Quelques éléments de réponse
Alypius -  2011-03-10 23:33:29

Quelques éléments de réponse

« J'ai l'impression pour ma part, qu'à chaque fois qu'on s'insurge contre les Lumières et la laïcité de 1905, on insulte ces frères chrétiens. » Je trouve que vous allez un peu vite en besogne, même si vous posez une vraie question. Voici quelques humbles éléments de contribution au débat : 1. Oui, il y avait des chrétiens coptes dans les récentes manifestations en Égypte. Ces révoltes furent avant tout des mouvements de revendication sociale et les jeunes coptes ne sont pas moins atteints par le chômage que leurs compatriotes musulmans. D'où des tensions entre ces jeunes coptes militants, dont une partie fut responsable de l'organisation des dernières manifestations de la place Tahrir, et l'Église copte du patriarche Chénouda III, qui afficha un soutien sans faille au régime de Moubarak. Nul ne sait ce qu'il adviendra de l'Égypte dans les années à venir, et il est très douteux que la situation des Coptes s'améliore... Mais ne parlons pas à la place des chrétiens d'Orient. 2. La laïcité « à la turque » est, comme vous le soulignez, un article d'importation occidental, mis en place et accomodé dans les années 1920 par Atatürk, influencé notamment par le modèle jacobin français. Mais faut-il vous rappeler - ou vous apprendre - que c'est un parti laïciste, réformateur et « éclairé » par les Lumières occidentales qui organisa froidement le génocide monstrueux des Arméniens, des Assyriens des Grecs Pontiques, dans les dernières années de l'Empire ottoman ? Ce parti « Union et Progrès » des Jöntürk (Jeunes-Turcs) était sous la double influence des loges maçonniques de Salonique et de la secte religieuse alévie (bektachie), un islam très hétérodoxe et particulièrement modéré (et d'ailleurs honni par toutes les composantes de l'islam orthodoxe). Dans cet « Orient compliqué », évitons les schémas simplistes. Les chrétiens furent plus persécutés en quelques années de réformisme nationaliste à l'occidentale qu'en 600 ans d'empire ottoman califal (je ne fais que compter les morts). 3. La laïcité « à la turque » est la forme de laïcité « orientale » la plus occidentalisée qui soit. La Syrie baasiste, l'Irak baasiste et l'Égypte de Nasser ne sont pas (ou n'étaient pas) des pays « laïcs », en tout cas pas au sens où nous entendons ce mot en France. La « laïcité » de ces pays, qui en effet protège en partie les minorités chrétiennes - et l'on se souvient que le parti nationaliste, socialiste et « laïc » du Baas a été fondé par un chrétien syrien , Michel Aflaq - ne ressemble pas vraiment à la « laïcité à la française ». Je ne pense pas qu'un pays qui impose constitutionnellement au Président d'appartenir à une religion donnée (l'islam en Syrie) soit du goût de nos laïcards français ; parlez-en à Caroline Fourest. La laïcité à la française est antireligieuse, anticatholique (souvenez-vous de Viviani qui voulait éteindre au ciel des étoiles qui ne se rallumeront pas). Les formes de laïcité qui existent aujourd'hui dans le monde musulman ne sont en rien antireligieuses : l'État reste traditionnellement protecteur des croyants musulmans (héritage califal de l'Empire ottoman) mais aussi des minorités (héritage « sultanique » de l'Empire ottoman et de l'Empire perse, à nuancer toutefois). Il est vrai que la Syrie est le pays du Moyen-Orient où les chrétiens vivent le mieux, grâce à un système politique équilibré respectant le droit des minorités : il faut le reconnaître et l'apprécier. Je ne vois cependant pas le rapport avec notre loi de 1905 bien française, avec notre « démocratie libérale » (sur laquelle ironise souvent le Président Bachar el-Assad), nos « droits de l'homme », nos « Lumières » prétendues universelles. En matière de Lumières, n'oublions pas que les Arabes ont aussi les leurs - la Nahda du XIXe siècle - et qu'il ne s'agit pas d'une pure importation occidentale ; ils n'ont pas forcément besoin du phare de l'Occident pour savoir comment bien gouverner et pour protéger leurs minorités. 4. Je vous accorde que les rêves de « croisade », que l'on observe ici et là dans quelques milieux catholiques sont sans aucun doute à rejeter. Ceux qui rêvent de croisades sont soit des irréalistes impolitiques sur fond de vague nostalgie de la chrétienté médiévale (éventuellement accomodée à la sauce « question d'Orient » du XIXe siècle)... soit de fiers soutiens de l'ingérence occidentale actuelle dans la région, qui est américaine et catastrophique. Rêverie ou atlantisme, peste ou choléra. La « croisade » du protestant Bush en Irak n'a pour le moment réussi qu'à détruire une Nation et nous connaissons les résultats : exode des chrétiens d'Irak présents sur ce sol depuis 2 000 ans, persécutions à répétition contre les minorités chrétiennes qui restent sur place dans un pays toujours au bord de la guerre civile... jusqu'au récent massacre dans la cathédrale syriaque catholique de Bagdad. Certes, les responsables de ces atrocités sont bien des islamistes djihadistes... mais il est honnête de rappeler que, sous le régime baasiste de Saddam Hussein, les minorités chrétiennes ne couraient pas autant de dangers. 5. Enfin, je vais faire hurler, mais dans la République islamique d'Iran, la situation des chrétiens arméniens est encore à peu près tolérable, quoique difficile. Les tensions avec le pouvoir sont fortes, ils sont soumis aux mêmes restrictions que les autres Iraniens (interdiction de l'alcool, obligation du port du voile pour les femmes), leur autonomie est restreinte (le régime contrôle toutes les écoles chrétiennes) et le prosélytisme et la conversion au christianisme sont sévèrement punis (jusqu'à la peine de mort), mais ils sont protégés théoriquement par la Constitution, ils ont des sièges réservés au Majlis (Parlement) et ils ont le libre exercice du culte. Et l'on n'entend pas parler de massacres de chrétiens comme dans les deux pays voisins, le Pakistan et l'Irak. La situation perdura, en partie grâce avec l'Arménie, qui pose des conditions de respect des libertés individuelles des chrétiens à sa bonne entente diplomatique et économique avec le régime de Téhéran. Mieux vaut aujourd'hui être chrétien à Ispahan qu'à Bagdad ou Islamabad. Je n'ai pas le temps de développer ce derniers points : - Il n'est pas illégitime de critiquer intelligemment la laïcité « à la française » ou l'idéologie des « droits de l'homme » ; cela ne revient pas pour autant à nier qu'il existe des libertés concrètes qu'il faut garantir au niveau politique. Critiquer le concept moderniste de « liberté religieuse » d'un point de vue catholique ne signifie pas que nous rêvons tous d'organiser la persécution des non-catholiques et des hérétiques sur le sol de la Fille aînée de l'Église. Il est vrai que ce point de vue critique est souvent mal compris car souvent mal présenté. - Lorsque l'on parle de persécution des chrétiens d'Orient ou même de persécution en général, il faut toujours préciser leur provenance (sont-elles légitimées au niveau étatique ?) et leur degré d'intensité ; sinon, on ne comprend plus rien et l'on est conduit à tout mettre dans un même sac : "chrétiens de France, d'Égypte, d'Iran, du Pakistan, d'Algérie, de Corée du Nord, du Kosovo : tous persécutés".