Exit: "patriarche d'Occident"
Philarète -  2006-06-19 17:44:14

Exit: "patriarche d'Occident"

Une réfexion sérieuse qui mérite l'attention de ceux qui ne s'enferment pas dans des positions de principe! Bien à vous tous. Philarète L'ABANDON PAR ROME DU CONCEPT DE " PATRIARCAT D'OCCIDENT " AUGURE-T-IL UN MEILLEUR EXERCICE DE LA PRIMAUTÉ UNIVERSELLE ? par Michel STAVROU Selon le quotidien italien Corriere della Sera (édition du 1er mars dernier), qui cite l'édition à paraître de l'Annuaire pontifical 2006, le pape BENOÎT XVI renoncerait au titre qui lui était donné de " patriarche d'Occident ". D'après Luigi ACCATOLI, spécialiste des questions vaticanes au Corriere della Sera, cela s'expliquerait par le fait que, pour BENOÎT XVI, ce titre, apparu pour la première fois dans une lettre écrite au pape saint Léon le Grand, en 450, par l'empereur d'Orient Théodose, correspondait bien à l'organisation de l'Église à cette époque : une " pentarchie " de patriarcats égaux entre eux – Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem, mais était inadapté à la situation du troisième millénaire. Le Corriere della Sera s'est interrogé cependant sur une éventuelle réaction de l'Église orthodoxe qui pourrait y voir, souligne-t-il, une réaffirmation par Rome d'une " primauté universelle ". Professeur de théologie dogmatique à l'Institut de théologie orthodoxe de Paris (Institut Saint-Serge), Michel STAVROU a confié au Service orthodoxe de presse ses premières réactions à ce sujet. Diplômé de l'École centrale de Lyon et de l'Institut de théologie orthodoxe de Paris (Institut Saint-Serge), où il enseigne aujourd'hui, tout en travaillant comme ingénieur en gestion informatique, Michel STAVROU exerce également les fonctions de cosecrétaire du comité mixte de dialogue théologique catholique-orthodoxe en France et de directeur adjoint de l'Institut supérieur d'études oecuméniques, à Paris. Il est marié et père d'un enfant. En décembre 2004, il a soutenu une thèse de doctorat en Sorbonne sur " La doctrine trinitaire de Nicéphore Blemmydès " (SOP 294.11). Le 1er mars dernier, la presse italienne, informée par des " sources vaticanes " autorisées, a fait savoir que l'Annuaire pontifical 2006, qui devait paraître à la mi-mars, ne ferait plus mention du cinquième des neuf titres jusque-là attribués au pape : celui de " patriarche d'Occident ". Le pape sera désormais simplement présenté comme " évêque de Rome, vicaire de Jésus-Christ, successeur du prince des apôtres, souverain pontife de l'Église universelle, primat d'Italie, archevêque-métropolite de la province romaine, souverain de l'État de la Cité du Vatican et serviteur des serviteurs de Dieu ". Un acte d'une portée oecuménique considérable Au-delà de l'allègement, certes symbolique, de la titulature encore baroque du chef de l'Église romaine, bien des observateurs orthodoxes ne manqueront pas de remarquer que sur les neuf désignations de la titulature officielle du pontife romain, deux au moins demeurent problématiques par leur caractère exclusif, pour la conscience chrétienne orthodoxe : " vicaire du Christ ", titre tardif introduit au 13e siècle alors que le concile de Vatican II lui-même déclare que tous les évêques sont vicaires du Christ ; et " souverain pontife de l'Église universelle ", appellation regrettable empruntée au pouvoir impérial de la Rome païenne, qui fait de l'évêque de Rome un monarque de l'Église, tandis que la désignation de " patriarche d'Occident " – la plus anciennement attestée après " évêque de Rome " – était parfaitement acceptable pour l'Orient chrétien. Pour l'Église orthodoxe, engagée depuis vingt-cinq ans avec Rome dans un " dialogue de vérité " en vue de l'unité des Églises, loin de constituer un détail anodin, la portée oecuménique de la disparition de ce titre de " patriarche d'Occident " apparaît, au premier abord, considérable. Car si le nouveau pape Benoît XVI abandonne ce titre, c'est que le patriarcat dont il avait la charge n'a plus d'existence à ses yeux. Ce geste ne signifie-t-il pas dès lors que la juridiction romaine ne saurait se limiter au cadre de la circonscription traditionnelle de l'Église d'Occident, mais s'étend, de droit sinon de fait, au monde entier en toutes directions, empiétant donc sur le territoire canonique des patriarcats orthodoxes ? Les pasteurs et théologiens orthodoxes soucieux de l'unité des chrétiens auraient de quoi s'alarmer en souscrivant à une telle interprétation. On peut s'étonner, d'ailleurs, du manque d'explication d'une telle décision de la part de Rome, comme si la réaction orthodoxe n'était pas prévisible. En fait le concept de " patriarcat " fait l'objet d'une sorte d'amnésie en Occident et d'une hypermnésie en Orient. En ne tenant pas compte de l'évolution de l'Église occidentale, la lecture orthodoxe courante de cet événement risque fort de projeter, sur Rome, des catégories de l'ecclésiologie orthodoxe devenues depuis longtemps étrangères à l'Occident. Il est vrai que le patriarcat de Rome et d'Occident a longtemps fait partie de la représentation ecclésiologique de l'Église entière au temps des conciles oecuméniques et des Pères, mais beaucoup plus en Orient qu'en Occident. La " pentarchie " Dans l'Antiquité tardive, le pape cumulait plusieurs fonctions : évêque de Rome, métropolite d'une partie de l'Italie (les provinces " suburbicaires "), primat (" patriarche ") des terres d'Occident, enfin la plus caractéristique : une responsabilité particulière – " pétrinienne " selon Rome – envers l'Église entière s'exerçant dans la communion des évêques par le premier d'entre eux. La difficulté a toujours été de distinguer la 3e et la 4e fonction de l'évêque de Rome, cette confusion pratique venant des bornes imprécises du territoire où s'exerçait la juridiction patriarcale du pape. Au fond, cette limite mouvante était celle des territoires des autres Églises autocéphales ; pour des raisons historiques, toutes les Églises autonomes d'Occident (Lyon, Arles, Tolède, Milan, etc.) se sont peu à peu insérées dans le territoire canonique de la seule Église de Rome tandis que dès les 4e-5e siècles s'affirmaient en Orient quatre cités de l'empire romain reconnues pour leur poids politique et leur témoignage apostolique. Ainsi dès le 4e concile oecuménique (Chalcédoine, 451), la communion des Églises se polarisait au plan universel autour de cinq centres principaux qui, dans l'ordre de préséance, étaient Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. Le Concile quinisexte (692) précise que " le siège de Constantinople doit jouir des mêmes prérogatives que celui de l'ancienne Rome et être élevé à la même dignité que celui-ci dans les affaires ecclésiastiques, puisqu'il occupe la deuxième place après lui. Le siège d'Alexandrie doit se ranger après lui, ensuite celui d'Antioche et, après ce dernier, celui de Jérusalem " (canon 36). L'organisation pentarchique (" cinq autorités ") découle de l'ecclésiologie eucharistique, donc territoriale, qui établit la catholicité de chaque Église locale, et doit sa réalisation à l'empereur Justinien (5e s.) qui avait restauré l'intégrité de l'empire romain, en reconquérant l'Occident tombé aux mains des Barbares. Dans cette perspective, l'Église entière n'est pas vue comme un ensemble monolithique et uniforme mais comme une communion d'Églises, en tant que l'Église est catholique : la catholicité étant comprise non comme une simple universalité géographique mais comme l'unité dans la diversité, " le lien rattachant l'Église à Dieu qui se révèle à elle comme Trinité " (V. Lossky). Le siège de Rome apparaissait ainsi comme le premier des patriarcats, tous égaux en dignité, sans que sa sollicitude universelle soit directement abordée par les conciles. " Rome n'a jamais eu vraiment conscience de constituer un patriarcat " À la vérité, qu'on le veuille ou non, Rome n'a jamais eu vraiment conscience de constituer un patriarcat, au sens que ce terme avait dans le système pentarchique. Les canons du concile de Sardique (343) établissant Rome comme instance de cassation étaient invoqués aussi bien par l'Orient que par l'Occident (comme en témoigne le conflit entre Hincmar de Reims et le pape Nicolas Ier au 9e siècle). Un droit patriarcal comme tel ne s'est jamais développé à Rome tandis que croissaient les aspirations de l'évêque de Rome à une juridiction universelle. L'effort du pape Nicolas Ier – face aux carences du monde carolingien en déclin – pour subordonner au siège romain tous les évêques en s'appuyant sur les Fausses Décrétales, puis celui du pape Grégoire VII (11e s.) pour affirmer, par ses dictatus papae, la suprématie du pontife romain sur le pouvoir temporel constituèrent deux moments historiques décisifs qui vidaient de toute réalité le concept de patriarcat d'Occident. La primauté universelle suffisait au siège romain, mais il tenait à affirmer son caractère unique, excluant toute analogie. Rome n'avait jamais reconnu ni le 28e canon du concile de Chalcédoine (451) ni le Concile quinisexte qui consacraient Constantinople second patriarcat après Rome et développaient le modèle de la pentarchie. Elle finit par reconnaître les patriarcats orientaux aux conciles de Latran IV (1215) et de Florence (1438) mais selon une compréhension différente. Suivant, en effet, une doctrine ancienne attestée à Rome au 4e siècle, le siège romain, fondé par les Apôtres Pierre et Paul, jouissait du privilège " pétrinien " d'être à la tête de toutes les Églises par décret divin ; le statut des patriarcats orientaux n'était dès lors vu que comme une participation, au plan des institutions de droit ecclésiastique, à la primauté de Rome. Au 13e siècle, le pape Innocent III présentera Rome comme l'Église mère de toutes les Églises, à quoi le patriarche Jean X Kamatéros répondit : " Il n'est pas vrai que Rome soit la mère des autres Églises mais, comme il existe cinq grandes Églises ornées de la dignité patriarcale, celle de Rome est la première parmi des soeurs égales. " Il est vrai que la constitution Lumen Gentium, à Vatican II, attribue la genèse des patriarcats à la divine Providence, et non au droit ecclésiastique. " Le "patriarcat d'Occident" n'avait plus aucune signification " Mais le débat est réapparu indirectement, lorsque la lettre Communionis notio (1992), envoyée aux évêques par la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi, a soutenu la thèse que l'Église universelle (dont le pape a la charge) a une priorité ontologique sur toutes les Églises particulières, provoquant de nombreuses réactions au sein de l'Église catholique.Si le titre de " patriarche d'Occident " est jugé obsolète par les curialistes, ne serait-il pas précieux de préserver celui de " patriarche de Rome ", pour souligner auprès des orthodoxes que, même si elle confesse que subsiste en elle l'Una sancta (Vatican II), l'Église romaine reconnaît les patriarcats orthodoxes comme des Églises soeurs et non comme des Églises filles ? Les appellations mutuelles d'Églises soeurs entre Rome et Constantinople il y a quarante ans lors des retrouvailles entre Paul VI et Athénagoras relèvent d'une ecclésiologie et non d'une phraséologie sentimentale ou diplomatique. Indirectement, c'est la signification même de la primauté sur l'Église universelle qui se trouve ici engagée. Avec les siècles de séparation entre l'Église romaine et l'Orient chrétien, la Contre-Réforme, la mission sur tous les continents, les défaites répétées du conciliarisme occidental et la centralisation croissante de la papauté aux 19e et 20e siècles, l'ecclésiologie catholique romaine est arrivée à un point de développement où le " patriarcat d'Occident " n'avait plus aucune signification pour les fidèles catholiques. 2/3 d'entre eux, aujourd'hui, ne sont plus européens. On peut comprendre la décision d'abolir cette réalité virtuelle comme une reconnaissance du caractère désormais mondial de la géographie catholique. " La communion et non pas la juridiction " Plus profondément, le pape Benoît XVI pourrait, par ce geste, vouloir dégager sa primauté morale universelle de toute juridiction patriarcale, aussi bien dans l'administration quotidienne de l'Église catholique que dans le dialogue avec l'orthodoxie. Il y a trente-cinq ans, le professeur Joseph Ratzinger constatait avec lucidité : " C'est une tragédie que Rome ne soit pas parvenue à détacher la charge apostolique de l'idée patriarcale, de telle sorte qu'elle a présenté à l'Orient une revendication qui, sous cette forme, ne pouvait être admise et n'avait pas à l'être par lui […]. La tâche à envisager serait de distinguer à nouveau, plus nettement, entre la fonction proprement dite du successeur de Pierre et la fonction patriarcale ; en cas de besoin de créer de nouveaux patriarcats détachés de l'Église latine " (Le Nouveau peuple de Dieu, Paris, 1971, p. 56-68). Si la suppression du titre de patriarche d'Occident avait en vue, conformément à ce voeu, de faciliter aussi bien l'exercice d'une primauté pontificale non omnipotente que la création de nouveaux patriarcats au sein même de l'Église romaine, l'Église orthodoxe n'aurait qu'à se féliciter de cette démarche. Le pape pourrait-il à nouveau, comme dans l'Église ancienne, exercer sa primauté universelle sans nommer systématiquement les évêques orientaux ni même les évêques occidentaux, puisqu'il semble vouloir s'affranchir de sa juridiction patriarcale sur l'Occident ? L'avenir nous dira si cette orientation est la bonne. Face à la perspective d'un retour à l'unité avec l'Église orthodoxe, le pape Jean-Paul II avait récemment laissé entendre qu'il désirait " la communion et non pas la juridiction ". De même le professeur Joseph Ratzinger a écrit : " Rome ne peut exiger de l'Orient en ce qui concerne la doctrine de la primauté, plus qu'il n'a été formulé et vécu durant le premier millénaire " (Les Principes de la théologie catholique, 1982). Ces déclarations engageantes devront non seulement s'officialiser mais s'accompagner d'une herméneutique nouvelle du concile de Vatican I, qui présente une vision du ministère pontifical acceptable pour la conscience orthodoxe, donc en harmonie avec la conciliarité ecclésiale. Or, la catholicité de l'Église se traduit à travers des primautés et une conciliarité globale à tous les niveaux. Au plan universel, comme le rappelait Jean Meyendorff il y a trente ans, " sans un ministère de coordination, […] la conciliarité est impossible ". Si Rome redevenait pour tous l'Église qui " préside dans l'amour " (saint Ignace d'Antioche) au service de la communion des Églises, son évêque pourrait à nouveau voir reconnu aux yeux de tous son beau titre de " serviteur des serviteurs de Dieu ". (Les intertitres sont de la rédaction du SOP.) © SOP Copyright 1997-2003, SOP/OPS. All Rights Reserved under International Copyright Conventions.