Suite du "Da Vinci Code"
olo -  2005-02-28 14:01:33

Suite du "Da Vinci Code"

http://www.lefigaro.fr/magazine/20050225.MAG0021.html Le nouveau Dan Brown Alerte ! Dan Brown arrive avec sa cohorte d'anges et de démons. Au coeur de l'intrigue : sectes voulant dominer le monde et complot. La recette qui a fait le succès du «Da Vinci Code» est intacte. ARNAUD BORDAS [26 février 2005] Dan Brown est devenu le maître du thriller ésotérique.  PHOTO AFP.  Dan Brown est de retour. La parution le 2 mars en France de son nouveau roman, Anges et Démons (ed. J.-C. Lattès, 571 p., 22 euros), vient confirmer combien la machine Brown repose avant tout sur une recette. Anges et Démons arrive un an après Da Vinci Code, histoire de surfer sur le succès encore tout chaud. Mais il lui est antérieur. Paru aux Etats-Unis en 2000, il s'est déjà vendu à près de 10 millions d'exemplaires. En France, avant même le premier livre vendu, la mise en place en librairie est de 300 000 exemplaires. Ce roman à énigmes (il fallait s'y attendre), en plus d'être une nouvelle aventure du professeur Langdon, est doté du même schéma narratif que le Da Vinci Code. Exactement comme dans ce dernier, l'histoire débute alors que Langdon est réveillé par le coup de fil étrange d'un personnage qui a besoin d'aide. L'interlocuteur fait parvenir à Langdon la photo d'un cadavre sur lequel figure un symbole mystérieux puis l'engage à venir le rejoindre au plus vite. Après un voyage en avion supersonique, Langdon se retrouve en Suisse, au Conseil européen pour la recherche nucléaire (Cern), où l'attend son contact. Sur place, Langdon est informé du meurtre d'un des responsables du Cern, sur le corps duquel on a retrouvé un ambigramme (variation graphique d'un mot vu sous un certain angle ou une certaine rotation) reliant le meurtre à la secte des Illuminati, un mouvement fondé au milieu du XVIIIe siècle par un franc-maçon allemand (et non au début du XVIe siècle par Galilée, comme le prétend Brown) et qui a pour ennemi déclaré l'Eglise catholique. Le scientifique assassiné, apprend-on, travaillait à la création d'une énergie aussi révolutionnaire qu'instable, l'antimatière, dont une infime quantité est à la fois capable d'éclairer une grande ville et de la rayer de la carte. Pour ne rien arranger, un échantillon, dix fois plus puissant qu'une bombe atomique, a été subtilisé et Langdon oriente ses recherches vers le Vatican, alors qu'un conclave est en train de s'organiser pour élire un nouveau pape. Tous les ingrédients «browniens» sont ici réunis. On y retrouve la présence d'une figure historique célèbre et moderniste : Galilée (dans Da Vinci Code c'était Léonard de Vinci qui tenait le rôle), la vengeance d'une société secrète jadis opprimée par l'Eglise, et pourtant implantée dans les hautes sphères de l'Etat (les Illuminati prennent ici la place du Prieuré de Sion). Il y a encore la jeune femme séduisante qui est en fait une proche parente du défunt assassiné et qui va assister Langdon dans sa quête. Elle se prénomme Vittoria, fille du professeur Vetra et non plus Sophie, petite-fille de Saunière, le désormais célèbre conservateur du Louvre. Pour ne rien dire de la sempiternelle mise en scène symbolique des meurtres, des énigmes en marabout-de-ficelle, des oeuvres d'art truffées de codes... Tout est là. A la lecture d'Anges et Démons, on se prend à penser que l'auteur doit avoir en sa possession un logiciel d'écriture dans lequel il rentre ses «informations» et qui lui régurgite automatiquement un roman prêt à lire. Et pourtant ça marche. Il faut donc bien s'interroger sur ce phénomène, d'une petite entreprise qu'on pourrait dénommer «Dan Brown Inc». Dan Brown est né en 1964 dans le New Hampshire. Ses biographes racontent qu'il assista un jour, sur le campus d'une université, à l'arrestation musclée d'un étudiant coupable d'avoir évoqué un attentat contre Bill Clinton sous forme de boutade. Brown aurait été traumatisé au point d'en tirer une lecture paranoïaque de la marche du monde. Son premier roman, Digital Fortress met en scène la National Security Agency et le risque qu'elle ferait courir aux libertés individuelles. Da Vinci Code et Anges et Démons procèdent de la même veine. La faillite des idéologies et la remise en cause des dogmes religieux ont en effet plongé notre monde occidental dans une sorte de transe paranoïaque, une quête de sens complètement déboussolée qui avance à l'aveuglette et redéfinit le monde comme un chaos organisé, volontairement rempli de signes cachés et de symboles interprétables à l'infini. C'est bien en tant que parangon de cet esprit du siècle que Dan Brown risque de rester dans les annales de la littérature. Mais loin derrière des auteurs comme Umberto Eco (le Pendule de Foucault) ou Théodore Roszak (la Conspiration des ténèbres). Sur des thèmes similaires, tous deux déployaient plus de talent et d'intelligence, et faisaient montre d'une belle capacité à tirer leur lecteur vers le haut. Car, au-delà de ses histoires simplistes faisant directement référence aux grandes heures du roman-feuilleton et à ses coups de théâtre stéréotypés, Dan Brown déconcerte par sa conception personnelle de la vérité. Les avant-propos de Da Vinci Code et d'Anges et Démons authentifient, avec assurance, l'existence d'organisations comme le Prieuré de Sion et les Illuminati, ainsi que les descriptions de monuments ou d'oeuvres d'art telles qu'elles sont présentées dans les ouvrages. Ces assertions laissent pantois quand on sait le nombre de petits arrangements avec l'Histoire que l'écrivain n'hésite pas à s'autoriser dans ses récits. Il suffit simplement de savoir que le traducteur français a dû écrémer le texte original, de peur que nos compatriotes n'éclatent de rire à la lecture de certains passages : le plan de Paris de la version originale de Da Vinci Code, simplifié comme aucun tour-opérateur n'aurait osé le faire, en est un exemple. D'autres bourdes sont passées à travers les mailles du filet de l'éditeur : on apprend ainsi que l'Eglise de France avait fait interdire le film la Dernière Tentation du Christ... Il serait trop long de répertorier ici les nombreuses interprétations trompeuses et autres falsifications dont a pu se rendre responsable l'écrivain * mais fort de constater qu'il existe un système qui consiste à fabriquer du best-seller à la louche, en mélangeant Histoire et fiction, sans respect excessif pour le lecteur. Soyons clair, le roman à énigmes, issu d'une vieille tradition feuilletonesque et ésotérique, n'a pas été inventé par Dan Brown. L'écrivain américain ne fait que récupérer les codes et les recettes d'un genre, en les accommodant à sa sauce. Tout d'abord, il spécule sur l'inculture et la crédulité supposées de ses contemporains, puisqu'il trafique les événements historiques et les oeuvres artistiques pour les plier à ses vues idéologiques et sensationnalistes. A ceux qui l'accusaient de violer l'Histoire, Alexandre Dumas répondait : «Peut-être, mais je lui ai fait de si beaux enfants.» Brown, lui, n'assume pas le caractère fictionnel de son travail et semble ne l'avoir utilisé que dans le but d'élargir la circonférence de sa cible. Pis, lorsqu'un historien le prend à partie dans une émission, il répond sans ciller qu'il n'aurait pas enlevé une ligne de Da Vinci Code s'il avait voulu écrire un ouvrage historique. Pur produit de l'université américaine des années 80, où le politiquement correct régnait en maître, Dan Brown est féministe, anticlérical et paranoïaque. Pour lui, l'Histoire se résume à un grand complot millénaire de l'homme catholique contre la femme païenne, celle-ci ayant été constamment muselée et oppressée. Partant de là, tous les moyens sont bons pour faire rentrer sa démonstration dans la tête du lecteur avide d'histoires invraisemblables. Tous les moyens, y compris les très grosses ficelles. Car Dan Brown est également un piètre écrivain. Ses romans sont truffés d'incohérences, de répétitions et de clichés descriptifs éculés (le héros possède «une chaude voix de baryton»). Ses personnages sont, la plupart du temps, monolithiques et unidimensionnels (voir le professeur Robert Langdon, bel exemple d'homme sans personnalité ni caractère). Par un procédé racoleur, Dan Brown fait souvent passer ses personnages pour des benêts, flattant, par contraste, l'ego de son lecteur. Ainsi, dans Da Vinci Code, Langdon, éminent spécialiste des messages cryptés, met-il deux pages pour décoder une simple phrase en miroir, dont on a immédiatement compris la clé. La capacité de Brown à réinterpréter l'Histoire et à ébranler les certitudes de son lecteur participe également de ce procédé manipulateur qui tend à rallier le lecteur à sa cause. On découvre donc dans Anges et Démons que la pyramide surmontée d'un oeil, qui figure sur le billet d'un dollar américain, est la marque incontestable des Illuminati. Savant mélange de coups de coude faussement complices et de mensonges tellement énormes qu'ils en deviennent évidents, la prose de Dan Brown entretient un rapport éminemment pervers avec le lecteur. Avant même qu'Anges et Démons ne soit en librairie, on apprend que l'écrivain travaille à une nouvelle aventure du professeur Langdon, cette fois-ci inscrite dans le milieu de la franc-maçonnerie, à paraître courant 2006. Histoire secrète du monde, complot international, on pourrait presque déjà en raconter la trame, à défaut d'en prédire, une nouvelle fois, le succès.