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JUILLET 2003 A MARS 2011

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Souvenirs de l'époque Gorbatchev Imprimer
Auteur : Jean Kinzler
Sujet : Souvenirs de l'époque Gorbatchev
Date : 2011-03-02 14:07:54

Souvenirs de l'époque Gorbatchev

Mes 5 ans:
funérailles de Chernenko à la télévision. Défilé funéraire. Mes parents n'y prêtent aucune attention: les défilés funéraires étaient assez fréquents alors. Nos leaders n'arrêtaient pas de mourir: il y avait plein de vieux. Je pleure très fort et j’accuse mes parents d'avoir déjà oublié Chernenko. J'affirme que contrairement à eux, je me souviendrai toujours de lui. Mes parents rient.

Mes 5 ans:
j'aime beaucoup grand-père ("dedushka") Lénine (dedushka en russe veut dire à la fois grand-père et "monsieur âgé"). C'est le personnage phare au jardin d'enfants. Je suis vraiment attachée à Lénine, j'ai le sentiment de l'aimer. Dans une dispute avec mon grand-père (du côté de mon beau-père), je lui déclare que je l'aime moins que Lénine. Il me répond: et moi je t'aime moins que Nadejda Konstantinovna (la femme de Lénine). Je suis très vexée et je pleure parce que Nadejda Konstantinovna est nettement moins bien que Lénine (et aussi parce que je le sais sceptique sur Lénine et sa femme, alors que moi, j'aime Lénine sincèrement).

Mes 6 ans: entretien d'entrée à l'école spéciale, avec la directrice ("spéciale" voulait dire plus prisée et difficile d'accès): l'entretien est un peu comme un examen. Elle vérifie d'abord arithmétique/lecture, puis l'air satisfaite, elle me demande "qui c'est sur la photo", je ne réponds rien, elle redemande avec insistance (la photo est de Lénine), je garde le silence. A la sortie, mes parents me demandent pourquoi je n'ai rien dit - je savais tout de même qui cela était - je leur réponds "je sais ce qu'il faut dire de Lénine à la maison; je sais ce qu'il faut dire de Lénine au jardin d'enfants, mais je ne sais pas encore ce qu'il faut dire de Lénine à l'école".

-souvenir très fort de l'enfance: participation à la manifestation de soutien à Boris Eltsine à Moscou (88-89?), avec mes grands-parents (côté beau-père, intelligentzia moscovite), mes parents et moi. Une mer de monde, une foule joyeuse, aucun sentiment de peur, sentiment d'euphorie: les visages sont radieux, enthousiastes; je ne me souviens pas du tout des forces de l'ordre (très en retrait? absents?). Une foule sur une énorme place, tout le monde scande des slogans en souriant, une espèce d'immersion dans un bonheur collectif libre, je vois mes parents dans une sorte d'enivrement de bonheur, je ne sais pas comment expliquer cela: cela a toujours été impossible pour eux d'être en accord avec la foule et là, ils étaient pour une fois fiers d'être dans quelque chose de collectif-partagé. Un mélange de liberté et de fierté, une euphorie de ce qui était devenu possible. Mes parents disent que cette manifestation était à l'occasion de limogeage de Jeltzine du poste de directeur de parti communiste de Moscou, qu'à cette époque, ils n'arrêtaient pas de faire des manifs. Au moment où les conservateurs essaient de ralentir les réformes et où Ligatchev dit "Boris, tu as tort". Alors la foule scande "Boris, tu as raison" lors de cette manif. Je me souviens aussi du fait qu'on n’était pas seuls "en famille-3 générations", il y avait tous les âges.

-souvenirs d'école de fin perestroïka: en 1988 on m'a accepté dans l'ordre des pionniers, avec toute la classe, cérémonie officielle. Début 89 avec ma meilleure amie, on décide qu'on veut sortir des pionniers officiellement et on le déclare à notre prof de musique à l'école, on arrête de porter la cravate rouge. Je ne me souviens pas du tout de comment on a eu cette idée. Je pense qu'aujourd'hui on dirait qu'on se sentait "cool" ou "rebelle" à notre façon, où cool veut dire "à la mode": on faisait quelque chose que personne n'avait osé faire, mais en sachant qu'on courait pas un grand danger. Toutefois, je me souviens que je me sentais transgresser une sorte d'interdit, "retenir la respiration" sur la réaction des profs. Mais personne n'a rien dit: ni approbation, ni désapprobation.

Ensuite, au printemps 1990, on a décidé, avec la même copine, de faire une pétition officielle pour qu'on enlève le buste de Lénine de l'école. On disait que ce n'était pas normal que tout le pays change et que notre école qui se réputait progressiste (elle était connue comme l'une des plus "libérales" de la capitale: la 45ème) gardait toujours le buste de Lénine dans le couloir central. Nous avons été reçu par le directeur qui nous a écouté attentivement. Le buste n'a pas été enlevé, mais on a su que le directeur était plutôt content de notre démarche.

-de mon expérience d'enfant jusqu'à l'âge adulte: apprentissage de me méfier très fortement de tout ce qui est "collectif", une admiration profonde et déclarée fièrement pour la personne humaine singulière - pour l'humanisme - pour la valorisation de l'individu dans le sens le plus noble du terme. Et aussi, sur le plan politique, méfiance de tout ce qui est de gauche ou se déclarant de gauche comme quelque chose de probablement factice et non vécu réellement (valeurs déclarées, mais non pratiquées). Encore aujourd'hui, et étant maintenant citoyenne française, je pourrai difficilement accepter de voter pour la gauche; quand je dis à mes parents que j'estime un tel homme politique de gauche, je me sens obligée de justifier comment cela est possible. Je crois vraiment que cette méfiance du collectif et de la gauche est très profonde chez beaucoup de gens qui avaient vécu en URSS, je ne crois pas que ce soit ma particularité.

Liza, née en 1980Source


La discussion

 Souvenirs de l'époque Gorbatchev, de Jean Kinzler [2011-03-02 14:07:54]
      Ce que fut la Ce que fut la Perestroïka , de Theonas [2011-03-02 16:42:05]
          en complément, de Theonas [2011-03-02 18:22:26]
          “Une immense toile d’araignée financière et  [...], de Vianney [2011-03-02 23:38:25]
              Il ne faut pas se faire d'illusion, de Gentiloup [2011-03-03 00:03:08]
                  La machine démocratique, de Vianney [2011-03-03 08:27:53]