Mon intro en exclusivité
Sombreval -  2006-05-24 12:23:59

Mon intro en exclusivité

J'ai coupé quelques phrases pour faciliter la lecture : Après une longue et malheureuse éclipse, Joseph de Maistre revient enfin au grand jour. Ce n’est pas sans satisfaction que nous observons la ferveur éditoriale dont il jouit depuis quelques temps. La publication chez Gallimard de l’essai d’Antoine Compagnon, Les Antimodernes, de Joseph de Maistre à Roland Barthes, a remis récemment à l’honneur l’école de pensée dont il est un des inspirateurs. Au même moment est paru un volumineux Dossier H qui, selon son maître d’œuvre, peut se lire « comme une encyclopédie philosophique des deux derniers siècles ». Enfin une édition savante, établie par Pierre Glaudes, de ses ouvrages les plus connus est annoncée dans la collection « Bouquins ». La situation faite à Maistre dans le paysage intellectuel s’est beaucoup modifiée au cours de ces dernières années. On l’étudie aujourd’hui partout dans le monde. Comme le note Philippe Barthelet, le « rocher » de Chambéry est devenu un point de mire universel. L’abondance de publications le concernant pose la question de la légitimité d’une étude sur la théorie de la réversibilité qui est la clef de voûte de son système de pensée. Quel que soit l’angle sous lequel on l’analyse, on rencontre fatalement cette théorie autour de laquelle s’articule toute son œuvre. Elle sous-tend ses conceptions sur les sacrifices, sur la guerre, sur le pouvoir de la prière, sur l’involution, sa philosophie de l’histoire, nous aide à comprendre la chute et la rédemption, le sens de la souffrance. Elle recouvre des thèmes que la critique a tendance à négliger, comme l’hérédité ou la transmission transgénérationnelle. Elle n’a pourtant jamais fait l’objet d’une étude approfondie qui aurait pour objectif d’en présenter à la fois la genèse et les prolongements. Le sujet en effet est très vaste car l’influence de Maistre s’est étendue bien au-delà du mouvement réactionnaire. D’Ernest Hello à Bernanos, en passant par Baudelaire et Claudel, nombreux sont les écrivains dont la pensée s’est façonnée au contact de son œuvre inépuisable. La théorie de la réversibilité a marqué profondément Barbey d’Aurevilly et Léon Bloy, dont on a parfois présenté l’œuvre comme la continuation littéraire des perspectives religieuses des Soirées de Saint-Pétersbourg. Cette théorie s’est transmise comme un héritage. Chacun de ces écrivains a tenu tour à tour le rôle de passeur et d’initiateur. Maistre lui-même l’a reçue de la génération des illuministes et des théosophes chrétiens avec lesquels il était en relation. Émile Dermenghem a souligné à juste titre que l’orthodoxie de ses croyances n’empêchait pas Maistre d’être imprégné de théosophie. Lors de ses rencontres avec les théosophes, il lui avait été loisible de méditer sur cette notion métaphysique, la réversibilité, liée dans leur enseignement à une foule de croyances disparates. Elle éclaire les aspects les plus difficilement intelligibles de cette fascinante philosophie de la nature qui jusqu’à l’avènement de la sophiologie russe restait l’apanage des théosophes. Maistre, lui, a fait de cette notion le socle d’une doctrine annexée au dogme de la Rédemption et qui trouve son expression la plus dense dans cet axiome : l’innocent satisfait pour le coupable par voie de réversibilité. Dans le cadre mystique de la communion des saints, les innocents paient pour les coupables, complétant ainsi, selon la parole profonde de saint Paul, ce qui manque à la Passion de Jésus-Christ. Cette doctrine, devenue classique, comporte de nombreuses ramifications que nous allons explorer dans la première partie de notre étude. Nous chercherons à montrer qu’elle tire sa profondeur et sa consistance de la relation étroite qu’elle entretient avec la théologie anselmienne de l’expiation et de la satisfaction vicaire, souvent caricaturée par les commentateurs modernes. La réversibilité, telle que les écrivains catholiques la conçoivent, repose sur l’idée d’une unité principielle et originelle, d’une solidarité indivisible entre tous les hommes. L’appréhension de l’unité de l’être est commune à tous les écrivains catholiques. Le principe de la réversibilité induit, comme nous le verrons dans la seconde partie, celui de la solidarité dans le mal et dans le bien. Ce pressentiment de l'unité essentielle justifie l’attention accordée aux analogies dont une des plus typiques est celle qui existe entre l’homme, le microcosme, et l’Univers, le macrocosme, entre le résumé et l’œuvre entière. La Création doit à cette relation de symbiose de partager le destin de l’homme. La doctrine de l’homme-microcosme est connexe, ainsi que nous le vérifierons dans notre étude, à celle de la réversibilité. L’homme interagit sans cesse avec le monde. Sa régénération entraîne celle de la nature tout entière, dépossédée par sa faute du Logos dont la teneur est Sagesse. Ce Logos ou Verbe est le Fils éternel de Dieu, le Christ, pour lequel tout a été créé, et en lequel nous avons « la vie, le mouvement et l’être » (Ac, 17 : 28). La conséquence inverse de cette interaction c’est que la dégradation spirituelle et morale de l’homme maintient la nature physique dans l’asservissement et l’angoisse. Nous étudierons longuement dans notre dernière partie cette conception de la réversibilité, fondée sur une interprétation large du huitième chapitre de l’épître aux Romains de saint Paul, que l’écrivain catholique, Albert Frank-Duquesne, a soumis à une exégèse admirable. Nous entendons proposer dans cette étude une synthèse de toutes les interprétations relatives à la réversibilité, qui n’est pas réductible à la conception maistrienne. Cette théorie a progressé et s’est enrichie d’apports multiples. Elle ouvre aux mystères fondamentaux du christianisme, invite à la contemplation du Christ souffrant et du Christ glorieux. En elle se reflète la plénitude de la religion catholique