A la découverte du Beau (Jean Ousset)
XA -  2008-02-15 08:12:16

A la découverte du Beau (Jean Ousset)

A la découverte du Beau par Jean Ousset (partie précédente) Beauté des choses et des êtres Autrement dit il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de beau séparé d'une chose dite belle. Il n'y a de beauté qu'en des choses belles, des êtres beaux. Et ces choses belles, ces êtres beaux ne méritent leur épithète que s'ils sont, pleinement, surabondamment, ce qu'ils sont, ce qu'ils doivent être. Autrement dit : c'est toujours quelque chose qui est beau. Beauté qui tient à la surabondante plénitude de la chose ou de l'être envisagés. "Chose" qui peut être l'expression d'une idée, d'un sentiment, d'une peine, d'une joie. "Chose" qui peut être la reproduction d'un paysage, d'une scène historique, d'un visage aimé. "Chose" qui peut être le récit d'une aventure, la défense d'une cause, la mise-en-scène théâtrale, ou cinématographique d'une intrigue. "Chose" qui peut être une découverte scientifique, une maison de campagne ou un palais, un meuble ou un bijou etc... La variété possible de ces "choses" est infinie. L'histoire montre leur constant renouvellement. Chaque génération en invente de nouvelles. Comme l'a dit un spécialiste, François Chamoux, "l'art grec n'est nullement un art gratuit, divertissement de raffinés, visant à la simple délectation de l'esprit et des sens. L'oeuvre d'art a une signification, elle répond à des besoins et à des intentions précises. La qualité esthétique lui est donnée par surcroît et nous commettons une grave erreur d'optique en croyant que l'artiste a visé d'abord à créer de la beauté. En fait, il a voulu fabriquer un objet qui soit propre à la fin à laquelle il est destiné: un temple est la maison du dieu avant d'être un monument d'architecture; une statue est une offrande avant d'être une oeuvre plastique; une coupe est d'abord un vase à boire, auquel la matière et le décor ajoutent seulement du prix". Stendhal l'a fort bien dit : "Chez les Anciens le beau n'est que la saillie de l'utile". L'art pour l'art est une théorie absolument étrangère à la conscience hellénique. Sens de l'objet... Sens de l'objet donc. Autrement dit : sens de la plénitude de l'être envisagé. Qu'il s'agisse de la disposition d'un bouquet, de la culture d'un champ de blé, de la rédaction d'un poème, de la construction d'une maison, de la composition d'une fresque ou d'une symphonie, le beau y est toujours effet d'une ordonnance judicieuse. Or, toute ordonnance judicieuse est inconcevable sans rapport à une fin. Les erreurs commises en cet endroit sont fréquentes, il est vrai. Elles tiennent, presque toujours, à une conception trop sommaire de la finalité. Soit un soufflet à feu. Pense-t-on que la plénitude surabondante de sa finalité soit atteinte par le seul fait que sa forme, le matériau dont il se compose, en font un instrument commode, solide pour activer l'embrasement d'une chaudière ou d'une poêle ' Il n'atteindrait là que le degré le plus rudimentaire de sa finalité. Degré au-dessous duquel il ne serait plus soufflet à feu. Mais qu'on s'interroge sur sa place éventuelle, on devinera la possibilité d'énormes différences. Tel soufflet (convenable tant qu'il reste à la cave), deviendra repoussant si on le met au salon près de la cheminée. Pour qu'un soufflet ne paraisse pas affreux en ce lieu, il importe en effet que, tout en restant propre à son usage, il soit objet de ce salon. Autant dire qu'il ne dépare point la pièce, que le matériau dont il est fait, que sa forme, que ses proportions, que son éventuelle décoration, que sa couleur, etc... loin de choquer en pareil endroit, s'harmonisent avec lui, correspondent au style... bref, soient un ornement. C'est alors, et alors seulement, qu'on peut parler d'une surabondance de l'être, et donc, de la beauté de ce soufflet. Soit encore l'exemple d'une cathédrale. Se peut-il que sa surabondante plénitude, donc sa beauté, la réduise à n'être qu'un lieu commode de rassemblement ' Ne tient-il pas au contraire à la judicieuse ordonnance des éléments suivants. Elle est, sans doute, un lieu de rassemblement. Elle est aussi l'endroit où sont consacrées et gardées les saintes espèces eucharistiques. Elle est donc lieu de sacrifice, de prière, de culte, de mystère. Elle est encore lieu de prédication, d'enseignement... (problème d'acoustique). Elle est un monument à la gloire de Dieu. Elle peut être la manifestation de la piété d'un peuple. L'harmonie, le symbolisme de ses lignes, de son plan, de ses proportions, peuvent être hautement évocateurs; sa décoration éminemment instructive. La lumière qui y pénètre peut (ou non) aider à la prière, au recueillement. Vue de l'extérieur et de loin, elle peut apparaître comme le haut lieu de la ville, mère poule autour de laquelle s'abritent les maisons comme autant de poussins. Comme l'a dit Emile Male : "tout ce qu'il était utile à l'homme de connaître, l'histoire du monde depuis sa création, les dogmes de la religion, les exemples des saints, la hiérarchie des vertus, la variété des sciences, des arts et des métiers, lui était enseigné par les vitraux de l'église ou par les statues du porche. La Cathédrale eut mérité d'être appelée de ce nom touchant (qui fut donné par les imprimeurs du XVè siècle à un de leurs premiers livres) : "la Bible des pauvres". Les simples, les ignorants, tous ceux qu'on appelait "la sainte Plèbe de Dieu", apprenaient par les yeux presque tout ce qu'ils savaient de leur foi. Les grandes figures religieuses semblaient porter témoignage de la vérité de ce qu'enseignait l'Eglise. Ces innombrables statues (disposées selon un plan savant) étaient comme une image de l'ordre merveilleux que saint Thomas faisait régner dans le monde des idées; grâce à l'art, les plus hautes conceptions de la théologie et de la science arrivaient confusément jusqu'aux intelligences les plus obscures". Oui ! Telle était (et, finalement telle demeure) la surabondante plénitude de tant de cathédrales. Surabondante plénitude qui fait leur beauté. Beauté que l'esprit, que l'intelligence, que l'âme peuvent seulement percevoir, comprendre et contempler. ... ou beauté subjective ? Il est vrai qu'une difficulté mérite d'être évoquée en cet endroit. Objection classique à l'égard d'exemples comparables à celui que nous venons de prendre : celui de la surabondante plénitude d'une cathédrale : "comment pensez-vous, nous dira-t-on, qu'un non-catholique puisse la saisir ' Attendu que, par son incrédulité, il n'en peut comprendre ou admettre les arguments ' Plénitude pour l'un donc, et non plénitude pour l'autre ! Nous sommes au regret : il est impossible d'échapper à ce caractère subjectif de la beauté que vous avez pourtant récusé en commençant". Raisonnement connu ! Et qui pourtant n'est pas sérieux. Le fait qu'un aveugle ne puisse contempler la frise des Panathénées a-t-il jamais été un argument solide pour déclarer "subjective" la beauté de celle-ci ? Le fait d'être incapable (par cécité, surdité, ignorance, pesanteur d'esprit, manque d'habitude, de culture ou de foi) ...le fait d'être incapable de percevoir convenablement la plénitude d'un objet ne peut, sans abus, servir d'argument contre l'objectivité d'une quelconque réalité. Sans quoi, autant dire qu'une démonstration mathématique cesse d'être vraie si l'ignorant qui l'écoute est incapable d'en suivre l'enchaînement. Comme si la rotation de la terre n'avait commencé qu'à partir de sa découverte par Galilée ! Et fallait-il accuser ce dernier de "subjectivisme" sous prétexte qu'il fut seul à distinguer ce que d'autres avaient été, ou étaient encore, incapables de percevoir ? Dès lors il est facile de dénoncer l'erreur selon laquelle il ne saurait y avoir "objectivité" quand ce qui est perçu ne l'est point par tous, mais seulement par quelques-uns. Puérilité manifeste... attendu qu'à ce jeu, il faudrait déclarer "subjectif" tout ce qui dépasse l'entendement (la perception) du plus grand nombre. Subjectives donc les plus savantes découvertes. Subjectives les sciences plus difficiles. Subjectives les nuances d'un texte finement écrit. Subjectives les prouesses techniques dont le secret échappe au vulgaire. Subjectif le trait d'esprit des chansonniers sous prétexte que bien peu en saisissent l'humour et ne rient qu'à voir rire les autres. (à suivre)