine Ancêtre. Il faudra attendre des siècles de réflexions religieuses pour que la Vierge Marie soit reconnue comme au-dessus des anges et que, dans le Judaïsme, la Kabbale introduise la "fiancée Shabbat" comme élément féminin dans les attributs divins, cela d'une façon autrement avisée et enrichissante que le gnosticisme n'a pu le faire.

(10) Cité par Pagels, op. cit. p. 104.

(11) Toutefois les gnostiques transposaient la supériorité masculine dans le domaine spirituel. Dans la Pistis Sophia. Marie Madeleine parle de l'"Homme de Lumière" qui est en elle, et, dans l'"Évangile de Thomas, elle doit devenir mâle pour être esprit vivant.

(12) op. cit. 1. 13,7.


Mais la raison principale qui nous amène à considérer l'image de Marie Madeleine dans les Écrits gnostiques, c'est qu'ils nous introduisent dans un domaine que les Évangiles n'ont fait qu'effleurer :
Pourquoi Marie Madeleine était-elle sous l'emprise de sept démons et comment en a-t-elle été délivrée ? Quel dialogue a-t-elle pu avoir avec Jésus après la Résurrection ?
C'est en effet de façon très vivante que Marie Madeleine est présentée dans ces textes, principalement dans la Pistis Sophia mais aussi d'autres écrits provenant de Nag Hammadi. On y voit la Sainte se défendant avec grâce mais fermeté des autres Apôtres, surtout de Pierre qui, malgré sa sainteté, paraît vexé du rôle prééminent donné à une femme.

D'autre part, l'attitude de crainte respectueuse qu'a Marie Madeleine en face de Jésus est typiquement celle du disciple envers son Maître spirituel, avec une nuance féminine de soumission qui n'apparaît pas chez les autres Apôtres, mais qui rejoint pourtant celle d'Abraham demandant à Dieu la grâce de Sodome et de Gomorrhe. Une formule telle que la suivante revient presque à chaque page :
"Jésus ayant dit ces paroles à ses disciples, Marie s'avança, belle en son élocution, bienheureuse. Elle se prosterna aux pieds de Jésus et dit : "Mon Seigneur, souffre que je parle en ta présence et ne te mets pas en colère contre moi si je te cause souffrance une foule de fois en t'interrogeant". (13)

Mais c'est le contenu lui-même du traité qui est particulièrement évocateur de ce qu'a pu être Marie Madeleine, en totale vraisemblance avec ce qu'en disent les Évangiles ainsi que la tradition qui a suivi. Il s'agit d'ailleurs aussi bien de la Madeleine que de Marie de Béthanie, car elle est associée dans l'Écrit à Marthe et à Salomé. Elle est dite tantôt Marie (bien distincte de la mère de Jésus discrètement évoquée), tantôt Marie Madeleine.
Elle s'identifie en fait avec la Sophia du traité qui est appelée "Pistis", c'est-à-dire "Foi", "Fidélité", ce mot grec correspondant à l'hébreu emounah, de même que Sophia correspond à la Hokhmah hébraïque (la "Sagesse"), qui apparaît dans d'autres traités sous la forme Akhamot. (14)

Ce ne peut être une faute du copiste quand, parlant de la Sophia, Marie dit à Jésus :

(13) Les citations de la Pistis Sophia sont prises à la traduction du copte par E. Amélineau. Paris, Chamuel 1895. reproduction Archè 1975. Ici p. 18.

(14) l'Évangile de Philippe distingue Ekhamôth (la grande Sophia) de Ekhmôth (la Sophia de la mort). (Doresse : Les livres secrets des gnostiques d'Égypte. Ed. du Rocher, 1984. p. 242). Sophia est très souvent appelée Prounicos. Ce mot (qu’on traduit généralement par "attouchement lascif") vient du grec propherô, "produire" et correspond exactement à la Prakriti hindoue. Cf. Anthologie Palatine. XII. 209.


"afin de "me" sauver du chaos". (15) Tout le premier livre du traité décrit les pénitences par lesquelles Sophia mérite d'être sauvée du démon appelé Iadalmaôt (16) et de ses acolytes.
Il faut ici évoquer ce qui, contrairement aux propos de l'allemand Harnack (17), n'est pas "d'une lecture embrouillée, fastidieuse et remplie des élucubrations de l'imagination gnostique".
En très simplifié, voici le thème de ce traité probablement écrit en grec, mais connu par un seul exemplaire traduit en copte qui a été découvert au XVIIIe siècle en Égypte à peu près à la même époque que le voyageur écossais Bruce découvrait à Thèbes d'autres écrits gnostiques provenant probablement de la même nécropole thébaine. (18)

La pureté du ciel égyptien a en effet permis la conservation de parchemins et de papyrus tels que ceux de la grande découverte de Nag Hammadi (à 100 kilomètres de Louqsor, dans une boucle du Nil), en 1947.
Il s'agit donc d'une entité (un aeon) appartenant à un monde intermédiaire entre celui de la Lumière et celui des Ténèbres et cette Sophia aspirant à la Lumière d'en haut, a cru l'apercevoir dans le monde d'en bas où elle a été précipitée de ce fait et soumise à cet Adalbaot (19) à face de lion qui rappelle ler Satan de la 1re Épître de Pierre, 5, 8, semblable à "un lion rugissant qui cherche à engloutir".

La situation de cette Sophia est donc identique à celle de Marie Madeleine lorsqu'elle était au pouvoir de sept démons.
Ici le chef des démons est précisé comme étant le père de sept fils. Dans d'autres traités gnostiques cet Adalbaot est appelé Samaël et Sacla. (20) Samaël est, dans l'exégèse juive, (midrash et Zohar), le Serpent de la Genèse, l'ange d'Esaü, c'est-à-dire d'Edom et de Rome, dont la fonction (qui le constitue, d'après Rachi) est d'éprouver le fidèle en l'ayant attiré dans une fausse lumière qui se change en tourments.

Particulièrement intéressant est le fait que la délivrance de Sophia s'opère en treize étapes successives (21) par des prières de pénitence qui sont littéralement tirées des Psaumes de la Bible, ainsi que de cinq des Odes de Salomon (22), écrits orthodoxes de la 2e moitié du Ile siècle.
Il n'y a donc-là rien de "gnostique" au mauvais sens du terme, c'est-à-dire d'hérétique : Sophia est exactement placée dans la situation des religieux chrétiens qui, au cours des siècles, n'ont pas cessé d'implorer la miséricorde divine par la récitation des Psaumes aux sept heures de la journée pour échapper au monde de la chair. Sophia

(15) op. cit. p. 61.

(16) On verra plus loin la signification de ce nom.

(17) Cité par H. Lelsegang : La Gnose, Petite Bibliothèque Payot. p, 247.

(18) Doresse, op. cit . p. 83-84.

(19) Il est curieux que la signification du nom d'Iadalbaôt n'ait été donnée que dans certains écrits et encore de manière fautive. Dans l'Hypostase des Archontes (citée, Doresse, p. 188), ce serait : "L'enfant qui traverse les lieux". Alors que c'est de "hébreu" : il engendre (Iodala) par (ba) le Signe (ôf). Cette entité est caractérisée par sa déclaration : "Je suis un dieu jaloux et il n'y a pas d'autre dieu que mol" (Livre secret de Jean, cité par Doresse, p. 222 et Irénée, l, 29, 3 et l, 30, 6). Il s'identifie ainsi à Satan qui s'approprie la parole du seigneur, selon Isaïe.

(20) Samaêl est glosé "le dieu aveugle" (Doresse, p. 195). En réalité c'est "poison de Dieu". Sacla a pour nombre 111.

(21) Sophia est le 13e éon, comme Dina est la 13e enfant de Jacob.

(22) Sur les Odes de Salomon, cf, le Supplément au Dictionnaire de la Bible, T. VI, col. 677 à 684.

et - au travers d'elle - Madeleine, apparaît ainsi comme le type même sous lequel on l'a imaginée dans les légendes et les traditions chrétiennes, faisant "pénitence" dans l'enclos d'une grotte, image des Ténèbres.
Tel est le 1er Livre de la Pistis Sophia qui se lit très bien et même clairement pour peu qu'on s'habitue à cette forme de langage. On peut dire qu'au lieu d'être un livre hérétique, déviation d'une tradition chrétienne, c'est un authentique christianisme plaqué sur un cadre antique, celui de l'angélologie que les Juifs ont recueillie des Perses dans l'exil de Babylone : Le Livre d’Hénoch est nommément cité. Les paroles tirées des Évangiles ne sont pas déformées de façon tendancieuse comme celles qu'Irénée rapporte d'hérétiques "gnostiques" ou comme beaucoup de celles de l'Évangile de Thomas.

Il n'y a pas de trace des déviations que les hérésiologues attribuaient aux gnostiques (et qui ont dû être réelles dans certaines sectes). Par exemple, les dépravations décrites par Épiphane sont, à la fin du traité (23) explicitement condamnées. D'autre part l'irréalité de la Passion de Jésus qu'on dit faire partie des doctrines gnostiques, ne se rencontre pas ici où elle serait en contradiction avec les Psaumes de Pénitence que le traité cite longuement :
"0 Dieu, sauve-moi, car des eaux sont entrées jusqu'à mon "âme ... (psaume 69 cité presque en entier) (pages 28-29).
"0 Seigneur, écoute ma prière et que ma voix arrive jusqu'à "toi" (psaume 102, cité pages 35-36).
"Mon Dieu, sauve-moi de la main du pécheur, de la main du "transgresseur de la Loi et de l'impie, car tu es mon "espérance, ô Seigneur, tu es mon espoir depuis mon enfance" (psaume 71 et page 31) etc.….

Le premier Livre du traité est suivi d'un second où il n'est plus autant question de pénitence, car Sophia a été délivrée, au moins partiellement et les multiples questions de Marie Madeleine portent alors sur cette angélologie complexe à laquelle il a été fait allusion.
Le ton est moins "chrétien", en ce sens qu'il s'agit surtout de "gnose", c'est-à-dire d'un monde dont la connaissance échappe à l'optique proprement religieuse. C'est pourtant intéressant, dans la mesure où la considération des anges n'a été envisagée, dans le christianisme, que plusieurs siècles plus tard, notamment avec les traités du Pseudo-Denys régulièrement étudiés - et avec passion - dans tout le cours du Moyen-âge. Que la Marie Madeleine de la tradition ait participé à de telles visions, à la manière d'une Thérèse d'Avila, cela n'a pas été rapporté.

Dans l'Évangile de Marie, Marie Madeleine, voyant le Seigneur dans une vision lui demande : "Comment celui qui a la vision la voit-il ? (A travers) l'âme (ou) à travers l'esprit ?" Il répondit que le visionnaire voit à travers l'esprit. (24)

(23) op. cit., p. 201, c’est-à-dire dans la partie intitulée livre du sauveur.

(24) Pagels, op. cit., p.51

Dans ce deuxième Livre, Marie Madeleine se présente comme l'Apôtre chargée de mission :
"Mon Seigneur, ne te mets pas en colère contre moi si je t'interroge sur toutes choses avec fermeté et assurance, car mes frères les annonceront dans la race de l'humanité, afin qu'ils écoutent, qu'ils se repentent, qu'ils soient sauvés des jugements durs des Archontes méchants, qu'ils entrent dans les Hauteurs et héritent le royaume de lumière"(page 103).

Elle intercède pour les disciples qui n'ont pas compris et qui sont découragés (page 111). Elle intercède aussi pour les morts auprès de la Vierge de Lumière (page 142).
Si elle se défend contre Pierre "qui l'a menacée et qui hait notre sexe" (25), elle se recommande de "Paul, notre frère" en citant son Épître aux Romains, 13,7 (26) ; mais, en femme avisée, elle est l'objet d'un éloge par Jésus : "Au lieu où je serai, dit-il, y seront aussi mes douze diacres, mais Marie Madeleine et Jean le vierge seront supérieurs à tous les disciples" (27),

En face de Jésus comme de son maître spirituel Marie Madeleine lui fait manifester son infinie miséricorde envers le pécheur qui se repent, qui retombe, et cela indéfiniment. Elle le consulte même en directeur de conscience pour ce qui concerne le problème des viandes impures qui tourmentait tellement les premiers chrétiens.
Cet écrit de la Pistis Sophia, complété ou confirmé par les riches trouvailles de Nag Hammadi, permet ainsi de suivre la Sainte dans les diverses étapes de sa vie : cédant d'abord à des lumières illusoires à l'image de Sophia qui, selon d'autres versions, croit se suffire à elle-même en n'écoutant que sa volonté propre et engendre, sans le secours des autres, le monstre dont elle devient l'esclave, cet Iadalbaôt dont les nom signifie : "Il engendre au moyen du Signe" (le signe de la Bête). Il engendre sept fils et Sophia, comme Madeleine est soumise à leur possession. (28)

A l'appel de Jésus, Madeleine entreprend un cycle de pénitences et répète les Psaumes qui évoquent la Passion de Jésus. Purifiée, sauvée, elle écoute sa parole, non point passivement, mais en l'interrogeant dans son désir de lumière. C'est en ce sens que le terme de "gnose" peut être pris, le besoin de connaissance qui caractérise les "gnostiques" ne devant légitimement être satisfait que dans l’amour pour le Maitre et l’amour que le Maitre a pour eux.

(25) op. cit., p. 83 et 199. Le même thème se retrouve dans la plupart des autres traités.

(26) Id. , p. 152.

(27) Id., p. 116. L'Évangile de Philippe s'exprime sous une forme plus "gnostique" : "Le Christ aimait Madeleine plus que tous les disciples". Ils lui dirent : "Pourquoi l'aimes-tu plus que nous ?" Le sauveur leur répondit en disant : "Pourquoi ne vous aimé-je pas comme elle (je l'aime) ? cf. Pagels, op. cit .. p. 16.

(28) Doresse. op. cit., p. 231 et Irénée. 1. 30, 4 à 6.


VII – LA FEMME ÉTRANGÈRE



Dans le besoin que l'on a, que l'on a d'ailleurs eu tout au cours des siècles, de se représenter la figure, le personnage de Marie de Magdala, d'après le peu qu'en disent les Évangiles, on peut s'inspirer de trois attitudes correspondant aux mentions faites successivement de la Sainte dans les Écritures :
Habitante d'une ville, Magdala, aux nombreux étrangers, elle était, dit le texte, sous la possession de sept démons. Délivrée d'eux par Jésus, elle suivit celui-ci et assista à la crucifixion, tout auprès de la croix. Enfin le lendemain du Sabbat, elle se rendit au tombeau avec un vase d'aromates et se trouva en face du Christ ressuscité.

La première phase, celle de la possession de démons, a laissé sa trace dans la représentation qu'on s'est faite de la Sainte magnifiquement vêtue comme elle l'était avant sa conversion, avec ses longs cheveux dénoués sur ses épaules. Il est évident qu'elle ne pouvait pas accompagner Jésus dans ce costume et que sa tête était alors couverte d'un voile. Les peintures d'elle au Calvaire correspondent donc à un état antérieur, soit qu'elle ait auparavant mené une vie mondaine, soit qu'elle ait exercé, comme le dit le Talmud, le métier de coiffeuse, ou encore de parfumeuse, d'après une autre tradition, professions en rapport avec des étrangers à la Loi mosaïque.

Les Évangiles disent seulement qu'elle était présente au Golgotha. Or sans aucune exception on la figure agenouillée au pied de la croix, en embrassant le bois, avec les pieds de Jésus.
Après la Résurrection, elle est toujours représentée avec un vase qu'elle porte à la main. C'est ce caractère qui permet de la reconnaître sur les statues ou dans les mises au tombeau.
La tradition populaire a retrouvé les mêmes caractères dans un personnage historique et en partie légendaire de l'Ancien Testament, une femme étrangère. Les rapprocher l'une et l'autre sera le thème de la présente étude.
L'image de Marie Madeleine au pied de la croix conduit à la légende de cette croix, telle qu'elle s'est créée à partir de l'assimilation faite par les Pères de l'Église entre la croix de Jésus et l'arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, arbre qui se superpose à celui de Vie, l'un et l'autre situés, dans l'Écriture, au centre du Paradis Terrestre.

Si l'on a, jusqu'à notre époque, figuré le crâne d'Adam au pied de la croix de Jésus (2), c'est qu'on a cru qu'Adam avait été enterré sur le Golgotha dont le nom signifie "crâne"... Cela correspond à la conception religieuse de St Paul : Jésus est le nouvel Adam et renouvelle l'homme par le bois de la croix.

(2) C’est pourquoi Marie Madeleine est généralement représentée avec un livre ouvert sur lequel est posé un crane humain.

Allant plus loin dans cette voie, le Moyen-âge a imaginé que ce bois provenait d'un rejeton de l'arbre de la Connaissance. Seth, le fils d'Adam l'aurait reçu d'un ange du Paradis pour le planter sur la sépulture d'Adam, c'est-à-dire sur le Golgotha.
Au cours des temps, ce rejeton devint un bel arbre, si bien que les constructeurs du Temple de Salomon voulurent lui faire sa place dans le bâtiment. On suit ici la correspondance entre le Temple et le corps de Jésus sur la croix, corps que lui-même avait assimilé au Temple. Salomon, par son nom de "Pacifique", est aussi un prototype de Jésus.

A partir de là se diversifie la Légende. Avant la fin du XIIe siècle l'ouvrage intitulé Post peccatum Adae ("après le péché d'Adam") dit que la poutre tirée de cet arbre ayant été mise comme un banc dans le Temple :
"une femme nommée Maximilla survint qui s'assit imprudemment sur la poutre, et au même moment ses vêtements se mirent à flamber comme des étoupes. Sur quoi elle entra en transe prophétique et se mit à invoquer le nom de Jésus. Les Juifs se saisirent d'elle comme d'une blasphématrice et d'une démoniaque et l'entraînèrent hors des portes de la ville où elle fut lapidée. Elle fut ainsi le premier être humain qui ait subi le martyre au nom du Christ". (3)

Une femme qui s'assied sur le bois de la future croix de Jésus, c'est une première ressemblance avec Marie Madeleine embrassant cette croix. (4)
Un siècle plus tard, la Légende dorée de Jacques de Voragine, à la date du 3 mai, jour de l'Invention de la Sainte Croix, s'inspire de l'ouvrage antérieur de Jean Beleth (5) : La poutre dont il a été parlé devait être employée dans la construction du Temple de Salomon, mais chaque fois qu'ils voulaient la placer, les bâtisseurs la trouvaient ou trop longue ou trop courte, de sorte qu'ils finirent par la rejeter à l'extérieur et qu'elle servit de pont pour traverser le torrent du Cédron.

Lorsque la Reine de Saba vint à Jérusalem pour consulter Salomon, celui-ci l'attendait d'un côté du torrent et, pour le franchir, la Reine devait mettre le pied sur le pont. Mais étant prophétesse, comme l'était Maximilla, elle eut l'inspiration que cette poutre devait un jour supporter le Sauveur du monde et elle ne voulut pas la fouler de ses pieds. (6)

(3) Jeanne Lucien Herr : La Reine de Saba et le bois de la Croix, dans la Revue archéologique, T. XXIII, janv. fév. 1914, p. 22-23.

(4) On peut noter, à l'époque de l'ouvrage en question, une allusion possible au nom de Maximin dans celui de Maximilla.

(5) Rationale divinorum officiorum, ch. 151 (Migne, P.L. t. 202), fin du XIIe siècle.

(6) La scène est représentée fréquemment aux XVè et XVIè siècles : Miniature des heures de Turin, fresques d'Agnolo Gaddi, de Cenni, de Piero della Francesca, vitraux de St- Martin-ès-Vignes et de St Pantaléon à Troyes.

On a ici encore, avec Salomon et la Femme séparés et réunis par le bois de la Croix, la correspondance avec la représentation du Calvaire : Jésus, Marie Madeleine et la Croix.
Cela nous invite à poursuivre le rapprochement entre les deux personnages féminins dans les autres situations où ils sont représentés :
Marie de Magdala possédée de sept démons : on a précédemment interprété ces démons en les rattachant aux sept péchés capitaux. La référence au judaïsme en donne une image plus conforme au milieu où vivait Marie Madeleine.
Le chapitre XI du 1er Livre des Rois dit en effet que "Salomon aima beaucoup de femmes étrangères (en hébreu: nakriyyôt) et notamment la fille de Pharaon" (v.I). Le texte précise qu'il y en eût 700 du titre de princesses (sarôt) (v.3.). "Elles firent dévier son cœur à la suite d'autres dieux (v.4), car ces femmes étrangères sacrifiaient à leurs dieux (v.14).

Aussi Dieu suscita un Satan (un adversaire) à Salomon (v.23)". Le Livre des Proverbes attribué à Salomon assimile constamment les ennemis qui écartent l'homme du vrai Dieu à la femme étrangère aux paroles trompeuses. En hébreu celle-ci porte deux épithètes : zarah et nakriyyah. Zarah vient de la racine ZWR : "se détourner", devenir étranger" qui se retrouve dans l'arabe zour : "mensonge", "idole", "vanité". Nakriyyah vient de la racine NKR : "se déguiser" qui a le même sens en arabe (nakara) et en akkadien (nakâru).

Une telle femme s'identifie aux enfers et à la mort : "Ses pieds descendent à la mort ; au shéol aboutissent ses pas". (Prov. 5, 5).
"Sa maison est le chemin du shéol qui descend aux chambres de la mort". (Prov. 7, 27).
La femme étrangère représente la tentation à laquelle les Hébreux ont été constamment soumis depuis leur arrivée en Terre Sainte et particulièrement après la captivité d'Égypte. Au contact des populations cananéennes ils ont été séduits par leurs hauts lieux, leur culte des arbres et de la luxuriance de la terre, culte auquel s'opposaient les prophètes au premier rang desquels Élie dont l'ennemie mortelle était précisément une femme étrangère. (7)

La description hallucinante que le chapitre 7 du Livre des proverbes fait de la tentatrice, à l'heure des ténèbres, à la nouvelle lune, peut donner une idée de ce qu'était Marie de Magdala au temps où elle était en possession des démons. Avant elle, ce type de "femme étrangère" s'était incarné en plusieurs personnages aux prises avec la tradition juive :
Le Zohar, III, 77 a, se réfère aux révélations faites au Roi Salomon dans le "Livre du Roi Asmodée". Asmodée est, dans le Talmud, le prince des démons, notamment ceux de la colère et de la luxure. (8)
Il apparaît dans la Bible à propos de Sarra, la future femme de Tobie dont il avait tué les sept premiers maris. Il s'identifie à Samaël, le Serpent qui a introduit son venin dans la première femme, Ève, laquelle l'a transmis à Adam. (9)
"La femelle de Samaël est aussi appelée serpent, femme adultère, "fin de toute chair, fin des jours". (10) Le Zohar reprend à ce sujet les descriptions du Livre des Proverbes, mais de façon beaucoup plus réaliste.

(7) L'épreuve a d'ailleurs un aspect bénéfique. De même que les Hébreux, après la traversée du désert ont conquis la Terre de Canaan, le messianisme juif s'est donné pour mission de ramener la terre entière à la foi au Dieu unique.

(8) cf. Dictionnaire de la Bible de Vigouroux, 1. 1103.

(9) Zohar, 111. 76 a.

(10) Zohar, 1, 148 a, traduction Mopsik, 11, 314. Ces expressions désignent dans le Zohar l'Ange de la mort.

Ève souillée par le Serpent engendra Caïn dont la descendante, Na'ama est, dans le Zohar, le type même de la femme perverse, unie à Lilith, la démone, première épouse légendaire d'Adam.
"Rabbi Siméon dit : Na'ama était la mère des "démons car elle est sortie du flanc de Caïn... Elle se joignit à Lilith pour jouer avec les hommes". (11)
L'exégèse juive (12) a fait de cette Na'ama étrangère à la lignée de Seth l'épouse de Noé, donc aussi la mère de ses trois fils, ancêtres de l'humanité. C'était la contrepartie des épouses symboliques de Noé : dans la tradition juive Noé était en effet le mari de l'arche et aussi de la Terre, adamah, purifiée par le Déluge.

La tradition de Na'ama s'est poursuivie jusque dans le Coran qui la met en enfer avec la femme de Lot, et aussi dans les écrits juifs et chrétiens connus sous le nom d'"Oracles sibyllins" qui, sautant une génération, font dire à la Sibylle chaldéenne : "Je suis sa bru (de Noé) je suis de son sang" (III, 827), échappée à la mort, ballotée sur les flots, avec mon époux, mes beaux frères, mon beau-père (Noé) et ma belle-mère (Na'ama) (l, 300, s.)".

Comme cette Sibylle portait le nom de Sabbé, d'après Pausanias (13), elle a été, dans les Eglises grecque et arménienne, identifiée avec la Reine de Saba et cela (14) dès l'époque où Hélène, la mère de Constantin, retrouva sur le Golgotha le bois de la vraie croix. D'ailleurs, dans les légendes babyloniennes rapportées par l'historien grec Bérose au IVe siècle avant J.C., Noé vivrait immortel avec sa fille dans une île du monde souterrain.

Sur le rivage de la mer les textes placent une gardienne de la traversée qualifiée de sabitu, mot traduit par "sabéenne" ou "cabaretière". (15)
Toutes ces figures se recoupent pour évoquer la femme étrangère aux pouvoirs mystérieux, aux vertus prophétiques. Si la Bible ne fait allusion qu'aux énigmes proposées à Salomon par la Reine de Saba, la tradition juive postérieure lui a affecté une marque démoniaque, un pied velu comme celui des satyres (transformé en pied d'oie par l'iconographie chrétienne), infirmité dont l'aurait délivrée Salomon, comme Marie Madeleine l'a été par Jésus de ses démons. D'après le Coran (27, 44) qui a suivi ces légendes, la Reine du Midi, adoratrice du soleil, se serait convertie à l'Islam, soumise à Salomon, aslamtu m'a Sulaïmana. (16)

(11) Zohar. 1. 55 a. trad. Mopsik. 1. 281. Na'ama signifie "séduisante".

(12) Sur Gen. 4. 22 ., commentaire de Rachi.

(13) Phocide, ch. 12.

(14) Jeanne Lucien Herr, op. cit ... p. 18-19.

(15) Hélène aussi était cabaretière, avant d'être épousée par Constance : cf. St Ambroise De obitu Theodosii oratio, Migne, Patrologlie, T. XVIe, col. 1399.

(16) Les Juifs avaient fait de même de Rahab, la cabaretière qui avait accueilli à Jéricho les espions de Josué, le type de la prosélyte et l'épouse de Josué. L’expression "Reine du Midi" est celle employée par l’Evangile pour désigner la Reine de Saba. Elle évoque le Yémen et le pays du soleil.

Passant maintenant à la Madeleine purifiée et témoin de la Résurrection, nous la voyons arriver au tombeau de Jésus portant un vase d'aromates qu'elle pensait destinés à l'onction du corps du défunt. Ces aromates, mélange de myrrhe et d'aloès (17) préservent en effet de la putréfaction par leurs vertus d'astringence qui leur donnent un goût amer quand ils sont mâchés comme gommes ou mêlés à du vin comme boisson.

Ils constituent ainsi un substitut de la liqueur d'immortalité que l'on rencontre dans toutes les traditions.
Il nous faudra revenir, dans un prochain chapitre, sur les rapports entre Marie Madeleine et cette liqueur d'immortalité. Ici nous nous bornerons à marquer ce qui fait du récit évangélique une sorte de "midrash" du 1° du Livre des Rois.
Le chapitre X de ce Livre commence ainsi :
"La Reine de Saba entendit ce qu'on faisait "entendre de Salomon au nom de IHWH et alla éprouver celui-ci par des énigmes. Elle alla à Jérusalem avec beaucoup d'énormes richesses, des chameaux chargés d'aromates, d'or en abondance et de pierres précieuses. Elle alla à Salomon, lui dit tout ce qui était en son cœur. Salomon lui expliqua tout ce qu'elle lui avait dit. Il ne fut aucun dit que le Roi ne lui expliquât".

Que signifie "éprouver quelqu'un" ? N'est-ce pas, dans le contexte en question, chercher à reconnaître la présence ou non de sainteté et de sagesse en lui ? La Bible utilise le terme nissah (18) en deux sens opposés, l'un favorable, l'autre répréhensible :
"Dieu mit Abraham à l'épreuve (nissah)", Gen. 22,1 ; Gédéon demande à Dieu de faire l'épreuve de la Toison, Jug. 6, 39. A l'inverse, il est reproché aux Hébreux d'avoir tenté (nissah) Dieu aux eaux de Massa, Ex. 17, 7.

En face d'un maître spirituel, on est tenté de le mettre à l'épreuve, soit pour recevoir sa grâce, soit pour le mettre en difficulté. La dernière attitude est, dans l'Evangile, celle attribuée aux pharisiens, et aussi à l'apôtre Thomas, en face de Jésus. La première dut être celle de Marie de Magdala, dans son besoin d'être délivrée, comme aussi de la Reine de Saba qui vint confier à Salomon ce qui était en son cœur.
Que s'est-il passé dans le récit du rocher de Moïse où les Hébreux avaient "tenté Dieu" ? Le texte de l'Exode est complété par celui de Nombres, ch. 20.

(17) Cf. Jean, 19, 39

(18) Racine NSH

"Le peuple s'arrêta à Cadès, Miryam mourut en ce lieu et y fut ensevelie. Or la communauté manqua d'eau et le peuple chercha querelle à Moïse".
L'exégèse juive qui lie deux passages rapprochés de l'Ecriture, a conclu de ce texte que c'était Miryam qui procurait les puits dans le désert, puisqu'à sa mort il n'y eut plus d'eau et que Moïse dut frapper le rocher ou, d'après le Livre des Nombres (20, 8), lui "parler".
Ce rocher se confondait avec Dieu lui-même : "Je vais, dit-il, me tenir devant toi sur le rocher, tu frapperas "dans" (19) le rocher et il en sortira de l'eau" (Exode, 17, 6). Et St Paul dit que ce rocher était le Christ (lère Cor. X, 4).

La Reine de Saba devant Salomon et Marie Madeleine en présence de Jésus au matin de Pâques, c'est comme un "midrash" du récit du Pentateuque évoquant Miryam et le rocher. (20)
De ce rocher il jaillit de l'eau, de même que Jésus l'avait promis à la Samaritaine, autre type de la "femme étrangère". (21) Jésus avait demandé à celle-ci de l'eau puisée dans son vase. La Reine de Saba apportait à Salomon de la sève des arbres de son pays. L'encens et la myrrhe découlent de leur écorce dans les royaumes de Saba et du Yémen, ainsi que dans la Somalie voisine.

C'est un flot d'amertume que contenait le cœur de la Reine, ce cœur qu'elle a ouvert à Salomon "Jamais plus il n'arriva autant de baume qu'en donna la Reine de Saba au Roi Salomon" (l0 Rois, X, 10).
En échange, d'après la Légende, Salomon remplit sa coupe d'une eau rafraîchissante pour la Reine assoiffée. Cette coupe serait celle, d'un vert d'émeraude, qu'on vénère depuis le XIIe siècle dans la cathédrale de Gènes et que le XIIIe siècle a identifiée avec le Graal.
Qu'est devenue, à son retour du Sépulcre, la coupe de Madeleine débarrassée des aromates inutiles, coupe toujours présente au cours des siècles dans les représentations de la Sainte ? L'a-t-elle remplie de ses larmes amères ou du sang de Jésus recueilli par Joseph d'Arimathie quand il en avait lavé le corps ? Si le vase est dans toutes les traditions le symbole du cœur, il est bien certain que la Sainte est restée remplie de la pensée de Jésus et, puisque le texte du Livre des Rois mentionne explicitement le cœur de la Reine de Saba, ce cœur n'a-t-il pas déversé sur le royaume d'Ethiopie ce que Salomon avait pu mettre en lui de sainteté, et aussi d'amertume ?

(19) En hébreu : bi.

(20) Avec la nuance que Jésus dit à Marie : "Ne me touche pas" ou " Cesse de me toucher".

(21) De même Élie avec la veuve de Sarepta, autre femme étrangère.


VIII – MARIE MADELEINE SYMBOLE DE LA CONVERSION


S'il est un attribut particulier à Marie Madeleine, c'est bien l'image de la conversion. Pourquoi en est-il ainsi ? Sans doute en partie à cause de l'assimilation entre Marie de Magdala et la pécheresse de St Luc. N'a-t-elle pas aussi été délivrée de sept démons qui sont également mis en correspondance avec les sept péchés capitaux ? Après la Résurrection elle pleure abondamment et ses larmes rappellent celles de la pécheresse.

Dans la suite des temps, elle sera toujours représentée en ermite pleurant sa vie antérieure.
Qu'est-ce que la "conversion" ? Ce mot vient du latin versor, "tourner", précédé de la préposition cum dans le sens de dualité contraire. Il est associé avec celui de "pénitence", du latin paene, "presque" et "manque" (1). En grec, c'est metanoïa, "changement" de vie (2). En hébreu, conversion se dit teshuva, de la racine shuv, "retourner". Dans les textes de l'Ancien Testament, il est constamment question de la conversion de l'homme correspondant à la conversion de Dieu, mais généralement on emploie pour Dieu le terme naham qui a une nuance de miséricorde.

La même corrélation se trouve d'ailleurs à plusieurs reprises dans le Coran avec les racines tab et thab, correspondants linguistiques du shuv hébreu ; par exemple: "Celui qui reviendra (tâb) de sa faute, Dieu reviendra (iatoubou) vers lui" (Coran, 5, 43).
Les termes de "conversion" et de "pénitence" reviennent souvent dans les Evangiles synoptiques, mais, très curieusement, ils sont absents de l'Evangile de Jean et remplacés (3) par un jeu de gestes significatifs, Jésus "se retournant" à plusieurs reprises dans sa rencontre avec les premiers disciples en présence de Jean-Baptiste. C'est aussi le geste de Marie Madeleine après la Résurrection, quand Jésus lui apparaît.


Jean-Baptiste et la Pénitence



La première mention de pénitence dans les Evangiles est relative à la prédication et au baptême de Jean-Baptiste préparant les voies du Seigneur (4). Le processus de metanoïa, de changement de mentalité, est symbolisé à la fois par le rayon de lumière et par le courant d'eau. La lumière, comme l'eau, émane d'une source et se disperse. La conversion, le retour, est la marche inverse qui permet de revenir à la source de lumière ou à la source d'eau. L'image, dans l'Ancien Testament, était celle de la mer des joncs dont les eaux se retirèrent pour donner passage aux Hébreux, puis se refermèrent sur la cavalerie de Pharaon.

(1) Pokorny : Indogermanisches etymologisches Wörterbuch, 792, rattache à la même racine le latin patior, d'où "passion" et "patience".

(2) Littéralement "changement d'esprit, de connaissance".

(3) Cf. : Le midrash de l'Evangile de St Jean.

(4) Dans l'Evangile de Jean. Il y a une Inclusion, la personne de Jean-Baptiste au début de l'Evangile, correspondant à la fin, à celle du disciple bien aimé auquel la tradition a donné le même prénom de Jean.

Le même événement se reproduisit quand Josué fit traverser l'arche d'une rive à l'autre du Jourdain pour gagner la Terre sainte. D'où l'allusion du psaume de Pâques : "Pourquoi, Jourdain, es-tu revenu en arrière" ?
Le baptême de Pénitence de Jean-Baptiste se faisait dans l'eau courante du Jourdain et, à la suite, le baptême chrétien exige une eau en mouvement, soit qu'elle arrive par des canaux dans une piscine, ou qu'elle soit versée d'un récipient. Le baptisé sépare en deux parties les eaux qui se referment sur lui. Dans les figurations du baptême de Jésus, les eaux sortent d'un vase représentant la source du Jourdain, montent sur Jésus, puis retournent vers la source, tandis que les eaux supérieures s'ouvrent pour laisser passer la voix ou la colombe. Ce qui se passe au début de l'Evangile a sa correspondance à la fin quand les eaux s'écoulent du côté de Jésus et les larmes des yeux de Madeleine.


Élie et la Conversion


Jean-Baptiste est toujours associé à Elie, jusque dans les paroles de Jésus à son égard. Dans le judaïsme, la conversion est attribuée à Elie suivant la parole du prophète Malachie (3,24) "Il ramènera le cœur des pères vers les fils et le cœur des fils vers leurs pères". "Ramener" traduit toujours le mot shuv de la conversion.
Pourquoi Elie est-il le symbole de la conversion ? Les raisons en sont multiples. L'une d'elles est que, dans le Livre des Rois, soumis aux menaces de Jézabel, il s'est couché sous un genêt en attendant la mort et fut réveillé par un ange qui le guida jusqu'à l'Horeb, c'est-à-dire à la source de la Révélation, en suivant le chemin inverse de celui des Hébreux dans l'Exode.

Élie a aussi traversé le Jourdain sur son manteau, à la façon des Hébreux et de l'arche, pour pénétrer ensuite dans les eaux supérieures sur un char de feu. Mais l'essentiel nous paraît être qu'à l'image des anciens faiseurs de pluie, Elie a fait "revenir" l'eau du ciel après une sécheresse de trois ans, de même que, par son geste symbolique, en présence des prophètes de Jézabel, il avait fait venir le feu du ciel en versant de l'eau sur l'autel.

D'ailleurs toute la vie d'Elie est caractérisée par ses allées et venues et ses retours. C'est pourquoi la tradition juive le fait "revenir" constamment dans le cours des temps pour rétablir l'ordre et protéger les persécutés. Sa place lui est réservée le jour de Pâques et à la circoncision.

Le christianisme a suivi la tradition juive en interprétant comme Elie l'un des deux témoins revenant à la fin des temps (au chapitre XI de l'Apocalypse) pour préparer le "retour" du Messie. Les chrétiens du Proche-Orient ont attribué à Elie, qu'ils vénèrent comme un saint, l'épithète de viridis, c'est-à-dire de "verdoyant" qui lui convient puisqu'il fait revenir l'eau sur terre (5).

(5) Dans son livre : El-Khadr and the prophet Elijah. Jérusalem 1972. A. Augustinovic a décrit les nombreux sanctuaires du Proche-Orient dédiés alternativement ou simultanément à Elie, à St Georges et au personnage Khidr dont Il va être question, Le nom de Georges signifie "celui qui cultive la terre", Il pénètre la terre comme la pluie ou comme Il le fait du dragon avec sa lance, On verra plus loin la correspondance des dates de la fête de St Georges et de celle de St Elie.

L'Islam fait de même en confondant Elie avec le personnage mystérieux qui apparaît dans la sourate (18) du Coran, celle de la Caverne, personnage qui rencontre Moïse à la source d'immortalité et qui lui fait reconnaître cette source dans laquelle un poisson séché reprend vie (6). Cela se passe au "confluent des deux mers" (l'une douce, l'autre salée).
Les musulmans ont appelé ce personnage EI-Khidr (7), ce qui signifie le "Verdoyant", comme Elie chez les chrétiens. Quand ils le distinguent d'Elie, ils disent que le premier est le maître de la mer, le second de la terre. EI-Khidr est le gérant du pôle, dont l'axe vertical est figuré par la lettre arabe Qâf (8).

Elie est aussi en rapport à la fois avec l'axe vertical, puisqu'il monte au ciel et avec la mer et le fleuve. En état d'extase, il pressait son serviteur de guetter par sept fois l'horizon de la mer pour voir apparaître le nuage de pluie, la pluie qui descend du ciel étant aussi une image de l'axe vertical. Cet axe est aussi figuré par l'arbre verdoyant qui plonge ses racines dans l'eau, celle du fleuve ou d'une fontaine.

(6) La ville de Magdala s'appelait aussi Tarichées, "poisson séché". Coïncidence ?

(7) De la racine Khadhir: "être vert".

(8) Guénon fait remarquer que cette lettre qâf a le même nombre que maqam, le "lieu", en tant qu'état spirituel. Il en est de même en hébreu où la lettre qôf a le même nombre que maqôm, le "lieu spirituel", cf. le Livre Bahir


MARIE MADELEINE ET L’ARBRE A DOUBLE SENS


Dans le christianisme, cet arbre verdoyant est l'arbre de la Croix que la légende dit taillé dans un rejeton de l'arbre du Paradis, soit l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal, soit l'arbre de Vie. L'hymne de la messe du Vendredi-Saint le représente ainsi : "Flexe ramos arbor alta" : "Courbe tes branches arbre altier, assouplis cette raideur due à ta naissance ; pour les membres du roi d'en haut fais-toi une couche douce... Tu es l'arche pour le monde qui sombre, toi qu'a oint le sang sacré".

Bien que l'image ne soit pas à proprement parler dans l'Evangile, Marie Madeleine est toujours représentée au pied de la Croix, embrassant cette Croix et recevant ainsi sur elle le sang et les humeurs coulant du corps de Jésus. Elle s'identifie ainsi à l'arbre qui tire sa verdure de la liqueur d'immortalité.
Si l'on continue à suivre l'exégèse juive qui rapproche entre eux deux événements se succédant dans l'Ecriture Sainte, la ville où vivait cette pécheresse qu'on a rapprochée de Marie de Magdala est mentionnée alors que Jésus vient de ramener à la vie le fils unique d'une veuve de Naïm (Luc, 7, 11). Or naïm, en hébreu, signifie "beau", "délicieux" (cf. Cant. I, 16) La racine a donné Noémie et aussi Na'ama, littéralement la "séduisante".

On a vu que Na'ama, la descendante de Caïn et l'épouse de Noé (d'après la tradition juive) s'identifiait, dans le Zohar, avec Samaël qui est le Serpent de la Genèse. Ce serpent a conduit la femme dans le sentier des facilités qui mène à la mort. Ses remplis figurent soit la dance séductrice, soit les détours de la vie mondaine, mais redressé et fixé verticalement par Moïse sous la forme du serpent d’airain.

Il est source de vie au lieu de mort. Le nom de Samaël signifie "poison (sam) de Dieu". C’est le tentateur dont la fonction peut conduire l’homme à la vie. Les juifs ont fait, à ce sujet, une interprétation curieuse des Tables de la Loi.

Il est dit que ces Tables reçues de Dieu au Sinaï étaient écrites des deux côtés (Ex 32, 15). Ils ont alors remarqué que les seules lettres qui pouvaient se lire à l’endroit et à l’envers étaient le samekh et le mem qui sont des initiales de Samaël et de môt, la "mort" et forment aussi le nom de sam, "aromate" et "poison" à la fois.
C’est un symbole de conversion, du renversement qui fait passer de la mort à la vie, quand après s’être éloigné de la source, on s’en rapproche. Quand on s’en éloigne, on lui tourne le dos, on ne la voit plus, quand on s’en rapproche on l’a dans les yeux ; autrement dit, on passe de la vanité des choses à leur réalité.


MARIE MADELEINE ET LA TESHUVA


La kabbale qui personnifie le "retour", la teshuva, comme un attribut divin ne peut évidemment faire allusion à Marie de Magdala. Et pourtant ses conceptions, qu’elle a appliquées au couple de Jacob et de Rachel, se transposent d'elles-mêmes dans les rapports de Marie Madeleine et de Jésus.
Les développements infiniment subtils de la Kabbale s'appuient sur la situation des Hébreux délivrés des Egyptiens, puis des Babyloniens à leur retour d'exil. Cette délivrance a été assimilée au repos du sabbat et à la libération générale de l'année jubilaire. Le sabbat est le septième jour, l'année sabbatique clôt un cycle de sept années. C'est le Jubilé, du nom de la trompette qui annonçait l'année jubilaire avec l'arrivée du nombre cinquante qui est, en grec, le nom même de Pentecôte, en hébreu la "Fête des semaines".

Ce nombre cinquante est celui de l'attribut divin qu'on nomme "Intelligence", complémentaire de l'attribut de "Sagesse" dans la prophétie d'Isaïe où le christianisme a vu énumérés les dons de l'Esprit-Saint.
En hébreu, cet attribut d'Intelligence se nomme Binah et la Kabbale l'appelle la "Mère", tandis que la Sagesse, Hokhmah, est le "Père". Les grâces divines qui s'écoulent d'en haut entrent dans le monde d'en bas par la Mère et c'est aussi à elle que tout revient par la teshuva.
On dit pour cela qu'elle est la tête, moha, aux cinquante portes khamsin tar’in, correspondant aux cinquante mentions, dans la Tora, de la sortie de la terre d'Egypte (c'est-à-dire de la délivrance (Zohar, III, 262 a).
Ces attributs divins doivent se retrouver dans le nom ineffable IHWH (9), le I correspondant à la Sagesse et le premier H à l'Intelligence. Ces attributs sont inséparables, le Père et la Mère sont toujours unis. Il n'en est pas de même des attributs représentés par les deux lettres suivantes, le W étant dit le "Fils" et le second H la "Fille" ou le "Royaume", appelée en hébreu Malkhut et aussi la Shekhina, la Présence divine.

Le Fils est rapporté à Jacob, la Fille à Rachel. Le Fils et la Fille, le frère et la sœur, sont unis par l'amour (Hesed, autre attribut divin) et séparés parfois comme l'homme est séparé de la femme dans ses périodes d'impureté ou la Communauté d'Israël, identifiée à la Fille, l'est de son époux divin quand, manquant aux commandements, elle est chassée de la Terre Sainte en un lieu d'exil où cependant la Présence divine ne l'abandonne pas. De même Rachel ensevelie près de Bethléem, attend le retour de ses fils pour les accueillir (10).

Les subtilités de la Kabbale ont leur source dans l'exégèse juive la plus orthodoxe. Commentant le verset 24, 1 de la Genèse, "IHWH avait béni Abraham en tout", elle remarque d'abord que ce verset est immédiatement suivi de la recherche par Abraham d'une femme pour son fils Isaac.
Abraham voulait avoir une belle-fille. Le commentaire de Rachi va plus loin : "En tout", dit-il, "se dit en hébreu bakol et a le même nombre, 52 que ben, fils". Kol veut dire "tout" et a pour nombre 50 (comme l'attribut divin d'Intelligence, Binah qui contient tout).

La particule ba vaut 2 et, de même, ben est composé du N qui vaut 50 et du B=2. "Puisqu'Abraham avait un fils, ajoute Rachi, il fallait que celui-ci prenne femme". Les Kabbalistes en ont déduit logiquement que bakol désignait la fille d'Abraham (11) qui est aussi la fille de la Mère, Binah, (dont le nombre est 50 comme kol) et du Père, la Sagesse étant représentée par la lettre ba qui commence la Tora.
Pour trouver cette fille, il a fallu que le serviteur d'Abraham (comme plus tard Jacob avec Rachel) remonte à la source de la Tradition.

Cette source est ce qu'on a rencontré plus haut sous le nom de maqôm, le "lieu", le lieu d'origine de l'étincelle divine qui subsiste en tout être et peut être rejoint par la conversion.
Le Livre Bahir s'exprime ainsi à ce sujet : (12)
"Personne ne connaît son lieu (maqôm). Cela se "compare à la fille d'un roi venue de loin. L'on ne savait d'où (meaïn), jusqu'à ce que l'on vît qu'elle était une femme forte, belle et opportune en tout (bakol) ce qu'elle faisait. On disait alors : Elle vient sûrement du côté de la lumière, puisque, par ses actes, le monde devient lumière. On lui demanda : D'où viens-tu ? Elle répondit : De mon "lieu". On disait : S'il en est ainsi, les gens de ton lieu sont grands (gadoulim)."

(9) C'est le nom voyellé Jéhovah dans les Bibles chrétiennes anciennes, Yahvé dans les Bibles actuelles. au grand scandale des Juifs.

(10) Les alternances de séparation et de retrouvailles sont évoquées dans le Cantique des Cantiques.

(11) Et sa petite-fille Rachel.

(12) § 132. Ed. Verdier 1983, avec le texte mi-hébreu mi-araméen.

Le serviteur d'Abraham (Eliézer, son fils adoptif, d'après les Juifs), jouait le rôle de paranymphe, celui qui reconnaît à certains signes la femme destinée à l'époux et qui la lui amène. Ce rôle est, d'après ses propres paroles, celui de Jean-Baptiste auprès de Jésus.
Il se définit comme l'''ami de l'époux", ravi de joie à la voix de l'époux (Jn 3, 29). Jean-Baptiste était prophète et plus que prophète. Par sa prédication de la pénitence il apprend à l'Epouse comment plaire à son Epoux. Lorsque St Jean écrit dans l'Apocalypse, ch.22 : "L'Esprit et l'Epouse disent : Viens… Oui, viens, Seigneur Jésus", il désigne bien l'Esprit comme l'ami de l'Epoux qui apprend à l'Epouse ce qu'elle doit dire à son Epoux, comment elle doit l'appeler (13).


MARIE MADELEINE ET LE RETOUR CELESTE



Ce qui se passe sur la terre a sa correspondance - et sa source - dans les cieux. La course apparente des astres les fait revenir périodiquement. Le soleil revient chaque jour, du soir au matin et, chaque année, avec les solstices d'hiver et d'été. Il en est de même des planètes et des constellations. Le retour qui a le plus fait rêver l'Antiquité est celui de Sirius, la plus brillante des étoiles.
Sirius disparaissait du ciel nocturne, au début de notre ère, vers le 23 Avril et reparaissait la nuit à partir du 17 juillet, date à laquelle Sirius se levait le matin en même temps que le soleil.

Ce lever coïncidait avec le début de la crue du Nil et ce retour de Sirius était ainsi lié au même courant d'eau vive qu'on a signalé pour le Jourdain. Chez les Juifs, c'était, quarante jours après Pentecôte, la date de la destruction du veau d'or par Moïse, suivie du don des nouvelles Tables de la Loi.
Pour l'Egypte, Sirius était la déesse Isis, sous le nom de Sothis. Pour les Grecs, c'était le chien du chasseur Orion qui avait été transporté dans le ciel par Artémis. Dans le monde sémitique, en babylonien, comme en hébreu et en arabe (14), le nom du Chien était fait des trois consonnes K,L,B dont la somme numérique est 52, c'est-à-dire le nombre de bakol, la Fille, comme on vient de le voir, la Communauté d'Israël, l'épouse de celui que le Talmud et la Kabbale désignent comme le "Saint, béni-soit-il". Cette Fille est la Shekhinah, la parèdre de Métatron, prince des anges, dont le nom ancien était Yahoel.

Yahoel, comme Elie, unit les noms divins Yah et El et son nombre est également 52 (15). On a vu précédemment que le personnage de l'Ecriture personnifiant la conversion était Elie, avec son retour périodique jusqu'à la fin des temps dans la tradition juive et sa correspondance avec Jean-Baptiste dans les Evangiles. Le nom d'Elie, en Hébreu Elihou, a aussi pour nombre 52 (16).

(13 C'est l'expression araméenne Marana tha qui clôt la 1er Epitre aux Corinthiens. Le mot mar, "seigneur" est à l'origine du nom de Marie.
(14) Babylonien kalbu. hébreu kêlêb. arabe kalb.

(15) cf. SCholem : Les origines de la Kabbale. p. 100 et 201.

(16) Elle évoque le châtiment d'Achab et de son épouse l'ennemie d'Elie : "Les chiens dévoreront Jézabel" (1 Rois, 21, 19 et 23).

Ces correspondances n'étaient sans doute pas connues de tous dans le monde sémitique, mais imprégnaient l'ambiance, au début du christianisme. Une preuve en est dans l'évocation par le Coran du chien des Sept Dormants, à l'entrée de leur caverne qui se trouvait gardée par les reliques de Marie Madeleine, ce qui a conduit L. Massignon à rapprocher ce chien - c'est-à-dire Sirius - de la Sainte chrétienne. Ce rapprochement paraîtrait forcé si l'on ne considérait pas le calendrier de la liturgie chrétienne. Le coucher de Sirius, à la date du 23 Avril, correspond à la fête de St Georges dont on a vu que les chrétiens du Proche Orient alternaient le culte avec celui d'Elie.

La fête de Sainte Madeleine, le 22 juillet, dans les calendriers grec et latin, est précédée de peu de celle de St Elie dans l'Eglise grecque le 19 juillet - remplacée par celle de N.D. du mont Carmel, le 16 juillet en occident -. Les Sept Dormants étaient fêtés le 27 juillet, d'autres groupes de sept frères martyrs l'étant le 10 et le 18 juillet, cela en référence aux sept frères Maccabées fêtés le 1er Août.
Tous ces rapprochements ne peuvent être fortuits. Ils ont leur raison d'être dans le symbolisme de la Canicule, dont le nom vient de l'étoile du Chien. C'est parce qu'à cette époque de l'année la terre asséchée aspirait à recevoir de l'eau : eau souterraine des sources, eau céleste des nuages.
Jean-Baptiste né au début, mort à la fin de la période caniculaire, procurait ce bain rafraîchissant et purificateur au début de l'Evangile ; Jésus, par la plaie de son côté, Marie Madeleine par ses larmes, ont, à la fin, indiqué le retour à la source d'immortalité.


IX – MARIE MADELEINE MAITRESSE ET GUIDE



Marie de Magdala, Marie la Magdaléenne, est, dans les Ecritures, la seule femme, semble-t-il, à avoir une épithète ajoutée au nom de Marie. Son vrai prénom reste Marie, auquel s'attache une nuance interprétée comme l'indication de son lieu d'origine. Le nom de Marie, si l'on admet l'importance du nom dans la mentalité traditionnelle de l'époque, la rapproche d'autres "Marie" : de la mère de Jésus d'abord, mais aussi de la Miryam de l'Exode et également de Marie, sœur de Lazare, avec laquelle on l'a longtemps confondue dans l'Eglise latine.

Même si l'on n'admet pas l'identité des deux personnes, certains traits les rapprochent : la familiarité avec Jésus accueilli comme hôte, vénéré comme maître spirituel. L'onction du corps de Jésus par Marie de Béthanie est mise par lui-même en relation avec sa sépulture, à laquelle participa la seule Marie de Magdala.
Le fait que Marie de Béthanie soit présentée comme ayant une sœur du nom de Marthe, les deux sœurs ayant, vis-à-vis de Jésus, des rôles complémentaires, suggère que l'un des noms n'est que le doublet de l'autre. "Marie" est en effet interprétée comme "princesse" et Marthe est le féminin de l'araméen Mar qui signifie "prince".

Synonyme de celui de princesse est le nom de maîtresse qui, dans les premiers siècles de notre ère, désignait la maîtresse de maison (1).
Marie, mère de Jésus, est devenue au Calvaire la maîtresse de la maison du disciple que Jésus aimait. Elle a été prise par la tradition chrétienne comme symbole de l'Eglise, c'est-à-dire du milieu qui conduit le fidèle à la filiation divine. Elle engendre le Christ, si, par elle, ce fidèle peut devenir semblable à lui.
Le parallèle, dans l'Ancien Testament, n'est pas la communauté d'Israël qui est représentée comme la fille et non la mère et qui n'est pas, comme la mère de Jésus, exempte de péché, mais rappelle Miryam, sœur de Moïse, sujette aux reproches de son frère dans l'épisode de Cadès et qui pourtant procure l'eau du puits à chaque étape de l'Exode, suivant la tradition juive s'appuyant sur l'Ecriture.

Marie Madeleine est bien, comme Marie, symbole de l'Eglise chrétienne, mais sous un autre aspect. "Quelle est donc cette pécheresse" ? aurait dit St Pierre Chrysologue. Il répond : "L'Eglise, certes". Pour St Jérôme (in Mat. 27) Marie Madeleine représente l'Eglise venue des nations, et pour St Grégoire (hom. 33 in Ev), la femme pécheresse désigne la gentilité qui se convertit.

Marie mère de Jésus et Marie de Magdala se situent à des degrés différents, la première dans un domaine entièrement spirituel où le péché n'a pas de place, la seconde dans un monde intermédiaire entre le spirituel et le corporel, un domaine "subtil".

(1) Le Talmud et le Zohar emploient le terme.de matrona emprunté au latin, dont le sens diffère de celui qu'a pris en français le nom de "matrone" dérivé de mater, la "mére", alors que "maîtresse" vient de la racine mag qui désigne ce qui est grand (de cette racine vient Maïa, et aussi Maximin).

Toutes les traditions envisagent en effet une hiérarchie de mondes entre celui de la spiritualité pure et celui qui, tombant sous les sens, est qualifié de sensible ou de grossier. Sous une forme simplifiée c'est le ternaire "esprit, âme, corps". C'est pourquoi le monde intermédiaire entre le ciel et la terre est qualifié de "psychique" ou d'"animique", suivant qu'on se réfère à l'expression grecque de psychè ou latine d'anima. (2)

Le ciel et la terre sont en correspondance suivant un axe vertical figuré soit par un rayon de lumière, soit par la tombée de la pluie. C'est la conception chinoise du "roi", wang, dont l'idéographie est constitué par trois traits horizontaux reliés par un trait vertical.
Ils peuvent aussi l'être par une courbe spirale, mais alors il y a deux courbes qui s'entrelacent formant entre elles une complémentarité.

C'est la figure du caducée de Mercure. Mercure est le messager qui relie le ciel à la terre et aussi le psychopompe qui fait remonter de la terre au ciel. Rencontrant deux serpents qui se battaient, il les avait enroulés sur sa baguette d'or.
Le serpent est, sous cette double forme, le maître du monde subtil, du domaine "des courants cosmiques qui ne sont que l'effet et comme l'expression des actions et des forces émanées respectivement du ciel et de la terre" (3). Le même rôle est symbolisé par la double spirale, notamment sous la forme du yin-yang chinois "image du rythme alterné de l'évolution et de l'involution, de la naissance et de la mort" (4).
A la fonction de messager de Mercure correspondait celle de messagère des dieux constituée par Iris. Iris était l'arc-en-ciel qui "matérialise" le pont entre le ciel et la terre. L'arc-en-ciel est le parfait symbole du monde intermédiaire, entre les réalités d'en haut et les formes éphémères du monde d'en bas.

Il est illusoire et réel à la fois ; il prend naissance et appui sur les eaux d'en haut, la multitude des gouttes d'eau des nuages de pluie, mais il ne se situe pas en elles, puisqu'il varie suivant la position du soleil et celle du spectateur. Ses couleurs "irisées" vont du jaune et du vert éclatants jusqu'au rouge sombre et au violet pour se perdre dans l'infrarouge et l'ultra-violet (5). De même l'illusion à ses lumières, diverses comme les couleurs réfractées du blanc, mais qui s'éteignent quand elles atteignent leurs limites.

(2) R. Guénon emploie le terme d'"animlque" dans La grande Triade, ch. XI.

(3) Guénon : Les symboles fondamentaux de la science sacrée. p. 386.

(4) Guénon : La gronde Triode. ch. 5.

(5) cf. Jean Guitton : "II y a dans la couleur une sorte de frisson qualitatif, un ébranlement de notre sensibilité profonde qui dispose en nous un jaillissement musical qui fait que toutes les couleurs sont dans notre âme des harmonies".

A l'arc-en-ciel correspond, dans le domaine humain, la diversité des passions. Imagination et sensibilité se rencontrent pour créer dans l'être des courants ascendants et descendants qui vont de la purification et l'unification de l'égo à sa dispersion dans la multiplicité jusqu'à se dissoudre. Dès qu'une illusion se dissipe, une autre lui succède ; deux issues sont possibles : ou bien les yeux se changent pour voir la réalité, ou au contraire l'être passe indéfiniment à d'autres illusions et n'atteint pas la réalité.

On rapporte le propos suivant du prophète de l'Islam : "Trois choses de votre monde me furent rendues dignes d'amour : les femmes, les parfums et l'oraison qui est la fraîcheur des yeux" (6). Mohammed ne cite pas le vin qui est défendu par le Coran, mais qui est le symbole même de l'amour, en Islam, chez les mystiques persans pour qui le cabaret (des chrétiens) est comme un Paradis…

Il en est de même, en un sens, dans le Judaïsme et le Christianisme. Il y a une ivresse spirituelle, comme il y a aussi l'ivresse grossière qui conduit à la dégradation des drogués. Dans l'Ecriture, la Terre Sainte est d'abord apparue comme celle qui produisait les raisins rapportés par Caleb et les explorateurs de Moïse. Josué a pu pénétrer dans cette Terre grâce à Rahab qui, à Jéricho, était moins une prostituée qu'une aubergiste, suivant le sens qui est donné à l'épithète de zona qui lui est attribuée.

Dans l'Evangile, la Samaritaine était pourvoyeuse d'une eau de vie, symbole d'immortalité. Marie de Magdala comptait parmi les femmes procurant à Jésus et à ses disciples la nourriture et la boisson. L'instinct populaire a donné le nom de Madelon à la cabaretière auprès de laquelle le soldat trouvait rafraîchissement et repos après l'enfer du combat (7).
Les parfums étaient dans l'Antiquité la voie d'accès vers le ciel avec les fumées d'encens et de myrrhe sur l'autel des sacrifices. Ils étaient et sont restés jusqu'à nos jours le moyen idéal de masquer les infirmités du corps humain, l'instrument de l'illusion, de la séduction, du charme. La personne de Marie Madeleine a toujours été liée à l'emploi des parfums. Le Cantique des Cantiques (3, 6) compare l'Epouse mystique à la colonne de fumée qui guidait les Hébreux dans le désert :
"Qui est celle qui monte du désert, comme des colonnes de fumée, odorante de myrrhe et d'encens ?"

(6) cf. le commentaire d'Ibn 'Arabi à ce sujet dans les Fuçûç al hikam : C'est la Femme qui donne connaissance à l'Homme de l'amour divin. Aussi la spiritualise-t-II en l’"oralson" qui est un féminin.

(7) Dans le Cantique des Cantiques (2, 4), l’"Epouse dit de l'Epoux : "II m'a fait entrer dans la maison du vin et sa bannière sur mol. c'est l'amour". Les Juifs font remarquer que le mot "et sa bannière", en hébreu vedigio. a pour nombre 49, comme les portes du Jubilé de 7x7 années. Il se trouve que ce mot dêgêl, , "bannière", est "anagramme de gadel "grand" qui a donné le nom de Magdala. La racine DGL a donné en akkadien : dagâlu, diglu : "ce qui est bien visible" et correspond à GDL "ce qui est grand", Magdelu, "lieu d'observation correspond à migdol, tour.

Ambivalence du symbole : Dans le Livre des proverbes, (7, 17 et 18), c'est aussi la tentatrice qui asperge sa couche de myrrhe, d'aloès et de cinnamome pour abreuver d'amour jusqu'au matin.
Au vrai, ce sont toutes les variétés d'amour qui constituent pour l'homme ce monde animique, subtil, où règne, en compagnie du serpent, la Femme, sous l'épithète de "maîtresse". Lorsque le Cantique des Cantiques dit en parlant de Salomon :
"Il y a soixante reines et quatre-vingts concubines et des jeunes filles (' alomôt) sans nombre ; une seule est ma colombe, ma parfaite, l'unique de sa mère", il condense en une femme idéale la multitude de celles en chacune desquelles Salomon trouvait un charme particulier. Pour figurer les multiples degrés de l'amour, l'exégèse juive commente l'expression du Cantique (1, 15 et 16) :
"Comme tu es beau… Comme tu es belle", en faisant remarquer que le mot hébreu traduit par "comme" est composé des trois lettres: H,N,K dont les nombres sont 5, 50 et 500, ascension dans les trois mondes (des unités, dizaines et centaines) de ce nombre cinq qui a marqué toute la vie d'Abraham en lui faisant cheminer vers le mont Moriah "de degré en degré".

Dans ce domaine de l'amour qui va du ciel jusqu'aux bas-fonds de la terre, la maîtresse est aussi le guide qui permet de ne pas se perdre dans les dédales du labyrinthe et de participer à l'ascension spirituelle, cette Ascension que Marie de Magdala a eu pour mission d'annoncer aux Apôtres le matin de la Résurrection.
Dans la légende, l'ermite de la Sainte Baume était portée par les anges, sept fois dans la journée, de la grotte au sommet de la montagne. Ascension et descente, un tel processus est spécifique d'une femme vêtue de sa longue chevelure, qui a connu sa misère et s'en est relevée.

La femme que les moines de l'Athos chassent de leur île jusque dans les formes qui peuvent la rappeler, est l'être double, alternativement pure et impure, consciente à la fois de la lumière qu'elle contient et de la marque qu'elle cherche à cacher, tentatrice dans les deux sens du mot, suivant qu'on s'attache à elle par l'un ou l'autre de ses aspects.
L'Ascension de Jésus s'intercale entre les ascensions juives, telle celle du Livre d’Hénoch, l'ascension musulmane du mi'râj, celle du Prophète transporté aux cieux à partir de l'esplanade du Temple et qui a servi de modèle aux mystiques de l'Islam, et l'ascension chrétienne de Dante, dans les yeux de Béatrice.

Béatrice a ce trait commun avec Marie Madeleine d'être placée au ciel empyrée parmi les femmes juives à côté de Rachel qu'au Moyen-âge l'école de St Victor a prise pour symbole de l'extase (8).
D'autres figures de la Divine Comédie ont une signification symbolique qui rappelle la Sainte : Dans la forêt sauvage où le poète était égaré, il se trouve en face de la louve qui doit être vaincue par le lévrier. Ce sont là deux aspects de Sirius dont le lever est à la fois un signal de catastrophes et source de bienfaits.

A la fin du Purgatorio, le guide, ce "dux" dans lequel Dante met son espoir pour le salut de l'Italie, est caractérisé par son nombre, 515, dont la signification s'éclaire par ce qui a été signalé ci-dessus à propos du Cantique des Cantiques.
Dans son grand poème, comme dans les vers de la Vita nuova, Dante place Béatrice au centre de diverses Dames dont chacune à un sens symbolique. Un siècle auparavant, St François avait fait de même dans sa Salutation des Vertus, sa Dame idéale étant la Pauvreté dont le poète florentin reprend l'image quand il décrit méprisée de tous celle qui avait été l'épouse de Jésus. Il ajoute : "Alors que la mère de Jésus resta au pied de la Croix, seule elle y est montée pour pleurer avec le Christ" (9). C'est l'image même de Marie Madeleine embrassant la Croix, la mouillant de ses pleurs, type idéal pour la chrétienté de maîtresse et de guide.


X - MARIE MADELEINE PATRONNE ET GARDIENNE


Dans presque toutes les familles, du moins jusqu'à une époque récente où prédominent les prénoms à la mode, on a donné à l'une des filles le prénom de Madeleine, ou de Marie-Madeleine et cela beaucoup plus souvent que celui de Marie, malgré le culte qui est toujours éminemment réservé à la mère de Jésus. C'est qu'il existe une sorte de familiarité avec la Sainte qui a connu les faiblesses humaines et qui, de ce fait, incarne ce qui, dans l'être, n'ose apparaître au grand jour, ce qu'on garde pour soi et dont on ne voit à l'extérieur que le voile.

Se trouver sous le patronage de Marie Madeleine, c'est l'avoir pour gardienne. Alors que, sous l'aspect de maîtresse et de guide, elle entraînait dans une voie ascensionnelle, sous celui de gardienne elle a un rôle en quelque sorte statique, celui même de la tour qui a donné, en hébreu, le nom de Magdala. Dans la parabole évangélique (Mat 21, 33, Marc, 12, 1), le premier soin de qui plante une vigne est de la préserver par une tour. La première mention d'une cité dans la Bible, l'associe aussitôt à la tour : "Ils dirent : bâtissons-nous une ville et une tour (migdol) ayant sa tête dans les cieux" (Gen XI, 4). La tour est en effet, comme la montagne, l'axe par lequel le ciel assure sa protection sur la terre. L'expression de "gardien" revient constamment, dans le psaume 121, en ce qui concerne aussi bien l'individu que la communauté.

(8) cf. Antonio Coen : Dante et le contenu initiatique de la Vita nuova, Paris 1958, p. 297 sq.

(9) Paradiso, XI. 64-70.

Cette fonction est bien attribuée à IHWH lui-même (shômer Israël, dans le Judaïsme), mais elle s'exerce par l'intermédiaire de la montagne "d'où vient le secours", de la montagne où est bâti le sanctuaire. C'est un rôle angélique confié à des humains.
On ne parle plus aujourd'hui de l'ange gardien, ni, comme autrefois, de l'ange d'une nation, sur le plan collectif. Il faut se référer au passé, à l'époque ou chaque corporation, chaque congrégation avait son saint protecteur.

Qu'en était-il de Marie Madeleine ? Jadis, au XIIe siècle, on appelait "Madelonnettes" les femmes de mauvaise vie qui étaient enfermées, de leur plein gré ou par ordre supérieur, dans un couvent consacré à Sainte Madeleine.
Plus tard, au XIVe siècle, ce nom fut donné aux religieuses des congrégations qui, dans divers pays prenaient soin de ces filles. C'est une résurgence de ce patronage que constitue, depuis un siècle, l'ordre des Dominicaines des prisons ou de Béthanie.
Mais la présence de la Sainte reste manifestement attestée par son nom attaché à certains lieux : les faubourgs des villes d'autrefois (comme aujourd'hui les bidonvilles et les favellas), les lazarets, les léproseries, les hôpitaux excentrés, les cimetières des pestiférés et des excommuniés, tous lieux où, à la souffrance, s'ajoutait l'exclusion du monde des vivants ou des privilégiés.

Il en est de même des vallées au long desquelles le nom de Madeleine régulièrement égrené atteste la présence des ermites qui séjournaient autrefois sur les flancs des montagnes. Marie Madeleine était par excellence la patronne de ces ermites ; il en revient quelques uns aujourd'hui. L'ermite a fui le monde, de même que, dans la légende, Madeleine avait quitté la foule idolâtre de Marseille pour vivre dans une grotte.
Il y a là une énigme, un paradoxe : le nom de la Sainte est associé d'une part à l'être qui se purifie dans la solitude et suit une voie de perfection, et d'autre part aux lieux surpeuplés où règnent la misère, la saleté et la corruption des mœurs, où les occupants, depuis le sous-prolétariat jusqu'aux seigneurs de la maffia, sont qualifiés avec mépris de "faune".

Mais l'ermite n'était-il pas représenté, dans les déserts de Palestine et de l'Egypte, comme familier avec les bêtes sauvages (1) ? Marie Madeleine a sa place au milieu des marginaux, de ceux qui sont tombés, par le vice et la drogue, au-dessous même de l'animalité (2),

(1) Une ermite nous disait récemment avoir à se battre chaque nuit avec les rats, dans son ermitage du Paty sur les flancs du Ventoux.

(2) Marle de Magdala, qui avait connu une vie de confort et probablement de luxe, avait suivi Jésus, avec d'autres femmes guéries par lui et devenues servantes d'apôtres, et de disciples de basse origine. C'étaient en effet des Galiléens, catégorie méprisée des Juifs épris de pureté. Dans cette "Galilée des nations" (Mat. 4, 15), les pêcheurs du lac étaient parmi les plus pauvres, les moins instruits. Dans le contexte historique, Marle Madeleine était ainsi devenue la servante de marginaux, comme ceux que la parabole évangélique a rassemblés de tous côtés, à la suite du refus des premiers invités au banquet du seigneur, pris parmi les Infirmes (on dirait aujourd'hui les handicapés) relégués en dehors des villes, sans habitation fixe (Mat. 22, Luc 14).


Dans l'image qu'il s'est faite du Messie, le Talmud l'a vu aussi au milieu d'une cour des miracles. Décrivant la génération aux valeurs perverties (celle qui verra l'arrivée du Messie), comme ayant "un visage de chien", il raconte qu'un rabbin vient de trouver le prophète Elie à l'entrée de la tombe de Simon bar Yohaï et pose la question : "Quand le Messie viendra-t-il, où est-il" ? Une voix répond : "Aux portes de Rome. Il se tient au milieu des miséreux atteints de toutes sortes de plaies. Les autres défont tous leurs pansements à la fois, puis les refont ; lui, il les défait et refait un par un, car il pense qu'il pourrait avoir à partir sans tarder"(3).

L'ermite est à la fois en dehors et au milieu de la foule. Son rayonnement traverse les murs de la ville. Sa présence se fait sentir sans qu'il parle, par son seul exemple, par sa seule existence.
Rapprochement symbolique sur le terrain même : Aux portes de la cité Marseillaise, la grotte de la Sainte Baume où la légende veut que la Sainte ait vécu une trentaine d'années, surplombe une forêt qui, depuis des siècles, est caractérisée par une horreur sacrée. Mistral l'a évoquée au chant VIII de Calendal, en y situant un combat meurtrier et fratricide entre deux groupes de "compagnons" qualifiés les uns de "loups", les autres de "chiens".

Le compagnonnage a en effet conservé jusqu'à nos jours le pèlerinage traditionnel à la Sainte Baume, en mémoire de l'assassinat dans ce lieu de l'un des fondateurs de leur ordre : Maître Jacques, constructeur légendaire du Temple de Salomon (4).
C'est un rapprochement semblable qui a marqué le Proche-Orient, du Ve au Xe siècle, puis la chrétienté latine durant tout le Moyen-âge et qui s'est poursuivi jusqu'à nos jours en Islam : Si Marie Madeleine a elle-même vécu dans une grotte du Pion, au voisinage d'Ephèse, ses reliques, disposées à l'entrée de la grotte, ont pu y attirer, vivants ou morts, les sept jeunes martyrs dont la légende a pris les traits des sept fils de cette mère qui les a encouragés au martyre, du temps des Maccabées : Sept jeunes gens veillés par une femme, dans un état intermédiaire entre la vie et la mort, un état lié au temps, mais un temps qui n'est pas celui de la vie terrestre.

Les moines byzantins ou syriaques qui ont parlé au Prophète de l'Islam, au cours de ses pérégrinations chamelières, de cet état subtil où les jeune gens se trouvaient dans leur sommeil extatique, ont pu éveiller en Mohammed cette évocation hallucinante qu'il a traduite dans la sourate de la Caverne et transmise jusqu'à nos générations : danse du soleil dont le rayon pénétrait dans la caverne des Dormants et rythmait leur sommeil, état de transe qui aurait saisi celui qui en aurait été le témoin, tandis que le chien gardant le seuil avait la pose, la rigidité extatique du sphinx.

(3) Sanhédrin. 97 a et 98 a. Traduction dans Aggadoth du Talmud de Babylone. Verdier 1982. p. 1104 et 1110. Cette histoire du IIe siècle est apparue comme "stupéfiante" à Scholem (Le Messianisme juif. p. 37) qui l'explique par un autre mldrash : "Le rachat arrive au moment où l'on est tombé le plus bas".

(4) cf. La Sainte Baume haut lieu du compagnonnage. par Blois l'ami du travail. Librairie du compagnonnage. Paris 1972.

Louis Massignon qui a identifié le chien des Sept Dormants avec les reliques de la Sainte, s'exprime ainsi : A Ephèse, dit-il, au seuil de la future caverne des Sept Dormants et de leur résurrection anticipée, les pèlerins, dès le VIe siècle de notre ère, n'ont vénéré qu'une seule sine tegmine (5) : Marie Madeleine, témoin unique de deux résurrections anticipées : celle de son frère Lazare et celle du Christ oint par la Myrophore" (6).

Se référant à la dédicace islamique des navires aux Sept Dormants, il voit ceux-ci sur un navire (comme Marie Madeleine dans la légende) où, dit-il (7), les marins sont, comme les Dormants, emmurés dans la tempête ; cela en relation avec les étoiles de l'hémisphère austral qui vont de Sirius à Canope, aux Nuages de Magellan et à la Croix du Sud.
De fait, l'intervention de la Sainte pour redresser les milieux décadents et amorcer leur conversion, prend l'aspect du coup de théâtre attribué à la Canicule. Dans la navigation que constitue la vie humaine au milieu de la mer des passions, Marie Madeleine est l'étoile "gardienne", suivant le qualificatif de l’ "Astre nocturne" dans la Sourate de ce nom.

(5) C'est-à-dire "sans voile", suivant l'expression de Grégoire de Tours dans son De gloria martyrum.

(6 Revue des Etudes islamiques, 1959, p. 7.

(7) id. , 1961, p. 9 et 10.


ÉPILOGUE EN TROIS JOURNÉES



1 - Cette première journée se situe treize siècles avant notre ère, la deuxième année de l'Exode. Les Hébreux arrivés au Sinaï l'année précédente, avaient reçu les Tables de la Loi cinquante jours après leur sortie d'Egypte, pour la Pentecôte. Ils avaient demeuré tout l'hiver qui suivit au pied de la montagne sainte et y avaient célébré une deuxième Pâque. Quarante jours après cette Pâque, ils levèrent le camp.
Les préparatifs étaient faits et, ce matin-là, avant que Moïse donnât le signal du départ, sa sœur Miryam s'était approchée de lui. C'était elle qui, durant les mois d'attente, avait pourvu au ravitaillement des Hébreux, leur procurant l'eau et la nourriture ; Moïse, en prévision du long voyage vers le Nord, dans une région inconnue, faisait encore appel à elle pour procurer l'eau nécessaire aux pèlerins. La Shekhina qui habitait Miryam devait répondre à sa prière. Dans cette confiance, il donna le signal : l'arche s'éleva, brisant le lien avec le séjour terrestre. Elle se poserait à nouveau au soir d'une première traversée du désert.

II - C'est une journée comme les autres, dans l'entourage de Jésus. Les disciples ont passé la nuit là où ils ont reçu l'hospitalité de parents ou d'amis. Marie de Magdala s'est levée avant l'aube. Elle a allumé le feu et préparé la boisson d'orge et les galettes. Jésus avait coutume de se retirer sur la montagne voisine pour y passer une partie de la nuit en prière. Quand il arrive, Marie veut le faire asseoir, le restaurer des mets qu'elle vient de préparer. En a-t-il goûté ? Il lui dit :
"Ne me retiens pas ; je remonte sur la colline pour méditer encore et prier pour vous. Dis à mes disciples que je monte et qu'ils me trouveront sur la hauteur".

III - Matin de Pâques : Tandis que les Actes des Apôtres ont compté jusqu'à quarante jours le temps des apparitions de Jésus sur les collines de Galilée, l'Evangile de Jean a condensé ces étapes dans la seule journée de Pâques. De même qu'elle faisait habituellement le service des disciples, Marie Madeleine s'était levée avant l'aube, apportant les aromates. Elle a cherché Jésus près du tombeau avec ses larmes. Elle l'a rencontré et l'a reconnu. Un dialogue s'est échangé entre eux. Elle veut poursuivre l'entretien, s'asseoir comme jadis auprès du Maître, recevoir à nouveau ses enseignements. Mais il lui dit : "Ne me retiens pas, ce n'est pas encore le temps du repos. Je monte vers mon Père et votre Père, annonce-le à mes disciples".
Le soir même il leur apparaîtra, leur donnant de son Esprit. L'étape de la journée avait été confiée à Madeleine, comme jadis à Myriam l'élévation, puis le repos de l'arche, siège de la Présence divine.


J. Bonnet
Le 12 mai 1988,
Jour de l'Ascension.


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La discussion

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