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Livre - Jean Sevilla : On se battait dans les églises Imprimer
Auteur : Carlos
Sujet : Livre - Jean Sevilla : On se battait dans les églises
Date : 2005-02-21 18:10:16

Bientôt en vente, le dernier livre de Jean Sévilla :

On se battait dans les églises




La laïcité a une histoire : dans un livre à paraître le 24 février, «Quand les catholiques étaient hors la loi» (Perrin), Jean Sévillia raconte comment l'Etat et l'Eglise, après un dur conflit dans les années 1900, sont parvenus à des relations apaisées après la Première Guerre mondiale. Nous en extrayons ce passage sur la crise des inventaires qui secoua la France en 1906.



«L'article 3 de la loi de Séparation prévoit de dresser un «inventaire descriptif et estimatif» des biens ecclésiastiques. Le décret administratif concernant l'inventaire est publié le 29 décembre 1905. Sur le terrain, le texte recommande de chercher la conciliation. Mais le 2 janvier 1906, une autre circulaire, émanant celle-ci de la direction de l'Enregistrement du ministère des Finances, ordonne aux fonctionnaires d'approfondir leurs recherches, y compris en demandant l'ouverture des tabernacles dans les églises. Toute la presse catholique s'enflamme, dénonçant cette menace de profanation.

Le sous-secrétaire d'Etat aux Finances, le radical-socialiste Pierre Merlou, revendique la responsabilité du texte, tout en tenant des paroles rassurantes : il appartiendra aux prêtres présents lors des inventaires de procéder eux-mêmes à l'ouverture des tabernacles. S'ils s'y refusent, les agents de l'Administration auront la consigne de s'incliner. De son côté, la hiérarchie ecclésiastique tente d'apaiser les esprits. Dans la Semaine religieuse de Paris, le cardinal Richard invite le clergé à observer, lors des inventaires, une attitude «passive mais correcte».


A Paris, les premiers inventaires se déroulent le 31 janvier 1906. La plupart des curés, observant la consigne du cardinal Richard, se contentent de protestations modérées. Mais à la Madeleine, à Saint-Augustin, à Saint-François-de-Sales, à Notre-Dame-des-Champs, à Notre-Dame-de-Plaisance, à Saint-Vincent-de-Paul, à Saint-Eustache, des incidents éclatent : les fidèles arrêtent les fonctionnaires sur le seuil des églises ou les expulsent sans ménagement. C'est au cours des deux journées suivantes, cependant, que l'affaire va vraiment basculer.

A Sainte-Clotilde, l'inventaire doit avoir lieu le 1er février. Située dans les beaux quartiers de la capitale, fréquentée par une population très pratiquante, cette paroisse est une des plus actives du diocèse. Le curé, l'abbé Gardey, pressentant la tension qui monte, a averti le cardinal : «Je n'ai pas besoin de vous dire que je considère comme très grave la situation présente.» Le gouvernement possédant ses informateurs, le préfet de la Seine a requis le préfet de police, Louis Lépine, afin de prêter main-forte aux fonctionnaires de l'Enregistrement. Lépine, de son côté, a mobilisé la garde républicaine.


Vers midi, le 1er février, les responsables de l'inventaire trouvent l'église en état de siège, portes cadenassées. Un premier rang de manifestants se tient derrière les grilles. Deux mille autres sont retranchés dans l'édifice. Essayant de franchir le barrage, un fonctionnaire municipal est repoussé : l'accrochage donne le signal à la première échauffourée. Le préfet Lépine, qui a verrouillé le quartier, veut prendre la parole, mais sa voix est couverte par le tumulte. A 16 h 30, il ordonne l'assaut.

Essuyant jets de pierres, coups de poing et coups de canne, les forces de l'ordre forcent les grilles. Puis sergents de ville et gardes républicains s'emparent du porche. A l'intérieur, tandis que les cloches sonnent à toute volée, les fidèles entonnent le Parce Domine. Dehors, les sapeurs-pompiers entrent en action. Brisant les portes latérales à la hache, ils permettent à Lépine et à ses hommes de pénétrer dans l'église. Mais les assiégés ont dressé des montagnes de chaises et de prie-Dieu, et démoli les confessionnaux pour se confectionner des armes. Le combat dure une demi-heure : mètre par mètre, le sanctuaire est conquis.


A Saint-Pierre-du-Gros-Caillou, le 2 février, l'inventaire donne lieu à des incidents similaires. Barricadés à l'intérieur, protégés par un amoncellement de chaises, les manifestants sont repoussés au moyen d'une lance à incendie. L'église transformée en lac, la bagarre finale se déroule dans dix centimètres d'eau. Là aussi la journée se solde par plusieurs dizaines de blessés et d'arrestations.

Conformément aux directives de son archevêque, le clergé parisien s'est tenu sur une stricte réserve : ce sont bien des laïcs qui ont pris l'initiative de la protestation. Des condamnations en justice tomberont. Quatre mois de prison pour René d'Aubeigné, un étudiant interpellé à Saint-Thomas-d'Aquin ; trois mois de prison pour Armand Ruzé, un tourneur-mécanicien de 20 ans; six mois de prison pour deux étudiants, Michel Petit et Joseph de Billy ; huit jours de prison pour Claude Couprie, docteur en droit, arrêté à Saint-Denis-de-la-Chapelle.


Commencés le 23 janvier 1906 en province, les inventaires n'ont d'abord donné lieu qu'à des manifestations symboliques. Le 31 janvier, à Lunéville, l'inspecteur de l'Enregistrement, accompagné de deux policiers en civil, se présente devant l'église Saint-Maur. Il doit écouter le texte de protestation que lui lit le curé, pendant qu'à l'intérieur deux cents fidèles entonnent des cantiques. Ne voulant pas créer de difficultés, le fonctionnaire se retire sans avoir accompli sa tâche.

Le 1er et le 2 février ont lieu les événements parisiens de Sainte-Clotilde et de Saint-Pierre-du-Gros-Caillou. Répercuté sur tout le territoire, cet épisode échauffe les esprits. Le 18 février, la publication de l'encyclique Vehementer Nos, par laquelle Pie X condamne la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, achève de libérer l'indignation des fidèles. Et c'est ainsi que, le 24 février, à Lunéville, la seconde tentative d'inventaire effectuée à l'église Saint-Maur vire à l'émeute. Tandis qu'un escadron de chasseurs à cheval, un détachement de chasseurs à pied, des brigades de gendarmerie et de police quadrillent les rues avoisinantes, cinq cents personnes occupent l'édifice. Il faudra trois heures aux forces de l'ordre pour enfoncer les portes et venir à bout de l'amoncellement de chaises barrant le passage.


Au Grand-Fougeray, près de Redon, après s'être attaqués en vain aux trois portes de l'église, les soldats doivent démolir un pan de mur. A Roquecourbe, dans le Tarn, les soldats opèrent sous la protection d'un canon. A Cominac, dans la Haute Ariège, des ours défendent l'édifice. A Billé, près de Fougères, ce sont des ruches pleines d'abeilles. A Ménomblet, en Vendée, les abeilles ont été lâchées dans le sanctuaire. Au Vieux-Berquin, près d'Hazebrouck, les paroissiens ont dressé une montagne d'instruments agricoles devant le porche. A Montgauch, dans le comté de Foix, comme à Bief-du-Bourg, dans le Jura, les portes de l'église ont été murées. A Boussais, dans les Deux-Sèvres, des troncs d'arbre cimentés forment un obstacle infranchissable. A Javorais, en Eure-et-Loir, les habitants ont intégralement vidé l'église. A Saint-Gorgon, dans le Morbihan, le maire doit s'interposer au moment où les gendarmes s'apprêtent à tirer...


Deux morts dans le Nord et en Haute-Loire

Mais en Haute-Loire, le sang va couler. Le 27 février, à Champels, le receveur de l'Enregistrement, escorté de trois gendarmes, doit procéder à l'inventaire de la chapelle Notre-Dame-d'Estours. Armés de fourches et de bâtons, deux cents paysans les attendent. Après lecture de la protestation du curé, la foule gronde. Le fonctionnaire est bousculé, trébuche, et crie au brigadier de le protéger. Dans l'affolement, les deux autres gendarmes tirent, blessant quatre manifestants. Le receveur et les trois gendarmes ne devront leur salut qu'à une fuite éperdue.

Le 3 mars, à Montregard, toujours en Haute-Loire, le percepteur et trois gendarmes sont obligés de se réfugier dans la mairie, où ils sont assiégés six heures durant. Quand ils tentent une sortie, ils sont poursuivis à coups de pierres par plusieurs centaines d'hommes. Fou de rage, un paysan, André Régis, se précipite, fourche dressée, sur le brigadier : «Toi, je vais te faire ton affaire !» Les gendarmes ouvrent le feu, et le malheureux s'écroule. Il mettra trois semaines à mourir de ses blessures.


Le 5 mars, le préfet de Haute-Loire alerte le ministre de l'Intérieur. Dans son département, la situation devient incontrôlable : non seulement les forces de l'ordre ne peuvent plus accéder aux églises mais elles ne peuvent même plus pénétrer dans les localités, certains habitants, ayant pris le maquis, leur tendant des embuscades.

Le 6 mars, le sang coule à nouveau, mais dans le Nord. A Boeschepe, les heurts causent la mort d'un manifestant, Gery Ghyseel. Dans toute la France, l'émotion est immense. Dès le 7 mars, le drame de Boeschepe provoque un débat houleux à la Chambre. Le président du Conseil, Maurice Rouvier, déclare que la loi sera appliquée sans faiblesse, mais avec prudence, tact et sagesse. Cette déclaration mi-figue mi-raisin mécontente la gauche, qui exige de la rigueur, comme la droite, qui souhaite de la souplesse. Quand on passe au vote, la motion de confiance est rejetée. Après quatorze mois de pouvoir, Rouvier donne sa démission, victime de la crise des inventaires.

Pour remplacer Maurice Rouvier, Fallières pressent Jean Sarrien. Dès le 16 mars, Georges Clemenceau, ministre de l'Intérieur, adresse aux préfets une circulaire confidentielle : chaque fois que le recours à la force paraîtra s'imposer, il faudra suspendre les inventaires. Le 20 mars, cette circulaire ayant été communiquée à la presse à la suite d'une indiscrétion, Clemenceau s'explique devant le Sénat : «Nous trouvons que la question de savoir si l'on comptera ou ne comptera pas des chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine.»



Cet article est tiré du Figaro Magazine, Ici


La discussion

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