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A la découverte du Beau (Jean Ousset) Imprimer
Auteur : XA
Sujet : A la découverte du Beau (Jean Ousset)
Date : 2008-02-23 09:19:21

A la découverte du Beau
par Jean Ousset


(partie précédente)


Notion de genre

Nous sommes ainsi amenés à cette notion de "genre", qui fut une des notions fondamentales de notre tradition artistique.

Qu'est-ce à dire, sinon l'intelligence même de ce qu'est, de ce que doit être, dans sa plénitude, la chose envisagée '

Certes, dans le passé, le dogmatisme des écoles a pu réglementer à l'excès la détermination de ces catégories ou "genres". Ce furent, ce sont, ce seront toujours là choses humaines. Que l'on peut déplorer ! Mais sans arriver à cet excès, plus déplorable encore, qui consiste à nier jusqu'à la légitimité du principe des "genres".

Aussi bien le sens commun ne s'y trompe pas. "Un chef d'oeuvre du genre", continue à dire le bon peuple, indiquant par là que cette notion est trop juste pour la laisser disparaître.

Sans notion de "genre", en effet, toute intelligence du beau est impossible, le "genre" étant ce qui évoque le plus aisément les rapports de hiérarchie et d'harmonie indispensable.

Notion de "genre" selon laquelle les êtres et les choses peuvent être beaux, mais à condition d'être considérés, appréciés à leur place, dans leur genre. Ce qui correspond à la façon de considérer ces êtres ou ces choses sous l'angle de leur plus sûre et plus harmonieuse plénitude.

"L'essentiel est de comprendre, comme dit Maritain, qu'il n'y a pas une manière, mais mille et dix mille manières dont la notion d'intégrité ou de perfection, ou d'achèvement peut se réaliser... Le moindre croquis de Vinci, de Rodin, est, en ce sens, plus achevé que le plus accompli Bouguereau...".

Le comble n'est-il pas que certains s'inquiètent à cette idée d'un beau dans les plus humbles choses, d'un beau non exceptionnel, d'un beau non difficile à saisir ?

A les croire, c'est corrompre la notion de beauté, sous prétexte de "genre", que de la prétendre ainsi possible en tout.

Ce qui est crainte vaine.

Il suffit de comprendre que pour légitimes ou tolérables qu'ils puissent être, tous les "genres" ne se valent pas. S'il en est de nobles, il en est de très humbles et même de vulgaires. Certains ne sont admissibles qu'avec réserves et précautions. Ce serait donc manquer du sens de l'harmonie, et par là même du sens du beau, que de les croire équivalents.

Prétendre fixer l'ordre croissant ou décroissant des divers "genres" existants ou possibles, serait folie.

On admettra seulement que la tragédie ou le concerto sont des "genres" plus élevés que le numéro de clown ou la chanson à boire. Ce qui ne veut pas dire que la représentation d'un clown de génie (Grock par exemple) ne puisse être plus belle qu'un long concert de "grande musique" fastidieuse.

On ne peut comparer que des comparables. Et si l'on veut établir des parallèles, il faut opposer un bon faiseur d'opéras à un bon chansonnier, non un bon chansonnier à un mauvais faiseur d'opéras. Car, à présenter ainsi le problème, c'est le résoudre en le posant.

Ce que l'on peut dire, c'est que le sublime est près d'être atteint quand tout... la noblesse du genre, la délicatesse des sentiments, la force contenue des passions, la perfection de la forme, la virtuosité de l'artiste, la rigueur éventuelle technique, etc; quand tout cela se trouve simultanément porté au plus haut degré de réalisation.

Mais, enfin, il n'est pas de beauté que sublime, de poésie qu'à la cime des plus nobles "genres".

Comme l'a fort bien dit Baudelaire : "Tout n'est pas dans Racine. Les "poetas minores" ont du bon, du solide, du délicieux. Pour aimée que soit la beauté générale (exprimée par les poètes et les artistes classiques) on n'en a pas moins tort de négliger la beauté particulière, la beauté de circonstance et le trait de moeurs".

Si les vieilles choses sont souvent des témoins privilégiés, c'est qu'elles sont des témoins sélectionnés. Non que les choses belles aient été seules à nous être transmises. Le détail est connu des merveilles qui furent victimes du vandalisme de chaque génération.

Reste qu'il est invraisemblable que tout ait été beau dans le passé. Des choses affreuses s'y trouvaient mais la plupart ont disparu, leur laideur, aggravée par la vétusté, n'ayant guère incité nos ancêtres à les conserver.

Il est donc sans raison que "moderne" soit synonyme de laid. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'être centenaire pour jouir du recul propice aux jugements esthétiques sereins. En peinture, le "naturalisme" de la fin du XIXe siècle nous apparaît toujours aussi affreux, malgré l'ancienneté qui l'honore un peu plus chaque année.

Qu'il y ait des "grands ensembles" affreux, voire inhumains par leur monotonie, leur uniformité dépersonnalisante, cela est assez connu et proclamé. Mais enfin, il en est d'autres... qui valent bien ce que la poésie d'un Poulbot n'arrivait pas à cacher de la rue Lepic, à Montmartre. "Grands ensembles", assez humainement conçus pour être préférés à telles rues, romantiquement déclarées pittoresques, d'îlots insalubres.

Soit le cas des chansons, dont nous sommes submergés.
A quel genre se rattachent-elles ? Sinon, à quel "genre" serait-il souhaitable de les pouvoir rattacher ?
A ce qu'on peut appeler la petite chanson d'amour. La chanson pour amoureux.
Tel est le genre.

Ce "genre" serait-il, par lui-même, illégitime ?

Certainement pas !

Sans doute sommes-nous loin des sommets de la poésie sacrée, mais enfin, on ne saurait pas plus interdire aux amoureux de chanter que d'exister. On doit même avouer qu'il serait inquiétant de les voir reprendre pour chants tels passages d'Homère ou de Pindare.

Donc, aucune objection fondamentale sur le "genre". Acceptons même de ne pas être surpris si chants d'oiseaux, printemps et fleurs servent plus que de raison à l'agrément du style. C'est le "genre" qui veut cela. Il n'y a pas à s'insurger. Il faut seulement, pour qu'il y ait beauté à ce degré, que la chose ne se prenne pas trop au sérieux, qu'elle soit sans prétention, fraîche, souple et légère comme le "genre" lui-même. Qu'il y faille quelques élans, quelques audaces, quelques caresses, quelques baisers donnés ou volés, c'est encore la norme ! Mais le tout suffisamment clair et discret. Il ne saurait être question de pruderie, mais pas d'immoralité non plus. Encore moins de "porno".

Le trésor de tant de vieilles chansons peut servir ici de modèle. Si quelques traits gaillards s'y découvrent, l'atmosphère y reste claire, l'air léger ! L'impureté, même quand elle menace, n'attaque pas l'essentiel. La tête et le coeur y demeurent en place. Rien n'y est abandonné à l'exaspération des sens. Voilà, peut-on dire, le modèle du "genre".

Or, est-ce bien cela que nous trouvons dans trop de chansons qui se chantent autour de nous ?

Je ne le pense pas.

Certes, il est des exceptions ! Il en est même de très belles ! Sans remonter aux premiers succès de Charles Trenet, qui en conçut d'excellentes, c'est volontiers que nous confesserons notre admiration pour plusieurs chansons de Brassens, entre autres : "Les sabots d'Hélène"... "Je me suis fait tout petit devant une poupée". D'Anne Sylvestre, entre autres : "Mère veux-tu ?"... "Falurons luretet".

Vrais chefs d'oeuvres qui, à notre goût, sont aussi beaux, si ce n'est plus, que telles vieilles chansons fidèlement transmises par l'admiration ininterrompue de quinze ou vingt générations.

Et combien de réussites savoureuses du côté des "Frères Jacques" !!

Hélas ! L'ensemble des chansons en vogue est loin d'offrir les mêmes caractères, tant leur propos est, pour l'ordinaire, bassement sensuel, sentencieux, prédicant, à prétention de "témoignage" !!!

De telles chansons ne peuvent prétendre à la plénitude de leur être, chansons de jeunes, chansons d'amour.

Elles devraient être simples, légères, entraînantes ou nostalgiques, sans grande prétention. Avec un peu d'attendrissement mais aussi le sourire du coeur et de l'esprit.

Si la beauté est plénitude de l'être, la hiérarchie du beau ne peut pas ne pas correspondre à la hiérarchie même des êtres.

Or, dans l'ordre des êtres, il est un sommet : les êtres personnels. Dieu lui-même étant personnel; étant quelqu'un. Et les anges ! Et les hommes !

(à suivre)


La discussion

 A la découverte du Beau (Jean Ousset), de XA [2008-02-23 09:19:21]
      Brassens, de Assum [2008-02-23 09:36:30]