LA NUIT DE L'EUCHARISTIE (samedi 28 mai 2005) 2
Le pèlerin du Sacré-Coeur -  2005-06-03 10:33:41

LA NUIT DE L'EUCHARISTIE (samedi 28 mai 2005) 2

LA ROUTE CHARLES DE FOUCAULD Elle était pleine d'embûches. Il s'agissait donc d'une marche pour rejoindre la procession qui devait partir du bas du Mont des Martyrs pour monter au Sacré-Coeur. Et avant de partir du bas il fallait passer par plus bas encore, descendre dans les ravines du vice, les ravins de l'enfer de la prostitution, de la drogue et du jeu, les bas-fonds du cloaque de la ville, les égouts de la débauche, le dépotoir de la misère humaine. Nous n'en étions pas là, nous ne savions pas encore, les familles avec les poussettes, les soeurs avec leur chapelet, les mères de familles avec leurs enfants, les vierges avec leur enthousiasme, les séminaristes avec leur inconscience, les groupes de paroisses avec leurs bannières, non, personne ne se doutait, ne pouvait se douter, que la route de la rédemption passerait par la traversée de l'abomination : c'était bien la route Charles de Foucauld. L'explication est venue assez vite : les séminaristes chargés d'organiser la marche étaient partis en tête à un train d'enfer avec les premiers sortis de la cathédrale, résultat tout était désorganisé, nous étions commes des brebis perdues sans pasteurs, il fallait presque courir pour rattraper les autres mais nous ne rattrapions que d'autres aussi perdus que nous, nous avions perdu du temps en attendant en vain devant Notre-Dame la constitution d'un groupe en fait déjà disloqué. Il fallait donc fendre la foule se promenant le long des quais, enfin le Louvre et dans son ombre Saint Germain l'Auxerrois, là un groupe s'était reconstitué, il semblait que nous étions deux ou trois cents, des petits groupes arrivaient encore en chantant "je vous salue Marie", certains disaient leur chapelet, les séminaristes avaient l'air inquiet, leur préoccupation semblait d'arriver "à l'heure", il est vrai que nous entâmions la onzième heure ! Il faisait beau et même chaud, nulle inquiétude ne venait obscurcir cette nuit lumineuse, ces lumières qui bientôt deviendraient douteuses, ces rues populeuses qui progressivement se désertifieraient et s'obscurciraient avant de redevenir sombrement éclairées par des néons infernaux, animées d'un grouillement inquiétant et silencieux, habitées d'une inquiétude malsaine, hantées par tous les vices : nous arrivions à Pigalle par les pires ruelles, un vrai cauchemar hallucinant. Derrière les vitres des "bars" les visages hagards et maladifs des pauvres esclaves de la prostitution nous suivaient d'un regard vide et terne où perçait une surprise lasse au passage de ce cortège en débandade qui chantait de saints cantiques, seuls les videurs et les maquereaux sortant sur le pas de leur bouge nous contemplaient d'un air goguenard, les clandés succédaient aux sex-shops, les bars à putes aux hôtels borgnes, une véritable revue de toutes les infâmies de Paris. Enfin on arrivait au boulevard de Clichy, j'ai vu ce qu'était la sainteté : il n'y avait que des visages qui rayonnaient autour de moi comme si on venait de traverser la Mer Rouge, je me suis demandé si nous n'avions pas été envoyés pour sanctifier ces lieux infâmes. Mais déjà nous étions de l'autre côté, la ruelle était obscure et sans néons tapageurs, les revendeurs de drogue s'activaient dans l'obscurité propice de ce misérable passage qui sentait l'urine et les excréments, des visages encagoulés se tournaient vers nous l'air menaçant laissant entrevoir de hâves visages de squelettes au regard vide, la mort était à l'oeuvre surprise d'être dérangée, des injures commençaient à fuser, des gestes obscènes, des exclamations grossières, l'atmosphère était tendue, un saint cantique nous soutenait chanté par quelques voix aigrelettes et pleines de confiances, personne n'avait peur, chacun priait, on fendait toute cette boue nauséeuse d'un pas assuré, aucun de ces démons n'a rien osé ni tenté, ni nous non plus, ce n'était pas l'heure des conversions mais celle de notre salut. Quand on est arrivé aux Abbesses en débouchant du tournant de l'un de ces corridors de l'enfer que nous avions emprunté j'ai compris que nous étions sauvés, j'avais l'impression de sortir de l'un des plus sombres psaumes. Enfin nous étions à pied d'oeuvre, au pied du Sacré-Coeur illuminé d'électricité et de sainteté, à l'entrée des jardins un autel était posé, décoré de saintes étoffes qui descendaient en cascade là où nous devions commencer à monter. Sur l'autel on distinguait une forme dans la semi-obscurité, l'oeil s'habituait et tout d'un coup distinguait un oeil plus grand encore qui nous contemplait : le Saint Sacrement était exposé !