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Enseignement religieux à l'école : l'exemplarité française Imprimer
Auteur : Le gars
Sujet : Enseignement religieux à l'école : l'exemplarité française
Date : 2003-07-05 14:27:33

ANALYSE
Enseignement religieux à l'école : l'exemplarité française
LE MONDE | 02.07.03 | 13h54

On peut se dire agnostique et avoir une foi à soulever les montagnes. Ne rien ignorer de la puissance de feu de la religion et ne pas la maudire pour autant, l'évacuer du champ de la réflexion. Auteur d'un rapport plaidant pour un enseignement des "faits religieux" à l'école publique - qui a reçu l'aval de Jack Lang dans le précédent gouvernement, aujourd'hui de Luc Ferry -, Régis Debray, qui a écrit récemment Le Feu sacré (Fayard), avance, avec ses bottes de sept lieues, sur l'un des terrains les plus piégés par la querelle scolaire et par la guerre des "deux France" (cléricale et laïque).

L'Institut européen des sciences religieuses (IESR), qu'il vient de créer à Paris avec le soutien de quatre ministères (affaires étrangères, éducation, culture, intérieur), n'est encore qu'une ébauche, mais son lancement est à marquer d'une pierre blanche par tous ceux qui croient que le fait religieux, comme objet d'étude et d'enseignement, a pleinement sa place à l'école publique et que, loin d'être isolée, la singularité laïque française peut devenir un modèle en Europe.

Il y a un siècle, en pleine bataille de la laïcité, la création de la cinquième section des sciences religieuses, dans ce joyau de l'enseignement supérieur laïque qu'est l'Ecole pratique des hautes études (EPHE), avait soulevé des tempêtes.

Le nouvel Institut européen des sciences religieuses rejoint cette même école, mais ne suscite plus de telles passions. Grand maître du Grand-Orient de France, Alain Bauer figure dans son comité directeur, à côté des meilleurs spécialistes de sciences religieuses et de délégués des ministères. La Ligue de l'enseignement y est associée. L'enseignement catholique et le cardinal Jean-Marie Lustiger ont manifesté un encouragement prudent.

Cela en dit long sur l'évolution des esprits. Une exception française est en voie de correction. Il y a moins de dix ans, les manuels scolaires appliquaient encore à la lettre les instructions d'un Léon Bérard, inspecteur de l'éducation nationale, qui, en 1905, après la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, avaient chassé le mot "Dieu" de tout programme d'enseignement.

D'enseignement secondaire, à dire vrai. Car l'enseignement supérieur a été moins chiche en la matière. Le CNRS, l'Ecole pratique des hautes études, l'Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris-IV et d'autres universités de province (Montpellier, Lyon, etc.) abritent depuis longtemps des équipes de chercheurs en sciences religieuses.

Dans l'enseignement secondaire, il faudra attendre le début des années 1980 pour que les enseignants, en lettres et en histoire, avec le soutien de la très laïque Ligue de l'enseignement, tirent la sonnette d'alarme sur l'inculture religieuse des jeunes Français et patienter jusqu'à la rentrée de 1996 pour que de timides aménagements soient introduits dans les programmes.

Le premier mérite du nouvel Institut européen des sciences religieuses est de corriger ce décalage entre l'existence de pôles de recherche dans l'enseignement supérieur et le quasi-vide du secondaire.

Les accords qu'il a commencé de passer avec des rectorats d'académie (Versailles, Lyon, Strasbourg, etc.), les programmes de recherche et de formation qu'il propose, à destination en particulier des IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres), visent à mettre à niveau les connaissances des enseignants dans une matière où ils avouent leur incompétence, à démontrer qu'un enseignement de la matière religieuse est possible en dehors de toute apologétique, ouvert à toutes les disciplines (histoire, beaux-arts, archéologie, etc.).

Exemple de cette diversité, le chantier de formation déjà prévu dans l'académie de Versailles sur des thèmes comme laïcité, religions et raison ; religions et temps ; livres sacrés ; rites laïques et religieux.

DÉCHIFFRER LE MONDE

Les initiateurs de ce projet viennent de loin. D'un horizon où se mêlent encore les peurs et les passions. Peur d'un retour du religieux confessionnel à l'école par le biais d'un enseignement qui n'aurait que les apparences de la neutralité. Peur d'importer dans le champ scolaire les divisions et les affrontements de la société. Peur de professeurs qui refusent de confondre leur mission avec celle d'une suppléance de la famille ou de lieux de catéchèse religieuse mais qui, en même temps, sont confrontés, dans les classes du collège et du lycée, à une diversité de cultures et d'identités inconnue jusqu'ici et à des questions nouvelles posées par l'actualité. Que n'a- t-on dit, après la publication du rapport de Régis Debray, des risques d'atteinte à la laïcité et du danger d'attiser les braises rallumées par la question du voile et des signes religieux à l'école ?

Peur diamétralement opposée, dans l'autre camp, d'un enseignement de culture des religions qui serait une machine de guerre ou réducteur de leur signification symbolique et réelle : peut-on cantonner l'étude des religions à leur seul aspect historique, culturel, patrimonial, au risque d'aggraver leur réputation d'archaïsme, de suggérer que les églises, les temples, les synagogues ne sont plus que des musées vides ?

Les polémiques publiques ont disparu, mais les archaïsmes et les peurs sur l'enseignement des religions demeurent. Ce à quoi Régis Debray répond que l'école publique n'a pas le choix, que sa mission est de permettre aux jeunes élèves de déchiffrer le monde qui les entoure, que l'enjeu est la menace d'une déshérence collective, d'une rupture dans les chaînes de transmission de la mémoire nationale et européenne. Il est temps de passer d'une " laïcité de combat" à une "laïcité de l'intelligence", plaide l'ancien conseiller de François Mitterrand.

Pourquoi un Institut européen ? Ce n'est pas le moindre aspect du pari engagé. Dans l'effort qui consiste à distinguer la religion comme culte et comme culture, la France peut jouir d'une certaine exemplarité. En Espagne, les autorités scolaires viennent de promouvoir un enseignement historique des religions, succédant à l'enseignement d'éthique ou d'informatique jusqu'alors proposé aux élèves qui ne voulaient pas suivre les cours de catéchisme. Mais une polémique vient d'éclater en raison du caractère obligatoire de cet enseignement alternatif, au même titre que celui du catéchisme !

Autrement dit, la frontière n'est jamais facile à tracer entre la religion comme objet de savoir et comme objet de culte ou de conviction. Les Länder de l'ex-Allemagne de l'Est se sont posé les mêmes questions lorsqu'ils ont été priés de s'aligner sur l'enseignement religieux obligatoire à l'Ouest.

Le Danemark, de confession luthérienne, vient d'introduire un cours d'histoire comparée prenant en compte les religions primitives non chrétiennes et même les conceptions non religieuses de la vie. L'Angleterre a inscrit au programme scolaire une "multifaith religious education" dans laquelle six confessions au moins (judaïsme, christianisme, islam, hindouisme, bouddhisme, sikhisme) sont enseignées. Sans risque d'être démenti, on peut prétendre que la France gagnerait à inventer dans un tel domaine et à proposer sans complexe son modèle de laïcité ouverte à la diversité religieuse contemporaine.

Henri Tincq

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 03.07.03


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