A la découverte du Beau (Jean Ousset)
XA -  2008-02-24 09:22:40

A la découverte du Beau (Jean Ousset)

A la découverte du Beau par Jean Ousset (partie précédente) La beauté humaine Et donc, comment serait-il possible de se mettre en peine de découvrir le beau ici-bas, en passant sous silence cet ordre de la beauté la plus belle, l'ordre de la beauté humaine' Beauté spirituelle et morale, certes !! Hélas ! nous n'avons guère le temps ce soir d'en étudier les aspects innombrables. On peut aborder par contre plus brièvement le problème de la beauté physique. Laquelle n'est pas que la beauté d'un visage, la beauté des formes du corps, mais la beauté des attitudes, la beauté de la démarche, la beauté des gestes, la beauté du savoir-vivre, la beauté de l'humeur et du chant de la voix... La beauté du vêtement et de la parure. La beauté du soin, du goût, de l'amour de l'ordre. "Dans les choses extérieures dont l'homme use, il n'y a aucun vice, écrit Saint Thomas d'Aquin, mais le vice de l'homme qui en use de façon désordonnée. Il y a par contre acte de vertu de modération qui imprime une mesure dans la démarche, l'attitude, le vêtement et tous les mouvements extérieurs...". Répétons !... La démarche, l'attitude, le vêtement et tous nos mouvements extérieurs. Mais le costume aussi !! Costume qui doit être... harmonieux. Vêtir... donc, voiler . Voiler ce qui risque d'affoler une concupiscence toujours prompte à s'enflammer... Vêtir, mais sans escamoter ! Parce que ce pauvre corps n'a pas à disparaître aussi complètement qu'une simple moukère dissimulée sous ses draps. Vêtir... harmonieusement ! Par amour du beau. D'autant que nous n'avons pas tous des corps d'Adonis ou de Vénus. Charité donc de certaines modes, de certains costumes. Car il peut y avoir des modes qui font qu'on paraît beau (ou moins laid) même quand on n'est pas... "très réussi". Jambes affligées de varices, qui, esthétiquement parlant, devaient moins gêner leur propriétaire au temps des crinolines qu'aujourd'hui. Charité des robes à panier pour des hanches qui ne devaient guère désirer être vues. Merveille des modes de la civilisation chrétienne ! Pourtant le nombre est grand de ceux qui accusent l'Eglise d'avoir été un frein odieux en pareil chapitre, sous prétexte qu'elle a toujours condamné l'impudeur. La réponse est facile. Elle consiste à faire observer que le renouvellement constant des modes vestimentaires a été le trait (mondialement exceptionnel) des peuples chrétiens. Au regard du renouvellement chrétien, les modes du paganisme furent d'une surprenante fixité. Chitons, péplums, toges, n'évoluèrent guère pendant des siècles. Et l'immobilisme fut comparable en Orient, comme en Extrême-Orient. Quant aux djellabas, gandouras, burnous de l'Islam, ne dirait-on pas qu'ils datent de Moïse ? Mais la beauté de l'être humain ne tient pas à la seule harmonie du costume. Noblesse du maintien, dignité des attitudes, légèreté de la démarche, grâce des gestes, délicatesse de la tenue, charme de la politesse... autant de formes de cette beauté de... "tous les mouvements extérieurs" évoquée par Saint Thomas. Or, ici encore, l'objection est connue qui consiste à invoquer les contrastes existant d'un pays à l'autre entre les moeurs, les convenances, pour conclure à la vanité de toute prétention esthétique objective en pareille matière. Ce qui n'est pas si vrai qu'on ne le croit. Car s'il importe de savoir reconnaître les intentions - si délicates parfois - des moeurs étrangères, c'est faire preuve d'une ignorance impie, à l'égard de la sagesse des générations qui nous ont précédés, que de ne point distinguer l'harmonie, la beauté, au sens strict, de mille gestes, signes, façons d'agir, rendus inconscients par l'habitude. Soit un exemple brutal - mais qui a l'avantage de tout faire saisir promptement. Nul n'ignore qu'en pays d'Islam le fait... d'éructer après le repas est considéré comme un compliment à l'adresse de qui reçoit. Mais parce qu'une telle coutume n'est pas admise chez nous, il est courant d'entendre mettre en doute ce qu'on peut appeler une justification esthétique universelle des attitudes et mouvements humains. Cependant... pour peu qu'on admette la très élémentaire définition de l'homme : "animal raisonnable", un grain de bon sens suffit à suggérer qu'il est plus conforme à la plénitude (et donc à la plus belle façon d'agir) d'un être raisonnable, d'exprimer sa satisfaction d'un bon repas par autre chose qu'un borborygme de bête repue. Que l'on se reporte à cette anecdote attribuée au général de Gallifet (ministre de la guerre à la fin du siècle dernier) recevant à dîner un diplomate russe. Après le repas, on servit un très vieille et excellente "fine" que le diplomate engloutit d'un trait. "Mais, Monsieur, s'écria Gallifet outré, une "fine" pareille, cela se regarde, cela s'admire, cela se déguste... Et après ?, reprit le diplomate. Après, Monsieur !... On en parle !". On en parle ! En parler ? Est-il difficile, en effet, de reconnaître comme signe d'une hiérarchie, d'une harmonie, et donc, d'une beauté humaine universelle, cette forme de politesse qui, plutôt que de lui roter au visage, préconise de remercier et féliciter la maîtresse de maison, non en simple animal, mais en être raisonnable, intelligent, capable de juger ce qui l'entoure, ce qu'il voit, ce qu'il entend, ce qu'il mange ? Autrement dit : un être capable de complimenter par autre chose que le sursaut d'une panse remplie. Un être capable de féliciter intelligemment pour la judicieuse organisation du repas, la composition du menu, le choix des vins, la qualité des viandes, la saveur des sauces, le gigot cuit à point, le charme du lieu, l'esprit des convives, l'agrément des conversations, la décoration de la table... et combien d'autres choses possibles. Politesse humaine au sens strict ! Politesse humaine qui est pudeur ! Politesse humaine qui est beauté ! Car, la pudeur, dans la mesure où elle exige de voiler, d'écarter, d'atténuer ce qui doit l'être au profit de ce qui, dans l'homme, est plus pleinement humain, conscient, raisonnable, volontaire... la pudeur est harmonie et beauté Harmonie et beauté ! Ces règles de plus en plus incomprises, au nom desquelles se trouvent condamnées ces poses, attitudes, démarches qui font que tout l'être semble commandé par la pesanteur, régi par l'animalité du corps. "Gueules toutes de viande", disait notre professeur de dessin. Expressions plus bestiales qu'humaines, dont on sait quel profit tire un certain cinéma ! Harmonie et beauté, par contre, de ces êtres dont la vivacité de l'âme frappe plus que la grâce, souvent contestable, des formes et des traits. Etres dont les gestes, la démarche, l'expression, la mobilité du visage, le maintien, l'éclat spirituel des yeux et du sourire n'ont certes pas à éclipser la joliesse (quand joliesse il y a), mais en font oublier l'absence quand elle fait défaut. Harmonie et beauté, donc... cette discrétion, cette pudeur de sentiments qui, en public, recommandent de se complaire moins à ce qui nous est intime qu'à ce qui est universellement profitable. La catégorie étant odieuse de ceux dont Marie Noël a si bien dit "qu'ils ne peuvent se déplacer sans faire leur coeur sous eux". Harmonie et beauté... cette discrétion, cette pudeur qui recommandent aux amoureux de réserver pour le secret du tête-à-tête ce qu'il peut y avoir de plus passionnel dans les manifestations de leur affection. Harmonie et beauté... cette discrétion, cette pudeur qui recommandent de cacher ce qui est bassement organique. Preuve qu'il n'est pas si conventionnel de mettre la main devant la bouche quand on baille, le bâillement n'ayant jamais été une manifestation particulièrement relevée de notre activité intelligente et volontaire. Même réflexion sur l'éternuement; le fait de se moucher, de se gratter, de cracher, etc... Politesse qui, pour être de plus en plus incomprise, n'en reste pas moins la règle de beauté de... "tous nos mouvements extérieurs". Oeuvre d'art. Une des plus belles oeuvres d'art. Oeuvre de plénitude de l'humain. La Beauté même de l'humain.
Jean OUSSET
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