Auteur : stephanopoulos |
Sujet : Re : Le début de la décadence : |
Date : 2003-07-02 00:58:53 |
La désorganisation de l'Empire: le morcellement du latin
Dès la fin du IIIe siècle, les empereurs romains accueillirent de plus en plus de mercenaires germaniques comme soldats: on enrôlait des Francs, des Goths, des Saxons, des Alamans, etc., pour grossir l'armée parce que les Romains d'origine se désintéressaient de la guerre. Ces soldats germaniques offraient évidemment une faible barrière de protection contre les incursions des autres tribus germaniques, qui pénétraient de plus en plus dans l'Empire. En outre, Rome concédait des territoires à des Germains agréés comme alliés pour des fins de colonisation. Graduellement, les Germains passèrent outre au statut accepté par Rome et fondèrent des royaumes souverains sur le sol de l'Empire.
En raison de la loi de réadaptation au milieu, la langue latine populaire parlée dans les différentes provinces de Rome se morcela peu à peu suivant des conditions politiques sociales et géographiques particulières. Dans les régions particulièrement éloignées de Rome, comme le nord de la Gaule, et dans celles où il y avait contact avec des populations germaniques, se développera une forme de latin parlé encore plus différente.
Le début des grandes invasions germaniques
Puis, en 375, se produisit le choc des Huns contre les Ostrogoths germaniques, qui vivaient au nord de la mer Noire entre le Danube et le Dniepr (Ukraine). Les Huns étaient des tribus guerrières qui avaient été chassées de Mongolie par les Chinois quatre siècles auparavant; établis dans l'actuelle Hongrie, ils avaient décidé de partir vers l'ouest et avaient soumis les Ostrogoths. C'est cette année de 375 que l’on considère comme marquant le début des grandes invasions et le commencement de la dislocation de l'Empire romain. Ce que les Romains appelaient les «invasions barbares» est appelé par ceux-ci les Völkerwanderungen (la «migrations des peuples». Du point de vue linguistique, ces invasions peuvent être décrites comme des phénomènes d'expansion linguistique où s'affrontèrent des langues au dynamisme variable.
En 395, à la mort de l'empereur Théodose, l'Empire romain fut partagé en deux: l'Orient revint à Arcadius, l'Occident à Honorius. L'unité de l'empire était définitivement brisée, alors qu'il était divisé entre l'Empire romain d'Occident et l'Empire romain d'Orient.
Après avoir vaincu les Ostrogoths, les Huns reprirent leur route vers l'ouest et s'attaquèrent aux Wisigoths, aux Burgondes, aux Alains, déclenchant ainsi des déplacements en cascades: Goths, Ostrogoths, Wisigoths, Vandales, Francs, Saxons, Burgondes, Alamans, etc., se butèrent les uns aux autres d'un coin à l'autre de l'Europe et se déversèrent sur l'Empire romain d'Occident. En 447, le roi des Huns, Attila (395-453), avait étendu son Empire de la mer Caspienne jusqu'en Gaule, après avoir mis l'Europe à feu et à sang et pillé l'Italie du Nord. Après sa mort, son Empire se disloqua et disparut, non sans avoir fait exploser toute l'Europe.
On peut comparer les grandes invasions des IVe et Ve siècles à un jeu de billard: la première boule (les Huns) dispersa le système en place et chaque boule en entraîna une autre. Il en fut de même avec les tribus germaniques qui, poussées par l’est, partaient vers l'ouest, contraignant ainsi le voisin à quitter son pays. À la fin du Ve siècle, l'Empire romain d'Occident avait disparu, laissant la place à la fondation de plusieurs empires germaniques. On peut consulter une grande carte illustrant l'implantation en l'an 480 des empires germaniques en Europe de l'Ouest. Pour sa part, l'Empire romain d'Orient devait survivre jusqu'en 1453.
Le morcellement du latin
Du point de vue linguistique, l'effondrement de l'Empire romain d'Occident accéléra le processus de morcellement du latin populaire, amorcé dès le IIe siècle. Les communications avec l'Italie étant coupées, les échanges commerciaux périclitèrent, les routes devinrent peu sûres, les écoles disparurent, le tout entraînant une économie de subsistance rurale et fermée sur elle-même. Si bien qu'au VIIe siècle, la situation linguistique était extrêmement complexe dans l’ancien Empire romain: les langues germaniques étaient devenues indispensables aux populations qui voulaient jouer un rôle politique puisque tous les rois ne parlaient que l'une ou l'autre de ces langues; le latin n'était plus utilisé que pour les écrits: le peuple, lui, ne le parlait plus.
Cependant, le morcellement des royaumes germaniques et l'absence de centralisation bureaucratique empêchèrent les vainqueurs d'imposer leur langue aux populations conquises. Une sorte de fusion se produisit entre les Germains et certains peuples romanisés: les gens commencèrent à parler une autre langue qui n'était plus le latin, mais pas encore le français, l'italien, l'espagnol ou le catalan, mais le roman, c'est-à-dire une langue aux variantes infinies, selon qu'elle était parlée dans les différentes régions de la France (francien, picard, lorrain, normand, berrichon, champenois, franc-comtois, bourguignon, bourbonnais, tourangeau, angevin, poitevin, saintongeais, etc.), de l'Italie (florentin, piémontais, lombard, ligure, vénitien, istrien, toscanien, corse, ladin, sicilien, calabrien, etc.), de la Suisse (franco-provençal, romanche), de l'Espagne (castillan, asturien, léonais, andalou, aragonais, catalan, etc.), du Portugal (galicien, mirandais, açorien, algarvio, alentejano, etc.) ou de la Roumanie (daco-roumain, mégléno-roumain, macédo-roumain, istrio-roumain).
Le latin a fini par disparaître dans le secteur central de l'Empire romain (Bavière, Suisse, Autriche), en Illyrie (Albanie) et en Pannonie (Yougoslavie), en Bretagne insulaire (Grande-Bretagne), en Armorique (Bretagne française) et en Afrique du Nord (éradiquée par la conquête arabe). Par contre, le latin s'est maintenu de la péninsule ibérique jusqu'en Italie (et la Roumanie) en passant par la France.
Il semblerait donc que la réalité soit un peu plus complexe sur la question du latin que parlait le peuple. Une chose est sûre, le latin de l'Eglise n'avait absolument rien à voir d'avec le pseudo-latin aux multiples variantes du peuple peu à peu germanisé. Il faut savoir aussi que le grec jouait, pendant longtemps, plus ou moins le rôle qu'à l'anglais aujourd'hui à l'époque de l'Empire Romain. De plus, Rome (c'est-à-dire le pape) n'a pas imposé le latin ipso facto dans tout l'Occident; si ma mémoire ne flanche pas, cela s'est plutôt fait sous l'impultion de Charlemagne à une époque où plus personne ne parlait le latin.
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