Mais...
BK -  2011-03-04 16:28:32

Mais...

y a-t-il réellement quelque chose de nouveau, "précisément de ne plus reconnaître la part de responsabilité spécifique des responsables de la religion juive dans la mort de Notre-Seigneur" ? "Mais posons-nous avant tout cette question : qui étaient précisément les accusateurs ? Qui a insisté pour que Jésus soit condamné à mort ? Dans les réponses des Évangiles, il y a des différences sur lesquelles nous devons réfléchir. Selon Jean, ce sont simplement les « Juifs ». Mais cette expression chez Jean – comme le lecteur moderne serait tenté de l’interpréter – n’indique en aucune manière le peuple d’Israël comme tel, et elle a encore moins un caractère « raciste ». En définitive, Jean lui-même, pour ce qui est de la nationalité, était un Israélite, tout comme Jésus et tous les siens. La Communauté primitive tout entière était composée d’Israélites. Chez Jean, cette expression a une signification précise et rigoureusement limitée : il désigne par là l’aristocratie du Temple. Ainsi, dans le quatrième Évangile, le cercle des accusateurs qui veulent la mort de Jésus est décrit avec précision et il est clairement délimité : il s’agit, justement, de l’aristocratie du Temple – mais non sans quelque exception, comme nous le laisse deviner l’allusion à Nicodème (cf. 7,50s.). En Marc, dans le contexte de l’amnistie pascale (Barabbas ou Jésus), le cercle des accusateurs semble plus large : voici qu’apparaît l’ochlos qui opte pour la relaxe de Barabbas. Tout d’abord, ochlos veut simplement dire une quantité importante de personnes, la « masse ». Bien souvent le mot a un accent négatif dans le sens de « plèbe ». En tout cas, par ce mot, ce n’est pas « le peuple » des Juifs qui est désigné comme tel. À l’occasion de l’amnistie pascale (que, en réalité, nous ne connaissons pas par d’autres sources mais dont il n’y a pas de raison de douter), le peuple – comme cela était d’usage pour d’autres amnisties – a le droit de faire une proposition manifestée par « acclamation » : en ce cas, l’acclamation du peuple a un caractère juridique (cf. Pesch Markusevangelium II, p. 466). En ce qui concerne cette « masse », il s’agit en fait des défenseurs de Barabbas qui se sont mobilisés pour l’amnistie ; en tant que rebelle d’une révolte contre le pouvoir romain, il pouvait naturellement compter sur un certain nombre de sympathisants. Les partisans de Barabbas étaient donc là, la « masse », tandis que ceux qui croyaient en Jésus, apeurés, restaient cachés ; c’est ainsi que la voix du peuple sur qui le droit romain comptait était représentée de manière unilatérale. En Marc donc, à côté des « Juifs », c’est-à-dire les cercles sacerdotaux qui font autorité, entre en jeu effectivement l’ochlos, le groupe des partisans de Barabbas, mais pas le peuple juif comme tel. On trouve une amplification de l’ochlos de Marc, fatal dans ses conséquences, en Matthieu (27,25), qui parle, lui, de « tout le peuple », lui attribuant la demande de la crucifixion de Jésus. Ce faisant, Matthieu à coup sûr n’exprime pas un fait historique : comment le peuple tout entier aurait-il pu être présent en un tel moment pour demander la mort de Jésus ? La réalité historique apparaît d’une manière certainement correcte en Jean et en Marc. Le vrai groupe des accusateurs est celui des cercles existant dans le Temple et, dans le contexte de l’amnistie pascale, la « masse » des partisans de Barabbas se joint à eux. À cet égard, on peut sans doute donner raison à Joachim Gnilka, pour qui Matthieu – dépassant les faits historiques – a voulu formuler une étiologie théologique, qui lui permettait de s’expliquer le terrible destin d’Israël dans la guerre judéo-romaine, dans laquelle le pays, la ville et le Temple furent enlevés au peuple (cf. Matthäusevangelium II, p. 459). Dans ce contexte, Matthieu pense peut-être aux paroles de Jésus quand il prédit la fin du Temple : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble ses poussins sous ses ailes…, et vous n’avez pas voulu ! Voici que votre maison va vous être laissée déserte… » (Mt 23,37s. ; cf. Gnilka, tout le paragraphe Gerichtsworte, p. 295-308). À propos de ces paroles, il faut – comme nous l’avons montré dans la réflexion sur le discours eschatologique de Jésus – rappeler l’analogie profonde qui existe entre le message du prophète Jérémie et celui de Jésus. Jérémie annonce – s’opposant à l’aveuglement des cercles dominants d’alors – la destruction du Temple et l’exil d’Israël. Mais il parle aussi d’une « nouvelle Alliance » : le dernier mot n’est pas le châtiment ; celui-ci est au service de la guérison. De manière analogue, Jésus annonce la « maison laissée déserte » et donne déjà à l’avance la Nouvelle Alliance « en son sang » : en dernière analyse, il s’agit de guérison et non pas de destruction ou de répudiation. Si, selon Matthieu, « tout le peuple » avait dit : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! » (27,25), le chrétien doit se souvenir que le sang de Jésus parle un autre langage que celui d’Abel (cf. He 12,24) : il n’exige ni vengeance ni punition, mais il est réconciliation. Il n’est pas versé contre quelqu’un, mais c’est le sang répandu pour la multitude, pour tous. « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu… Dieu l’a exposé [Jésus], comme instrument de propitiation par son propre sang », dit Paul (Rm 3,23.25). De même que c’est en fonction de la foi qu’il faut lire de manière complètement neuve l’affirmation de Caïphe sur la nécessité de la mort de Jésus, de même faut-il le faire à propos de la parole de Matthieu sur le sang : lue dans la perspective de la foi, elle signifie que nous tous nous avons besoin de la force purificatrice de l’amour, et cette force, c’est son sang. Ce n’est pas une malédiction, mais une rédemption, un salut. C’est seulement en fonction de la théologie de la dernière Cène et de la Croix présente à travers tout le Nouveau Testament que la parole de Matthieu sur le sang acquiert son sens correct." Extraits du volume deux du Jésus de Nazareth de Benoît XVI.