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JUIN 2001 A JUILLET 2003

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voix orthodoxe Imprimer
Auteur : stephanopoulos
Sujet : voix orthodoxe
Date : 2003-06-24 23:01:04

BONNES FEUILLES : LE MYSTERE DE L'EGLISE

un livre du père Boris BOBRINSKOY

Comment "affirmer, même confesser, la continuité et l'identité du dépôt de la foi dans l'Église à traversl'histoire mouvementée de celle-ci et malgré les péchés de ses membres – quelque fonction qu'ils occupent dans la hiérarchie du Peuple de Dieu" ? Tel est l'un des objectifs du livre que le père Boris BOBRINSKOY vient de faire paraître sous le titre Le Mystère de l'Église (Cerf, 320 pages, 25 €). Développant une réflexion engagée depuis plus de quarante ans d'enseignement et de recherche à l'Institut de théologie orthodoxe de Paris (Institut Saint-Serge), le père BOBRINSKOY rappelle dans cet ouvrage "les fondements dogmatiques de l'Église en tant que mystère, en tant que lieu et mode de la communion au banquet du Royaume trinitaire", comme on peut le lire sur la quatrième de couverture. Le Service orthodoxe de presse publie ici en bonnes feuilles des passages de ce livre.

Âgé de 78 ans, le père Boris BOBRINSKOY est doyen de l'Institut de théologie Saint-Serge, où il enseigne la théologie dogmatique, et recteur de la paroisse francophone de la Crypte de la Sainte-Trinité, à Paris. Auteur de nombreuses études sur la théologie de la Trinité et du Saint-Esprit, la théologie de l'Église, de la liturgie et des sacrements, dont une thèse de doctorat soutenue à l'Institut Saint-Serge et publiée sous le titre Le Mystère de la Trinité (Cerf, 1986), il est docteur honoris causa des facultés de théologie orthodoxe d'Alba Iulia et de Cluj (Roumanie), de la faculté de théologie catholique de Fribourg (Suisse) et de l'Institut de théologie orthodoxe Saint-Vladimir à New York (lire Information page 8).
Marié, il est père de trois enfants et cinq fois grand-père.

[…] Dès les premiers siècles, l'Église exprime sa foi en un Dieu trinitaire et inclut dans ses confessions de foi la mention de l'Église. Ces confessions de foi, ou symboles, sont d'origine baptismale, et la mention de l'Église suit généralement celle du Saint-Esprit. Ainsi, selon saint Hippolyte de Rome, celui qui accomplit le baptême interroge à trois reprises celui qui est descendu dans l'eau du baptistère. À la troisième question "Crois-tu en l'Esprit Saint dans la sainte Église ?", le baptisé répond "Je crois". Cette formule est littéralement
reproduite dans l'antique symbole romain des Apôtres : "Je crois en l'Esprit Saint dans la sainte Église". Dans ces deux textes, l'Église n'est pas simplement "mentionnée", elle est présente, dans la pleine puissance du Saint-Esprit, ainsi que l'enseignait déjà saint Irénée de Lyon : "Là où est l'Église, là aussi est l'Esprit de Dieu ; et là où est l'Esprit de Dieu, là est l'Église et toute grâce". […]

"La place de l'Église dans l'acte même de la foi"

On peut donc discerner trois modalités de la place de l'Église dans l'acte même de la foi : L'Église est l'objet de la foi. Elle constitue l'extension et l'actualisation au monde du mystère du salut. En tant que Corps du Christ, Épouse du Christ, Temple de l'Esprit, elle participe à la "théanthropie du Sauveur", elle est de nature divino-humaine, elle est la
Révélation dans l'histoire du mystère du salut. L'Église se définit par la vie de Dieu qu'elle communique et qui la construit. L'Église est donc objet de la foi. "On ne peut avoir Dieu pour Père si l'on n'a pas l'Église pour Mère", écrivait déjà saint Cyprien de Carthage.
L'Église est le milieu de la foi, c'est-à-dire l'espace spirituel dans lequel le croyant naît à la vie nouvelle, grandit, s'affermit dans la foi et
dans la vie selon l'Esprit Saint. Elle est la matrice spirituelle, l'espace de l'Esprit, où, par son souffle et son feu, l'étincelle de la foi s'allume et grandit en connaissance et en amour : "unus christianus, nullus christianus", disait un adage ancien cité par le père Georges Florovsky.

L'Église est le sujet de la foi. Sans se permettre bien sûr d'attribuer à l'Église quelque caractère "hypostatique", nous pouvons dire que la foi chrétienne transcende les limites de la personne humaine et qu'elle est la foi de toute l'Église, de tous les temps et de tous les lieux, l'Église catholique. Cette catholicité est d'abord qualitative, c'est-à-dire qu'elle est relative à la plénitude de la Vérité qui réside en elle. Elle est aussi universelle, car elle est celle de tout homme, de tout l'homme, et donc de tous les hommes. Par la conversion baptismale, l'individu entre dans la foi de l'Église, il la reçoit, la fait sienne, l'assimile au plus profond de son existence, puis la transmet.
Cette foi communautaire n'aliène pas, ne brise pas la personne du croyant qui s'y épanouit dans sa vérité ultime. […]

L'eucharistie, lieu de l'Église

Le renouveau théologique de notre époque trouve sa source dans la redécouverte de la centralité de l'eucharistie, tant dans la vie du
croyant que dans celle de l'Église tout entière. Le ressourcement patristique dont bénéficie le monde orthodoxe aujourd'hui nous rend sensible à la profonde "coïncidence de l'eucharistie et de l'Église". "Là où est l'eucharistie, disait saint Cyprien de Carthage, là est l'Église". Nous pouvons affirmer que lorsque l'Église célèbre l'eucharistie, elle découvre et réalise sa véritable identité. C'est ainsi que pour l'Église apostolique, l'expérience de la présence du Christ dans l'assemblée dominicale est inséparable de la célébration eucharistique.
C'est là que saint Paul découvre et développe ses images ecclésiologiques, en particulier celle du corps et des membres, et celle du temple. La présence "eucharistique" du Christ dans la communion au pain et au calice est une présence de plénitude au service de l'assemblée ecclésiale. Celle-ci apparaît à la fois comme le corps, dont le Christ est la tête et le chef, comme les membres multiples greffés au corps qu'est le Christ et réalisant en lui son unité, et enfin l'Épouse glorieuse et sans tache dans le face-à-face d'adoption d'amour avec l'Époux. Cette plénitude et intégralité de la vie divine dans l'Église se manifeste au plus haut degré dans les épîtres de saint Ignace d'Antioche aux Églises d'Asie Mineure et de Rome, particulièrement à propos de sa comparaison entre le lien de l'Église
locale et de son évêque et celui du Christ et de l'Église "catholique".

La catholicité apparaît ici comme le signe de cette plénitude et unité de l'Église locale, en raison même de la présence eucharistique de "Celui qui est, qui était et qui vient". Désormais la communion au mystère de l'eucharistie sera à la fois signe et condition de la communion à la vie de l'Église, et de la communion des Églises entre elles. L'eucharistie se révèle donc dans la conscience théologique moderne comme le sacrement de l'Église par excellence, le sacrement dans lequel l'Église se reconnaît, se perpétue, comme le lieu et le temps du rassemblement du Peuple de Dieu, comme le don et la consécration de celui-ci en corps du Christ par la descente du Saint-Esprit et enfin comme le point de départ du témoignage et de l'expansion missionnaire et apostolique de l'Église tout entière. […]

L'Église, "prédéterminée avant les siècles"

Au-delà de l'Église dans le sens d'une institution, dans le sens le plus noble d'ailleurs du terme "institution", la tradition chrétienne cherche à dégager son ontologie initiale au sein du projet créateur de Dieu. C'est ainsi que saint Ignace d'Antioche s'adresse "à l'Église qui est à Éphèse, bénie dans la plénitude de la grandeur par Dieu le Père, prédéterminée avant les siècles à la gloire éternelle et immuable". Ici, saint Ignace est le continuateur de saint Paul qui a des paroles tout à fait similaires dans l'épître aux Éphésiens, aux chapitres 1 et 2. Ces références à Dieu le Père sont importantes, car l'Église est située immédiatement dans le plan trinitaire de salut. On ne doit cependant pas, au vu de ces textes, juxtaposer en des catégories platoniciennes deux aspects de l'Église : l'Église visible et l'Église invisible. Il n'est pas question de cela dans la pensée de saint Paul ni de saint Ignace. L'ontologie ecclésiale signifie que l'Église est une. Celle qui était dans le Conseil trinitaire de Dieu est celle de Jésus-Christ, celle qu'il a acquise par son précieux sang et avec laquelle il demeure jusqu'à la fin des siècles.

L'intérêt et l'importance de la tradition ecclésiale est donc de montrer qu'au-delà des formules stéréotypées d'une Église-institution, d'une Église-société, celle-ci est avant tout un organisme mystérieux d'amour et de vie. Par conséquent, ce n'est pas seulement l'homme comme individu, qui est prédéterminé au salut : non seulement l'Agneau est immolé avant la création du monde, mais l'Église elle-même est présentée comme l'Église première, l'Église spirituelle et créée avant le soleil et la lune, elle qui s'est manifestée dans les derniers jours pour notre salut dans la chair et dans le corps du Christ.

"L'Église est le fait primordial et permanent de la communion de l'homme à Dieu"

Selon ces textes anciens, l'Église est antérieure au projet cosmique qui lui est subordonné. Si la naissance de l'Église est au Golgotha, son baptême à la Pentecôte, ses chaînons s'étendent dans le temps et même dans l'éternité. Ainsi, "ce qui est premier dans le dessein de Dieu, voilà ce qui constitue la réalité définitive". Et par les avatars, par la chute et le péché, la récapitulation en Christ nous ramène aux origines. De transformation en transformation, les alliances successives de Dieu avec l'humanité marquent les étapes des passages de l'Église qui devient ce qu'elle est. Depuis toujours elle est ce royaume en germe ; elle l'est toujours en substance. L'Église n'est donc pas seconde au plan du salut, même si l'on peut se demander si les structures hiérarchiques et sacramentelles perdureront dans le Royaume, lorsque les symboles laisseront la place à la vision. Dans sa vérité ultime, l'Église est le fait primordial et permanent de la
communion de l'homme à Dieu. Cette restauration de la communion est l'unique désir de Dieu dès le premier instant de la chute.

Si l'Église est au commencement comme l'épiphanie de la volonté divine du salut, de vie, de communion éternelle, le paradis est bien une première manifestation de ce projet divin et trinitaire. L'Église découle donc du Conseil trinitaire. Cette notion théologique se trouve chez les Pères de l'Église. Mais non pas de manière extérieure, arbitraire, formelle, extrinsèque, mais comme le mode nécessaire inhérent à l'acte créateur lui-même. Si Dieu est Trinité, il crée l'homme à son image et à sa ressemblance, non seulement comme individu, mais comme communion trinitaire. "Il n'est pas bon pour l'homme d'être seul". Cette parole de la Genèse (2, 18) ne concerne pas seulement un couple humain perdu dans le paradis, mais elle exprime une réalité inhérente à l'être humain qui est, par nature et par vocation, un être de communion. Nous retrouvons ici l'ecclésiologie comme plénitude de l'anthropologie elle-même. Parler pour l'Église de Conseil trinitaire, cela signifie que la divine Trinité, étant elle-même la conciliarité parfaite et éternelle, crée par conséquent à son image et à sa
ressemblance, image dynamique, ressemblance ouverte au prototype, qui crée, qui fonde, qui accueille l'homme et le monde dans le cercle de la vie trinitaire.
Cela signifie donc que ce que Dieu pense et désire, cela est, et cela est à l'image de la Tri-unité divine, dans une relation commune et personnelle où l'Église, de même que l'homme, se pose et se dévoile en face des Hypostases divines, en face et à l'intérieur de la communion trinitaire éternelle. Il ne suffit donc pas de parler de l'Église comme communion trinitaire, il faut aussi voir dans l'Église la relation aux Personnes trinitaires. L'Église est la Maison du Père : "Il y a dans la Maison de mon Père des demeures nombreuses" (Jn 14,2), la maison où retourne l'enfant prodigue, le bercail du Bon Pasteur. La Maison du Père est ainsi le lieu de la filiation, de l'intimité, où dans nos propres coeurs, l'Esprit et le Fils crient "Abba, Père". Nous avons vu, même déjà par rapport à saint Ignace d'Antioche, le fait que
l'Église trouve sa vérité première et ultime dans sa relation au Père.

"L'Église de l'Esprit Saint"

"Le Christ ayant tout récapitulé en lui, remettra tout au Père et alors Dieu sera tout en tout". Le commencement et la fin se rejoignent dans le
mystère du Père. Cela est important pour cette ontologie de l'Église. L'Église du Père, c'est aussi, bien sûr, l'Église du Fils. Et là, nous
avons toutes les images pauliniennes : la maison, la demeure, le temple. Il y a son corps sanctifié, dont le Christ est la tête, l'Épouse, Vierge et Mère, dont le Christ est l'Époux. Dans l'Ancien Testament, c'est le peuple d'Israël qui a vécu cette relation nuptiale à l'Époux divin ; l'Église devient cette épouse sanctifiée par son précieux sang, le lieu de sa parole et de sa fidélité. Enfin, l'Église est aussi l'Église de l'Esprit Saint. […]

Ainsi, c'est dans l'Esprit Saint que l'Église est vie, vérité, sainteté, qu'elle devient Esprit par l'Esprit qui est en elle, par l'Esprit de sa
virginité, de sa maternité et de son allégresse, enfin par l'Esprit de sa victoire, c'est-à-dire de la Résurrection du Christ dans les saints
et dans les pécheurs qui se repentent. Ainsi, parler pour l'Église de Conseil trinitaire, c'est comprendre que le mystère de l'Église est le
même mystère que celui de la Trinité, c'est-à-dire un mystère d'amour. L'Amour trinitaire est donc l'événement ontologique primordial qui constitue et crée l'Église dans son être et qui détermine ses structures, ses institutions. L'Église est donc conciliaire, à l'image agissante en elle de la conciliarité trinitaire. "On peut appliquer à l'Église, par analogie, la théologie triadologique, écrivait le père Alexandre Schmemann. De même que les Trois Hypostases de la Sainte Trinité ne divisent pas la nature divine, chacune d'elles la possédant entièrement et en vivant, ainsi la nature de l'Église-corps du Christ n'est pas divisée par la multiplicité des Églises. Mais, de même que les Personnes divines se 'dénombrent' selon l'expression de saint Basile le Grand – ainsi se dénombrent les Églises et il y a parmi elles une hiérarchie". C'est ainsi que le 34e canon des Règles apostoliques institue l'organisation synodale des provinces ecclésiastiques, "afin que le Père, le Fils et l'Esprit Saint soient glorifiés" dans l'ordre même de la vie ecclésiale. Par conséquent, l'organisation même de l'Église et l'établissement et l'exercice même du ministère, de la diaconie de la primauté dans l'Église concourent à la glorification de la Sainte Trinité. […]

Les charismes dans l'Église, expression d'une "théologie expérientielle"

Parler des charismes dans l'Église, ce n'est pas seulement faire oeuvre d'historien, mais c'est toucher un aspect toujours actuel, et cela
particulièrement à notre époque où les Églises, surtout occidentales, sont interpellées par le mouvement charismatique. Il est donc important de préciser la doctrine de l'Église orthodoxe sur les charismes et de voir quelle est leur place dans l'Église, et cela depuis la fondation de celle-ci. Parler de l'Esprit Saint, ce n'est pas seulement parler de la Trinité. C'est aussi parler de l'expérience sensible, vécue, de l'Esprit dans l'Église et dans le monde. L'Église ancienne ne théologisait pas ; elle vivait dans l'Esprit Saint. C'était, comme le dit le père Meyendorff, une "théologie expérientielle".

On ne peut dissocier dans la vie des Églises apostoliques les ministères hiérarchiques et les charismes. Il n'y a pas de ministères et de diaconies qui ne soient charismatiques (1 Co). Néanmoins, dès les épîtres de saint Paul aux Corinthiens, la multiplicité des dons de l'Esprit semble faire problème. Saint Paul ne conteste pas l'authenticité des dons, il en est lui-même porteur et bénéficiaire. Mais il s'efforce de les ramener au Christ : "ersonne, parlant sous l'influence de l'Esprit de Dieu, ne dira 'Maudit est Jésus', et nul ne peut dire 'Jésus est le Seigneur', si ce n'est par l'Esprit Saint" (1 Co 12,3).
Par ailleurs, l'Esprit du Christ transcende les dons spirituels qui ne doivent pas être recherchés comme tels. Les expériences charismatiques individuelles recherchées pour elles-mêmes deviennent une gourmandise, une sensualité spirituelle. Enfin, saint Paul ramène tous les dons spirituels à l'unité commune, à l'édification du corps du Christ, et les subordonne au don suprême qui est l'amour.[…]

L'épiscopat, comme "service de tous les ministères"

Il n'y a pas d'opposition entre la vie spirituelle des Églises et le rôle des évêques. Ces derniers continuent à être considérés avant tout
comme des hommes spirituels dotés de la foi et du discernement. C'est la grande idée de saint Irénée de Lyon qui définit les évêques ou
les presbytres comme "ceux qui ont reçu le gage de l'Esprit et qui se conduisent droitement en tout, ceux-là, l'apôtre les appelle à juste titre
des spirituels". Obéissance leur est due, car, avec la succession de l'épiscopat, ils ont reçu le "charisme certain de la vérité". […]
Une étape ultérieure s'opère dans la prise de conscience théologique du ministère hiérarchique, en particulier dans les documents sacramentaux et canoniques des 3e et 4e siècles, le premier étant La Tradition apostolique de saint Hippolyte de Rome. Nous y trouvons la triple hiérarchie traditionnelle, telle qu'elle fut présentée par saint Ignace d'Antioche et telle qu'elle demeure jusqu'à nos jours. Plus clairement que chez saint Ignace apparaissent certains traits : la succession épiscopale par l'imposition des mains, la concélébration des évêques des Églises voisines pour la consécration épiscopale qui se fait collégialement (ceci est nouveau). La communauté locale est catholique et plénière, mais elle ne se suffit pas à elle-même. Ceci est analogue à l'idée de la communauté des évêques que prônait saint Cyprien de Carthage. L'évêque est élu par le peuple, mais celui-ci, ainsi que le presbyterium, garde le silence pendant la consécration.
Le presbyterium est un collège qui entoure l'évêque, mais ses fonctions sont clairement distinctes, particulièrement les fonctions de délégation et d'enseignement. Seul pour l'évêque est mentionné le caractère sacerdotal, lors de la prière d'imposition des mains. […] En l'évêque se trouve à la fois la plénitude du sacerdoce et du pastorat. Ce ministère est finalement une diaconie. Ce terme n'est pas encore réservé au troisième degré de la hiérarchie, il désigne le service de tous les ministères. […]
Aucun de ces charismes n'apparaît comme un pouvoir sur l'Église, pas même le ministère épiscopal. Ils se situent dans l'Église et non "sur" l'Église, ni "en dehors" de l'Église. Car en face du Christ Roi, seul Pasteur, Docteur et Prophète, tous les membres de l'Église sont membres du peuple de Dieu, du troupeau de Dieu. Tous sont ontologiquement "laïcs", c'est-à-dire oints et donc consacrés au Sacerdoce royal et prophétique du Christ et de son Église. Tout le laos de Dieu concélèbre à l'eucharistie de l'évêque en répondant amen à l'épiclèse. Cet amen a une portée ecclésiologique globale et "extra-liturgique". Il exprime la fonction propre du peuple, qui est de dire
dans le Saint-Esprit "oui", de recevoir, dans le don de discernement et de jugement, l'enseignement, la doctrine, la prédication de la foi et d'accepter dans la liberté créatrice des enfants de Dieu, l'exercice du pouvoir pastoral et de l'autorité de l'enseignement : "Ne vous faites pas les seigneurs à l'égard du troupeau, mais devenez les modèles".

"L'Esprit Saint est libre de susciter n'importe quel des membres de son Église pour le témoignage de la foi"

Il faut souligner la responsabilité collégiale du peuple de Dieu dans la réception de la foi, dans la défense de la foi et de la piété. Nous
savons l'importance du rôle des moines du temps des conciles oecuméniques, du concile d'Éphèse, Nicée II, et le rôle du Stoudion avec saint Théodore le Studite. Ce principe de la responsabilité collégiale du peuple de Dieu a été érigé en règle dans l'encyclique des patriarches orientaux de 1848, texte qui a été reçu dans l'orthodoxie comme un texte symbolique doté d'une certaine autorité canonique.
Le peuple orthodoxe en a conscience, même si ce jeu de la collégialité est inhibé et souvent diminué. Le père Alexandre Schmemann a parlé d'une crise de la collégialité dans l'orthodoxie contemporaine. Les décisions de cette encyclique ainsi que les décisions et statuts du concile de Moscou [de 1917-1918] demeurent à la fois comme une donnée et un idéal, qui demanderaient, dans l'Église russe comme dans les autres Églises de la diaspora, un très gros travail de purification et de vérité. Car cette collégialité est très difficile à mettre en place, à tous les niveaux, paroisse, diocèse ou Église entière. Il ne faut pas se leurrer : nous enseignons une théologie de la collégialité extrêmement belle, mais qui est, malheureusement, souvent démentie par la réalité.
Tout cela ne contredit ni le charisme dévolu à l'évêque, ni celui qui est dévolu à ses délégués, mais rappelle que cette délégation ne peut
se limiter formellement au presbyterium consacré. L'Esprit Saint est libre de susciter n'importe lequel des membres de son Église pour le
témoignage de la foi, pour l'enseignement, pour la remise en ordre du pastorat, pour la recherche théologique libre et créatrice. Là, le
charisme de réception et de discernement des ministères doctrinaux est appliqué à la fois par le peuple et par l'épiscopat, conjointement,
mais séparément, selon les pouvoirs et les responsabilités de chacun. L'épiscopat y garde ses prérogatives, sa fonction d'être le porte-parole de la doctrine apostolique, mais dans l'unité avec le peuple de Dieu. […]

"arvenir à une meilleure expérience de la vie de l'Esprit dans l'orthodoxie"

Le discernement du peuple concernant la fonction royale, pastorale de la hiérarchie, de son gouvernement est essentiel. Cela signifie une
conciliarité permanente dans l'Église locale, à tous les niveaux. Sans cette conciliarité, l'évêque se coupe de son Église, ne connaît pas ses brebis, ne peut ni intercéder pour elles, ni les paître, ni les représenter conciliairement. Dans les conciles primitifs, l'évêque portait suffisamment en lui le peuple de Dieu pour que le concile d'évêques soit un concile où l'Église entière était concernée. Aujourd'hui, il semble que cette relation de l'évêque au peuple de Dieu passe par une participation peut-être plus grande que par le passé du peuple à la vie et au gouvernement de l'Église. […]

Il y a un consensus, même s'il n'est pas total, concernant la certitude totale et universelle que l'orthodoxie porte en elle la vérité, même
si aucun membre particulier ne peut prétendre à la porter dans son entier ; et que nous sommes appelés au dialogue pour témoigner comme pour découvrir ce qu'il peut y avoir de positif chez nos frères [des autres confessions chrétiennes], pour entendre les questions qui nous sont posées et, à travers elles, parvenir à une meilleure expérience de la vie de l'Esprit dans l'orthodoxie. Nous avons besoin nous aussi d'une réforme profonde de nos institutions ecclésiales. Le père Schmemann a parlé jusqu'à sa mort de l'état de crise dans lequel se trouve l'orthodoxie, crise ecclésiologique, crise spirituelle, crise liturgique. Nous pensons qu'il s'agit d'une crise de croissance. Toutes ces questions ont été abordées au grand concile de Moscou [de 1917-1918], mais l'élan a été brisé par le mouvement révolutionnaire. Elles demeurent actuelles. L'Esprit Saint nous questionne et nous ne pouvons pas nous contenter du témoignage des envoyés de saint Vladimir à Constantinople : "Nous ne savions pas si nous étions au ciel ou sur la terre". Cela est vrai, dans la vie liturgique. Mais cela ne supprime pas la réflexion sur des questions comme l'exercice de la collégialité, ou la pratique spirituelle. Nous avons peut-être aussi à apprendre. Nous ne pouvons pas témoigner de l'orthodoxie dans le monde et devant nos frères séparés si nous ne réformons pas notre propre existence, à la fois ecclésiale et personnelle.

(Les intertitres sont de la rédaction du SOP.)


La discussion

      voix orthodoxe, de stephanopoulos [2003-06-24 23:01:04]
          Re : voix orthodoxe, de cathether [2003-06-25 08:36:10]
              Re : voix orthodoxe, de appuleius [2003-06-26 11:06:50]
                  Re : voix orthodoxe, de stephanopoulos [2003-06-27 01:11:08]
                      Re : voix orthodoxe, de appuleius [2003-06-28 21:33:14]