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JUILLET 2003 A MARS 2011

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L'Espagne de Franco et la liberté religieuse Imprimer
Auteur : N.M.
Sujet : L'Espagne de Franco et la liberté religieuse
Date : 2006-03-26 17:53:25

Vous citez le cas de l'Espagne de Franco...

Pourquoi la Charte constitutionnelle a-t-elle été réformée en 1967 ?


1. Avant 1967


Fueros de los Espanoles, loi fondamentale de l'Etat espagnol, 17 juillet 1945

art. 6 § 1 :

"La profession et la pratique de la Religion Catholique, qui est celle de l'Etat Espagnol, jouiront de la protection officielle."

art. 6 § 2 :

"Personne ne sera inquiété pour ses croyances religieuses, ni pour l'exercice privé de son culte. Il ne sera pas permis d'autres cérémonies, ni d'autres manifestations extérieures que celles de la Religion Catholique."

La liberté de conscience en matière religieuse
- est reconnue au for interne ;
- et exclue au for externe et public.

Les dispositions de l'article 6 du Fueros furent approuvées par le Saint-Siège... qui lors de la conclusion du Concordat du 7 août 1953.

Reprenant les dispositions de l'article 6 du Fueros de los Espanoles, le Concordat de 1953, tout comme en son temps le Concordat de 1851 (disparu avec la révolution de 1868, et non restauré par la monarchie alphonsine) restaure le régime d'exclusivité catholique : pleine liberté religieuse au for externe et public pour le seul catholicisme.

On peut même affirmer que de ce point de vue, le Saint-Siège s'est livré à une évidente surenchère par rapport au Fueros de 1945.

[En effet, l'administration Eisenhower, avec laquelle ont été négociés les accords militaires et économiques de Madrid (26 septembre 1953) a notamment exprimé ses plus expresses réserves concernant l'article 6 du Fueros (Washington voulant se poser en défenseur du fantômatique protestantisme en Espagne).]

En tous les domaines, le Saint-Siège a placé très haut le niveau des négociations : privilège exclusif de juridiction sur les membres du clergé, aide financière de l'Etat, indépendance des associations catholiques, prééminence du mariage canonique dans le droit public...

... et enseignement obligatoire de la religion catholique pour tous les élèves dans tous les établissements d'enseignement, publics et privés.

On voit que les exigences de l'Eglise catholique en Espagne - en 1953, 10 ans avant Paul VI - cadrent fort mal avec le régime de non-coaction envisagé dans le même temps comme seul régime possible par le vrai père de "Dignitatis humanae" : Jacques Maritain.


Ainsi, dans un discours à l'Athénée Pontifical du Latran, le 3 mars 1953, le Cardinal Ottaviani, alors pro-secrétaire de la Congrégation du Saint-Office, s'exprimait de la sorte au sujet du régime instauré par le Fueros et le Concordat en Espagne :

"Ayant touché cette question préliminaire de l’assentiment obligatoire aux enseignements de l’Eglise, même dans son Magistère ordinaire, venons-en maintenant à une question pratique, qu’en langage du jour nous pourrions dire « brûlante » : à savoir celle d’un Etat catholique et des conséquences qui s’ensuivent vis-à-vis des cultes non catholiques.

"Tout le monde sait que dans certains pays dont la population est catholique en majorité absolue, la religion catholique, dans leurs Constitutions respectives, a été proclamée religion d’Etat. Je citerai, à titre d’exemple, le cas le plus typique, celui de l’Espagne.

"Dans le Fuero de los Españoles, la charte fondamentale des droits et des devoirs du citoyen espagnol, à l’article 6, il est établi ce qui suit :

« La profession et la pratique de la religion catholique, qui est la religion de l’Etat espagnol, jouiront de la protection officielle.
Personne ne sera inquiété ni pour ses croyances religieuses, ni dans l’exercice privé de son culte.
Ne seront permises ni cérémonies ni manifestations extérieures autres que celles de la religion de l’Etat ».

"Ces positions ont soulevé les protestations de nombreux non-catholiques et incroyants ; mais, ce qui est déplaisant, c’est qu’elles aient été considérées comme anachroniques même par certains catholiques qui veulent penser que l’Eglise peut trouver un mode de vie pacifique avec la pleine possession de ses droits dans un Etat laïque ne comprenant pourtant que des catholiques."



2. Après 1967

Ley organica del Estado, 10 janvier 1967, portant révision du Fuero de los espanoles

Le § 2 de l'article 6 est remplacé par :

"L'Etat assumera la protection de la liberté religieuse, qui sera garantie par une tutelle juridique efficace sauvegardant à la fois la morale et l'ordre public."


Désormais, la liberté de conscience en matière religieuse au for externe et public est bel et bien inclue dans le cadre de l'article 6.

Qu'est-ce qui a bien pu rendre "nécessaire" ce passage d'un "régime de chrétienté" à un régime de non-coaction ?


La réponse est dans la modification apportée au préambule du Fuero par la Ley organica :

"Etant donné enfin la modification introduite dans son article 6 par la Loi Organique de l'Etat, ratifiée par le référendum de la nation, afin d'adapter son texte à la Déclaration conciliaire sur la liberté religieuse, promulguée le 7 décembre 1965, qui demande la reconnaissance explicite de ce droit, et conformément, en outre, au second des Principes fondamentaux du Mouvement, selon lequel la doctrine de l'Eglise doit inspirer notre législation"


"Le gouvernement espagnol avait suivi les recommandations du concile à propos de la "liberté religieuse". Le projet de loi présenté par le ministre de la Justice, Angel Maria Oriol, témoignait d'un réel progrès par rapport à celui élaboré par Castiella en 1964 : au lieu d'autoriser seulement la pratique privée des religions non catholiques, il garantissait la "profession privée et publique" de n'importe quelle religion et reconnaissait le droit des associations confessionnelles en matière d'enseignement, de paroles et d'écrits.

"Le projet, auquel la Conférence épiscopale donna son aval, fut approuvé lors de l'assemblée plénière des Cortes du 26 juin 1967 et devint [après referendum - mais pas seulement sur cette question] l'article 6 du Fuero des Espagnols. L'ouverture d'une synagogue à Madrid en décembre 1968 et la reconnaissance de la communauté israélite comme "association confessionnelle" furent un effet évident de cette loi [car pour ce qui regarde les différentes religions, à part les juifs, il n'y avait guère de non-catholiques sinon quelques poignées de protestants]."

Bartolomé Bennassar, Franco, Perrin, 1995(p. 229).


L'aboutissement de la logique de cette réforme - l'adoption de la liberté religieuse de Vatican II - fut l'accord du 3 janvier 1979 entre le gouvernement de Juan-Carlos et la curie de Jean-Paul II "constatant" la "caducité" du Concordat de 1953 et avalisant l'article 16 de la Constitution espagnole de 1978, qui réaffirme le droit à la liberté religieuse et affirme dans un même mouvement : "aucune confession n'a de caractère officiel".


Tel est le "nouvel ordre des choses" depuis Vatican II :

« Un État moderne ne peut pas faire de l’athéisme ou de la religion un de ses fondements politiques. L’État, loin de tout fanatisme ou sécularisme extrémiste, doit promouvoir un climat social serein et une législation appropriée qui permette à chaque personne et à chaque confession religieuse de vivre librement sa foi, de l’exprimer dans les domaines de la vie publique et de compter sur des moyens et des lieux suffisant pour apporter les richesse spirituelles, morales et civiles à la vie du pays. »

Jean-Paul II, Homélie à La Havane, le 25 janvier 1998 DC 2177 du premier mars 1998, pages 230-231.


La boucle était bouclée : l'Espagne d'Isabelle la Catholique n'était plus qu'un souvenir...


Cordialement

N.M.




La discussion

 notes de lecture, de Réginald [2006-03-25 12:30:29]
      premission négative, de Thomas [2006-03-25 15:20:47]
          réponse, de Réginald [2006-03-25 15:51:14]
              merci, de Thomas [2006-03-25 17:27:23]
                  Cher Thomas,, de N.M. [2006-03-25 22:37:57]
                      Par ailleurs..., de N.M. [2006-03-25 22:48:17]
                          non pas, de Venispiritus [2006-03-26 07:22:02]
                              Mais si !, de N.M. [2006-03-26 16:25:47]
                                  Justes limites?, de Athanasios D. [2006-03-26 22:12:21]
                                      Pie IX, Montalembert et Vatican II, de N.M. [2006-03-26 23:02:35]
                                      Grégoire IX, les Juifs... et les Cathares, de N.M. [2006-03-26 23:18:04]
                                      Etsi Judaeorum, de Antonio Thomas [2006-03-27 00:05:40]
                                          Merci..., de Athanasios D. [2006-03-27 00:18:51]
                                  Zut!, de Athanasios D. [2006-03-26 22:16:20]
                                      Peut-être..., de Antonio Thomas [2006-03-26 22:25:02]
                                      Ce que demandaient les catholiques pré-constantin [...], de N.M. [2006-03-26 22:34:45]
      [réponse], de Venispiritus [2006-03-25 17:54:26]
          L'Espagne de Franco et la liberté religieuse, de N.M. [2006-03-26 17:53:25]
              [réponse], de Venispiritus [2006-03-26 19:06:47]
                  Confessionnalité etc., de Antonio Thomas [2006-03-26 19:57:10]
                  La confessionnalité de l'Etat à l'épreuve de Va [...], de N.M. [2006-03-26 22:21:41]
                      [réponse], de Venispiritus [2006-03-27 19:17:07]
                          Hé bien si..., de N.M. [2006-03-27 23:34:36]