La Jérusalem céleste
Jean Ferrand -  2010-03-26 16:49:51

La Jérusalem céleste

2. Les grandes énigmes de l'Apocalypse. 19. La Jérusalem céleste. Prigent affirme l’unité littéraire de la péricope : Ap 21,1 – 22,5. « C’est le mérite, dit-il page 449, de J. Comblin [un autre exégète] d’avoir souligné avec une particulière insistance les caractères communs de ces trois parties [Ap. 21,1-8 ; 21,9-27 ; 22,1-5]. » Le plan septénaire que nous avons proposé (voir l'article ‘Apocalypse’ de Wikipédia) n’en doute pas. « On peut donc dire que c’est Jérusalem (mentionnée dans les trois paragraphes) qui est le fil conducteur et le principe d’unité de 21,1 – 22,5. » (Page 450). Le plan septénaire n’en doute toujours pas, qui intitule ce morceau : Vision de la Jérusalem céleste. « Ce texte forme une unité : il suit la vision du jugement (Ap 20,11-15) et précède l’épilogue (Ap 22,6-21) » dit Prigent dans son livre de 1998, page 202. Ce jugement conforte encore le plan septénaire que nous avons repris d’Alfred Läpple : et ceci contre l’avis de maints exégètes, et contre la présentation de beaucoup de bibles. En particulier, la Bible de Jérusalem fait commencer seulement l’épilogue au verset 22,16. Mais dès le verset 22,6 les visions anticipatrices sont déjà closes. C’est le texte de l’Apocalypse même qui le dit : « une fois les paroles et les visions achevées, je tombai…» (Ap 22,8). Nous étions déjà entrés dans la parénèse finale. La vision de la Jérusalem céleste se termine donc par une formule quasi liturgique : « Le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière, et ils règneront pour les siècles des siècles.» (Ap 22,5). Le plan septénaire a vu, dans cette quasi cadence musicale : « pour les siècles des siècles », un mot-charnière qui achève le paragraphe, et pour le coup toutes les visions. Mais quelle est donc cette Jérusalem nouvelle, dont la description nous est fournie à trois reprises (cf. Ap 21,2-3 ; 21,9-27 ; 22,2-3) ? Dans son livre de 1998, Prigent ne se posait même pas la question. Le sujet est expédié en quelques lignes ambiguës, page 203. Dans son gros volume critique, daté de l’an 200 : « Il n’est donc pas question de dire que la Jérusalem céleste est tout simplement l’Eglise chrétienne. » (Page 458). Car l’Eglise de cette terre, en tant que Royaume de Dieu, n’est encore qu’une réalité idéale, l’objet d’une pure espérance. Elle ne l’est qu’en esprit, ce Royaume de Dieu, pas dans le corps, pas en chair et en sang. Pour nous, il ne faisait aucun doute que cette Jérusalem d’en haut ne fût la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine. Démonstration ? Elle est sainte, car elle est déclarée effectivement sainte (cf. Ap 21,2.10), car cette « ville est de l’or pur » (Ap 21,18), « la place de la ville est de l’or pur » (Ap 21,21). A deux reprises, au moins, il est déclaré que rien ni personne d’impur n’y pourra pénétrer (cf. Ap 21,8.27). C’est bien l’Eglise encore, c’est-à-dire le rassemblement des prédestinés. « Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple, et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu. » (Ap 21,3). Prigent s’étonne (L’Apocalypse, 1998, page 203) à ce propos que Jean ait choisi le mot grec de « skênê », la tente, qui évoque si fort, jusque dans sa consonance le mot hébreu de Shekina, la Demeure (par excellence, celle de Dieu). A mon avis, ce n’est pas une coïncidence, car en réalité le mot sémite devait avoir la même étymologie que le mot grec (cela arrive plus souvent qu’on ne croit) : la demeure des nomades, c’est par priorité la tente. Et Jean a choisi volontairement d’évoquer la Shekina divine, c’est-à-dire l’habitation familière de Dieu parmi les humains. Il en est de même, remarquons-le, dans le IVe évangile, verset 1,14 : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a dressé sa tente [eskênôsen] parmi nous. » Loin d’être une coïncidence, là encore, puisque, selon nous, l’Apocalypse et le IVe évangile ont le même auteur. La Jérusalem céleste accueillera tous les croyants, mais exclura les lâches. « Celui qui a soif, moi, je lui donnerai de la source de vie gratuitement. Telle sera la part du vainqueur ; et je serai son Dieu, et lui sera mon fils. Mais les lâches… » (Ap 21,6-8). Elle contiendra, cette Eglise, tous les rescapés des 12 tribus de l’ancien Israël (cf. Ap 21,12), de même que les rescapés des douze tribus du nouveau (cf. Ap 21,14). « Rien de souillé n’y pourra pénétrer, ni ceux qui commettent l’abomination et le mal, mais seulement ceux qui sont inscrits dans le livre de vie de l’Agneau. » (Ap 21,27). Cette Eglise sera catholique, c’est-à-dire universelle. « Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre viendront lui porter leurs trésors. Ses portes resteront ouvertes le jour – car il n’y aura pas de nuit – et l’on viendra lui porter les trésors et les fastes des nations. » (Ap 21,24-26). Quant à son apostolicité, elle ne fait non plus aucun doute ; elle est éclatante, car la Jérusalem d’en haut « repose sur douze assises portant chacune le nom de l’un des douze Apôtres de l’Agneau. » (Ap 21,14). « Il [l’Ange] la mesura donc à l’aide du roseau, soit douze mille stades. » (Ap 21,16). « Les assises de son rempart sont rehaussées de pierreries de toute sorte : la première assise est de jaspe, la deuxième de saphir, la troisième de calcédoine, la quatrième d’émeraude, la cinquième de sardoine, la sixième de cornaline, la septième de chrysolithe, la huitième de béryl, la neuvième de topaze, la dixième de chrysoprase, la onzième d’hyacinthe, la douzième d’améthyste. Et les douze portes sont douze perles, chaque porte formée d’une seule perle ; et la place de la ville est de l’or pur, transparent comme du cristal. » (Ap 21,19-21). Qu’elle soit romaine, aussi, ne fait pour nous aucun doute. Car la Jérusalem d’en haut est venue prendre la place de l’empire romain, et spécialement de la ville de Rome capitale de cet empire : empire romain et Rome dont il fut sans cesse question dans toute l’Apocalypse. Déjà, on l’avait entrevue par anticipation, cette Jérusalem céleste, au moment du témoignage, à Rome précisément, des deux Témoins, les coryphées des apôtres, Pierre et Paul (cf. Ap 11,1-13) ; déjà le voyant l’avait mesurée, cette ville, sur l’ordre de l’Ange. « Puis on me donna un roseau, une sorte de baguette, en me disant : ‘Lève-toi pour mesurer le Temple de Dieu, l’autel et les adorateurs qui s’y trouvent ; quant au parvis extérieur du Temple, laisse-le, ne le mesure pas, car on l’a donné aux païens ; ils fouleront la Ville Sainte durant quarante-deux mois. Mais je donnerai à mes deux témoins de prophétiser pendant mille deux cent soixante jours, revêtus de sacs.’ Ce sont les deux oliviers et les deux flambeaux qui se tiennent devant le Maître de la terre. » (Ap 11,1-4). On a reconnu Pierre et Paul, en train d’édifier la sainte Eglise, la Ville sainte, à Rome même, capitale de l’empire païen. Ils ont pu prêcher librement, revêtus de sacs comme les prophètes, pendant trois ans et demi, avant que la tempête ne se déchaîne contre eux, et qu’ils ne subissent un glorieux martyre. C’est bien la sainte Eglise, catholique, apostolique et romaine, qu’il faut donc voir dans la Jérusalem céleste. « Elle s’est faite belle, comme une jeune mariée, parée pour son époux.» (Ap 21,2). Car elle est l’épouse du Christ, « la fiancée, l’Epouse de l’Agneau.» (Ap 21,9). Elle s’est faite belle, car elle a été purifiée de tous ses péchés, et aussi parce que tous les pécheurs impénitents en ont été exclus. « Seulement ceux qui sont inscrits. » (Ap 21,27). Elle sera le lieu d’un bonheur impérissable. « Il essuiera toute larme de leurs yeux ; de mort, il n’y en aura plus ; de pleurs, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé. » (Ap 21,4). Et surtout la gloire de Dieu, et Dieu lui-même, résideront dans son enceinte. « Voici la demeure de Dieu avec les hommes. » (Ap 21,3). « Avec en elle la gloire de Dieu. » (Ap 21,11). « Le trône de Dieu et de l’Agneau sera dressé dans la ville, et les serviteurs de Dieu l’adoreront ; ils verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts.» (Ap 22,3-4). C’est bien le paradis ; le lieu de la vision intuitive et face à face de Dieu, de la Sainte Trinité même. « Puis l’Ange me montra le fleuve de Vie [l’Esprit, cf. Jn 7,38-39], limpide comme du cristal, qui jaillissait du trône de Dieu [le Père] et de l’Agneau [le Fils]. » (Ap 22,1). L’Esprit découle, ou procède, du Père et du Fils. « Ces paroles sont certaines et vraies. » (Ap 22,6). Mais il ne faisait aucun doute, non plus, que cette Jérusalem nouvelle qui descendait du ciel ne fût l’Eglise déjà pérégrinant sur cette terre, en ce moment où nous vivons. En effet, elle contient les douze tribus de la maison d’Israël (cf. Ap 21,12) et son rempart « repose sur douze assises portant chacune le nom d’un des douze Apôtres de l’Agneau. » (Ap 21,14). Or ces douze tribus, Juda, Ruben, Gad, Aser, Nephtali, Manassé, Siméon, Lévi, Issachar, Zabulon, Joseph et Benjamin (cf. Ap 7,5-8), et ces douze apôtres « Pierre, Jean, Jacques, André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques fils d’Alphée et Simon le zélote, et Jude frère de Jacques » (Ac 1,13), puis Matthias (cf. Ac 1,26), furent bien des réalités terrestres. Jérusalem aussi, à l’origine, était une réalité terrestre, même si elle nous apparaît maintenant transfigurée. L’Eglise actuelle, l’Eglise de Dieu, l’Eglise de cette terre, règne déjà dans les cieux, d’où elle redescendra pour devenir à jamais « la demeure de Dieu avec les hommes. » (Ap 21,3). Il manque à Prigent une bonne lecture de l’eucharistie : l’eschatologie est déjà là, toute entière, dans sa réalité sacramentelle. Mais elle ne se manifestera (théophanie définitive) qu’à la parousie. Tel est bien le sens, prégnant pour nous, de cette vision terminale de l’Apocalypse.