La théologie politique de Charles Journet (J. Madiran)
XA -  2009-12-03 11:40:34

La théologie politique de Charles Journet (J. Madiran)

La théologie politique de Charles Journet Tel est le titre de l’ouvrage que Guillaume de Thieulloy publie aux Editions Téqui. Ne connaissant pas ce jeune auteur autrement que par ce livre passionnant, je l’imagine sympathique, visiblement doué pour la discussion sérieuse et pour la clarté des idées, catholique militant, d’esprit plutôt traditionnel, dont la réflexion philosophique se recommande de Maritain et de Journet, c’est un parrainage d’un bon niveau même s’il est par moments discutable, notamment en politique. Même théologique, une politique se traduit en « engagements » concrets comme ne manque pas de l’indiquer notre auteur. Le livre retient surtout l’engagement Journet-Maritain « contre les deux totalitarismes », le fascisme et le communisme (Journet en ajoutant volontiers un troisième, le totalitarisme du « libéralisme » anglo-saxon). Toutefois ce refus des deux totalitarismes est théorique, il est dans les principes et dans l’intention, mais en fait, Journet et Maritain ont accepté, contre le totalitarisme fasciste, de se trouver dans le même camp que le totalitarisme communiste, tandis qu’ils ont toujours su éviter fût-ce la moindre apparence d’être avec les fascistes dans le camp anti-communiste. D’où quelques jugements injustes, notamment une condamnation en termes étonnements vifs de la reconnaissance de Franco par Pie XI (p. 53) et la critique de la politique italienne de Pie XII jugée trop anti-communiste (p. 59). C’est en somme le « politiquement correct », aisément reconnaissable même sous sa version démocrate-chrétienne, qu’expose mais aussi que fait sien Guillaume de Thieulloy. Maurras, à maintes reprises dans cet ouvrage, n’échappe pas aux sévérités du « politiquement correct ». Page 41 nous apprenons que sa pensée était « un pur naturalisme », ce qui est assez étrange chez un zélateur de Jeanne d’Arc, chez un admirateur de l’Eglise, qui en outre a chanté en prose et en vers la gloire de la Sainte-Vierge : Dites-nous : la Vierge Marie / Ne règne plus dans votre ciel / Et votre terre défleurie / Désert de cendres et de sel/Ne mène plus l’ogive en flamme / S’ouvrir aux pieds de Notre Dame / Jurer l’amour entre ses mains / Et lui chanter : — O belle, ô claire / Dans la maison d’un même Père / Abritez nos cœurs pèlerins ! Il y a semble-t-il sur Guillaume de Thieulloy l’ombre fantasmagorique d’un défaut majeur d’information exacte sur ce second tiers du XXe siècle dont nous sommes héritiers. Je le suppose victime, entre autres, des bibliographies universitaires : les ouvrages contre-révolutionnaires en ont été généralement exclus à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il est fantastique de présenter comme « un fait inouï dans l’histoire de l’Eglise » le soutien pontifical de « ce qui était tout de même un coup d’Etat » (sic) de la part du général Franco. Il est tristement décisif de tenir pour « la meilleure synthèse historique » le « remarquable ouvrage de Jacques Prévotat Les catholiques et l’Action française ». Ce Prévotat, avec ses 742 grandes pages de typographie serrée, peut bien être un champion au nombre de signes et au poids du papier mais, pour le dire avec une expression claudélienne, il appartient à la catégorie de « ces hommes que qualifie leur seule érudition », et son parti-pris hostile est plusieurs fois aux limites de l’honnêteté intellectuelle (cf. Présent du 21 avril 2001 ; et Yves Chiron dans le numéro 12 de son Bulletin Charles Maurras et dans Présent du 25 décembre 2004). Abstraction faite de cet handicap, le livre de Guillaume de Thieulloy, avec une belle indépendance d’esprit, montre des lacunes dans l’argumentation de Journet et surtout de Maritain au sujet des notions de « démocratie » et d’« ordre public juste » ; il cerne les incertitudes concernant le degré d’autorité et l’exacte portée de la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse ; avec une réelle acribie, il pointe surtout chez Maritain des changements de position non expliqués et même pas signalés : cette remarque est d’époque et vaudrait pareillement pour le langage pastoral de l’Eglise concernant par exemple la socialisation, les droits de l’homme, la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Il y a aussi cette fameuse maxime, approuvée par Guillaume de Thieulloy, selon laquelle, indépendamment de toute coercition et de toute autorité « la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même » (p. 126 et 160). Cela est peut-être vrai, en certains cas, pour les adultes. Mais que devient alors le baptême des enfants, qui est pourtant la voie décisive par laquelle la vérité de la foi est imposée dans la grande majorité des cas ? JEAN MADIRAN Article extrait du n° 6979 de Présent, du Mardi 1er décembre 2009 Guillaume de Thieulloy sera l'invité du Forum Catholique, dans le cadre des Rendez-vous du FC, le lundi 11 janvier 2010, de 18h30 à 22h. 36 ans, quatre enfants, il est écrivain (Le Chevalier de l'absolu, Gallimard 2005 et Antihumanisme intégral ? Téqui 2006) Prix Raymond Aron 2002, Docteur en sciences politiques, ingénieur en agro-alimentaires, DESS d'administration des entreprises et maître de conférences à Sciences Po, chargé de cours à l'Institut catholique de Paris. Il est l'animateur du blog www.osservatore-vaticano.org.