Les archives du Forum Catholique
Forum | Documents | Liens | Q.F.P. | Oremus

Les archives du Forum Catholique

JUILLET 2003 A MARS 2011

Retour à la liste des messages | Rechercher

Afficher le fil complet

Le Père Geffré, pas seul parmi les siens, annonce plutôt la "Pentecôte" (2/2) Imprimer
Auteur : Scrutator Sapientiæ
Sujet : Le Père Geffré, pas seul parmi les siens, annonce plutôt la "Pentecôte" (2/2)
Date : 2011-02-26 14:13:53

(suite et fin)

Texte rédigé à partir des conférences données par le Père Claude Geffré, o.p. à l'Abbaye de Limon, les 4 et 5 octobre 2000

" IV Salut en Jésus-Christ et salut dans les religions

Je commencerai par quelques mots sur les religions comme médiation dérivée dans l'ordre du salut, puis je voudrais essayer d'approfondir le mystère du Christ comme universel concret pour reprendre l'expression que j'emprunte au cardinal Nicolas de Cues, puis je reviendrai sur ce que peut être l'accomplissement en Jésus Christ de toutes les valeurs positives des religions à condition de comprendre cette notion d'accomplissement dans un sens non totalitaire.

Les religions comme médiations dérivées dans l'ordre du salut

Je vous ai dit que la théologie catholique depuis déjà plus de trente ans, depuis Vatican II, a essayé de dépasser un ecclésiocentrisme étroit dont le slogan " Hors de l'Eglise pas de salut " était un peu le signe, dans le sens d'un christocentrisme de plus en plus affirmé. On va reconnaître au christianisme une unicité d'inclusion par rapport aux autres religions ; on parlera donc, et cela fait partie du vocabulaire de la théologie des religions, on parlera d'inclusivisme théologique, et cet inclusivisme peut également être désigné comme une théologie de l'accomplissement. Cette théologie de l'accomplissement avait déjà été développée avant le concile par des hommes comme le Père de Lubac, le Père Daniélou, et le Père Congar : non seulement les hommes de bonne volonté peuvent faire leur salut dans les autres religions, cela l'Eglise catholique l'avait dit bien avant Vatican II, mais les religions peuvent jouer le rôle de " préparation évangélique " pour reprendre la formule d'Eusèbe pour tous ceux qui n'ont pas encore rencontré Jésus-Christ. Et comme je vous l'ai dit, et cela me paraît un point important, cet accomplissement ne concerne pas simplement les dispositions personnelles des hommes et des femmes de bonne volonté, mais on peut voir des valeurs positives dans les éléments constitutifs des religions, des préparations par rapport à ce qu'est la vraie religion ; c'est le numéro 2 de Nostra Aetate, de Vatican II. On retrouve la même chose dans l'encyclique sur la mission Redemptoris Missio, quand Jean-Paul II parle explicitement des semences et des rayons qui se trouvent dans les personnes et dans les traditions religieuses de l'humanité. On ne dissocie pas les personnes et les religions auxquelles elles appartiennent. Ce n'est pas simplement le fait qu'elles sont bien disposées, qu'elles sont de bonne volonté, c'est le fait qu'elles appartiennent à des religions qui, en elles mêmes, dans leurs éléments constituent peut être des semences du Verbe.

Donc on ne peut pas isoler les non chrétiens des traditions religieuses auxquels ils appartiennent, et, en dépit de leurs imperfections, ces religions constituent des possibilités existentielles qui peuvent favoriser leur ouverture au mystère du salut, si par salut j'entends la découverte de Dieu comme mystère de grâce. Il est donc permis de voir dans ces religions comme des objectivations de la volonté universelle de salut de Dieu, et cela rejoint la vision grandiose des Pères de l'Eglise, leur théologie des semina Verbi ou la présence universelle du Logos qui est le principe universel de la manifestation de Dieu et du salut dans toutes les religions de l'humanité. Là je suis d'accord avec le document romain sans discussion : quand il parle de cette présence universelle du Verbe de Dieu, il s'agit de la présence universelle du Verbe incarné en Jésus de Nazareth, et si l'on parle d'une présence de l'Esprit, il s'agit de la présence de l'Esprit du Christ ressuscité.

Je crois que le texte ici a raison de contester une des erreurs, signalée au numéro IV ; il conteste une distinction que l'on ferait entre l'économie du Verbe et l'économie du Saint Esprit ; sur ce point, je suis en désaccord avec le Père Dupuis alors que pour l'essentiel je pense que le Père Dupuis, même si son livre a été mis en examen, conteste la plupart des erreurs qui sont dénoncées dans ce texte ; il est vrai que le Père Dupuis distingue trop d'une part l'économie du Verbe incarné, et d'autre part une économie et du Verbe et de l'Esprit qui, en quelque manière, compenserait la particularité du Verbe incarné pour rendre compte du salut de tous les hommes avant le venue de Jésus-Christ et même après la venue de Jésus-Christ ; voilà les limites de ce qu'il appelle la christologie trinitaire ; pour le reste, il s'inscrit en faux par rapport à toutes les erreurs qui sont désignées comme une conséquence quasi nécessaire de la distinction entre un pluralisme religieux de fait et un pluralisme religieux de principe. Jamais le Père Dupuis, ni aucun théologien qui accepte cette distinction, n'ont remis en cause le caractère définitif et complet de la révélation, la nature de la foi chrétienne par rapport à la simple croyance dans les autres religions, l'inspiration des livres de la Sainte Ecriture, l'unité personnelle entre le Verbe éternel et Jésus de Nazareth. Ironie de l'histoire : je connais bien le Père Dupuis, il passe auprès de bien des théologiens indiens pour trop conservateur parce qu'il tient mordicus pour l'unicité de Jésus de Nazareth et du Verbe incarné, donc la filiation divine de Jésus. Je ne dirais pas la même chose du Père Amaladoss ! L'unité de l'économie du Verbe incarné et du Saint Esprit : là on peut effectivement discuter ; l'unicité et l'universalité salvifique du mystère de Jésus Christ, aucun de ces théologiens ne les conteste. Autre erreur : on aurait l'air de contester la médiation salvifique universelle de l'Eglise ; je reviendrai là dessus, mais il est certain, à mon avis, qu'on ne peut pas accorder la même universalité à la médiation de l'Eglise comme Eglise catholique et comme Eglise qui a la plénitude des moyens du salut avec la médiation du Christ ! Car n'importe quel étudiant en théologie a toujours appris que Dieu n'est pas lié par les moyens de salut qui sont disposés dans l'Eglise. Ce qui est vrai, et Vatican II le dit d'ailleurs très clairement, c'est que tous les hommes, s'ils sont sauvés, sont ordonnés à l'Eglise, ils sont ordonnés à l'Eglise comme Corps du Christ, mais je ne pense pas qu'on puisse, à partir des textes de Vatican II, identifier l'universalité de la médiation du Christ et l'universalité de la médiation de l'Eglise en tant qu'Eglise visible, en tant qu'Eglise que les hommes peuvent voir. J'arrive du Canada, j'ai parlé sur certaines radios sur ce texte ; j'ai dit que ce texte reprend tout à fait l'enseignement de Vatican II, le jugement positif de l'Eglise sur les religions non chrétiennes ; il reprend effectivement l'encyclique souvent citée Redemptoris Missio de Jean-Paul II, mais tout cela est repris en fonction d'un ecclésiocentrisme qui, à mon avis, est proprement prè conciliaire, et n'est pas dans la logique de l'ecclésiologie de Vatican II. Un des signes évidents pour moi est la fameuse section IV qui est quand même en retrait et vis à vis du texte sur l'œcuménisme de Vatican II, en particulier le décret sur l'œcuménisme, et en retrait vis à vis de l'encyclique de Jean Paul II luimême Ut unum sint. Je suis un peu désolé que le cardinal Pierre Eyt, pour lequel j'ai beaucoup de respect, dise que le Pape ne fait que redire ce qu'il a dit dans l'encyclique Ut unum sint à propos de la subsistance de l'Eglise catholique dans l'Eglise du Christ ; l'encyclique Ut unum sint ne dit pas ça ! Tous les théologiens qui étudient les actes du Concile, le fameux texte sur le subsistit in, ont toujours dit, et on le sait parce que l'on connaît le rédacteur de Lumen Gentium, que si on veut utiliser l'expression " L'Eglise du Christ subsiste dans l'Eglise catholique ", le subsistit in n'a pas une valeur ontologique forte, mais a une valeur, je dirais, presque étymologique. " Subsister ", c'est à dire que l'Eglise du Christ se trouve bien sous l'Eglise catholique, même si l'Eglise catholique n'est pas elle même absolument parfaite parce qu'elle est faite de pécheurs. La véritable Eglise du Christ subsiste dans l'Eglise catholique et cette véritable Eglise du Christ subsiste aussi dans les autres communautés ecclésiales de manière imparfaite, mais à leur manière dans la mesure où ces autres communautés ecclésiales n'ont pas maintenu la succession apostolique, ni le pouvoir d'ordre et donc la validité de la célébration eucharistique, sans parler de la non reconnaissance de la primauté de l'évêque de Rome. Mais le subsistit in n'a jamais voulu dire une adéquation de l'Eglise catholique et de l'Eglise du Christ au sens du mystère biblique de l'Eglise ou encore au sens de ce que l'on appelle le Corps du Christ ! Et là dessus je pense qu'il y a un certain consensus des théologiens : les accords passés entre l'Eglise catholique et les Eglises anglicanes, ou entre l'Eglise catholique et les Eglises de la Réforme supposent évidemment que, comme dans tout dialogue, on respecte la manière dont les autres Eglises se voient. Les Eglises dites protestantes ne se considèrent pas simplement comme des communautés ecclésiales qui ne seraient pas des Eglises ; même si elles ne sont pas des Eglises qui ont gardé la plénitude de l'unité comme dans le cas de l'Eglise catholique, il faut quand même respecter leur volonté d'être des Eglises qui se réclament du même baptême, qui se réclament de la même parole de Dieu, même si elles n'ont pas gardé des éléments d'ecclésialité très importants aux yeux de l'Eglise catholique, à savoir la succession apostolique et la primauté de l'évêque de Rome. Je dis cela simplement pour dire qu'on ne peut pas, à mon avis, identifier l'universalité de la médiation du Christ et l'universalité de la médiation de l'Eglise.

Donc sans compromettre l'unicité de la médiation du Christ, il semble légitime d'affirmer que les autres religions peuvent exercer un certain rôle médiateur dans le salut pour autant qu'elles sont porteuses de la présence cachée du mystère du Christ. On ne parlera pas de médiation parallèle, on ne parlera pas de médiation complémentaire par rapport à la médiation du Christ ; on dira, ce qui est évidement nouveau par rapport à la perspective préconciliaire, que si beaucoup d'hommes et de femmes qui sont dans une méconnaissance non coupable du Christ et du Dieu de Jésus Christ sont sauvés, ce n'est pas en dépit de leur appartenance à telle ou telle religion païenne, mais dans et à travers ces religions. Autrefois on disait que c'est en dépit de leur appartenance que du point de vue de leur droiture ils peuvent faire leur salut.

Quelles que soient les déviations, les erreurs, les ambiguïtés de ces religions, il semble légitime de prétendre que, dans toute religion, aussi rudimentaire soit elle, il y a une ouverture à une altérité, une ouverture qui apporte un surcroît d'être et qui favorise une ouverture à autrui ; cette ouverture va dans le sens de ce que nous confessons en Jésus Christ, et, ce que nous confessons en Jésus Christ, c'est la révélation de la vérité du rapport religieux de l'homme à Dieu. Jésus Christ a inauguré la vérité du rapport religieux de l'homme à Dieu, l'homme peut désormais désigner Dieu comme Père et se reconnaître comme enfant de Dieu ; ce que nous confessons en Jésus Christ, c'est aussi la révélation de la vérité de notre rapport aux autres dans la mesure où ce rapport est essentiellement sous la loi de l'amour.

Le mot médiation est sans doute trop fort dans la mesure où, au sens strict, il ne convient qu'à la médiation du Christ. Vous savez que, dans le cas du Christ, le mot médiation est, d'une certaine façon, impropre du point de vue de son étymologie, dans la mesure où le Christ n'est pas un intermédiaire entre Dieu et l'homme. Il est non seulement mieux qu'un fondateur de religion, il est même mieux qu'un médiateur, puisqu'il est Dieu lui même venant habiter parmi les hommes, et c'est bien ce qui fait la situation d'exception du christianisme parmi les religions du monde ; aucune religion autre que le christianisme ne prétend que son fondateur, son prophète, est plus que l'envoyé de Dieu, puisqu'il est Dieu lui même. Il faut bien accepter que cette vérité soit une vérité inassimilable par les membres des autres religions, et donc que le dialogue entre le christianisme et les autres religions soit un dialogue beaucoup plus difficile, parce qu'on reprochera toujours au christianisme, dès le départ, de se mettre dans une situation d'exception, car il n'est pas simplement une religion qui se réclame d'un fondateur, qui se réclame d'Ecritures de la part de Dieu ; mais celui là même, qui est à l'origine de cette religion qu'est le christianisme, est le Fils de Dieu, et cela apparaît comme une prétention exorbitante aux yeux des membres des autres religions. Il est donc normal que cette vérité, qui est la branche sur laquelle nous sommes assis, ne soit pas reconnue par les membres des autres religions. Ce n'est pas en la gommant que l'on facilitera le dialogue, mais c'est en l'approfondissant. A partir du moment où Dieu devient homme, cela est une prétention insoutenable, mais, en même temps, cela nous manifeste les principes même de limitation du christianisme comme religion, puisqu'on se réclame d'une médiation historique, d'une visibilité historique de Dieu avec la prise au sérieux de ce qu'est cette particularité historique. L'Eglise est bien le sacrement universel du salut, comme le rappelle la constitution Lumen Gentium sur l'Eglise, même si les hommes peuvent être sauvés en dehors de l'Eglise sans la médiation explicite de l'Eglise, sans faire appel aux moyens de salut qui sont disposés à l'intérieur de l'Eglise, que ce soit de l'ordre de la prédication, que ce soit de l'ordre des ministères, que ce soit de l'ordre des sacrements, tous ces hommes qui sont sauvés sont mystérieusement ordonnés à l'Eglise, en tant que l'Eglise est le Corps du Christ, mais je ne pense pas que nous soyons obligés de faire de l'Eglise de la terre la médiation exclusive du salut opéré en Jésus Christ puisque Dieu n'est pas lié par les médiations ecclésiales. La grâce est offerte à tous les hommes par des voies connues de Dieu seul, et l'Eglise que voient les hommes, l'Eglise de la terre, n'a pas le monopole des signes du Royaume, car il convient de maintenir une distance entre l'Eglise et le Royaume de Dieu. L'Eglise est le sacrement de l'unité du genre humain ; on peut dire que l'Eglise est le sacrement du Royaume, même si cette expression ne se trouve pas telle quelle dans les textes du Concile, mais l'Eglise ne s'identifie pas avec le Royaume, même s'il y a une anticipation du Royaume dans l'Eglise, car il y a aussi une anticipation du Royaume dans les hommes qui vivent déjà des valeurs du Royaume. Et là nous sommes invités à ne pas séparer l'action particulière de l'Esprit qui est dans le corps de l'Eglise, le Corps du Christ, et puis l'action universelle de l'Esprit, de l'Esprit du Christ ressuscité, dans le cœur des hommes et dans l'histoire des peuples, bien au delà des frontières de l'Eglise visible. Il y a donc une histoire de l'Esprit de Dieu qui est inséparablement l'Esprit du Christ ressuscité, et qui déborde à la fois les frontières d'Israël et les frontières de l'Eglise instituée par Jésus.

J'ai déjà esquissé cela, j'y reviens d'un mot : quand on dit que les hommes et les femmes font leur salut, non en dépit mais à travers les religions dans lesquelles ils sont nés, auxquelles ils appartiennent de bonne foi, il ne faudrait pas en rester à une vision abstraite, à une vision trop optimiste de ces religions. Ces religions sont de fait des religions pleines d'ambiguïtés, et de fait elles peuvent être des obstacles à la rencontre de Dieu c'est d'ailleurs ce que l'on a enseigné pendant des siècles elles peuvent être l'occasion d'une véritable idolâtrie, elles peuvent comporter des aberrations du point de vue moral, elles peuvent être aussi, nous l'avons vu du point de vue politique ou du point de vue historique, des facteurs de violence. Nous sommes invités à la repentance par rapport aux erreurs, aux fautes de nos Eglises dans la mesure où nos Eglises n'ont pas été fidèles à l'idéal évangélique, mais ne tombons pas dans un excès d'admiration pour les autres traditions religieuses même si ces autres traditions religieuses ne font pas elles mêmes tellement une purification de leur mémoire et n'exercent pas tellement un acte de repentance, alors qu'elles sont pleines également de scories et d'ambiguïtés.

Il s'agit de pratiquer un discernement, mais c'est un peu le danger ici, le discernement ne peut pas se faire uniquement à partir de ce qu'est le christianisme, il faut faire un discernement en prenant ces religions dans leurs éléments constitutifs, constater comme toujours qu'il y a une distance entre la pratique individuelle des fidèles d'une religion et l'idéal de cette religion. Mais on ne peut pas juger les autres religions, en termes de vérités, uniquement en prenant comme critère le contenu dogmatique du christianisme. Il faut accepter qu'il puisse y avoir d'autres vérités d'ordre religieux que les vérités qui sont dans le Credo chrétien. Nous n'avons pas forcément à porter immédiatement un jugement de supériorité du christianisme par rapport à ces autres religions du point de vue de leurs éléments systématiques comme système religieux.

J'ai parlé aussi de valeurs, qui ne sont pas des valeurs implicitement chrétiennes, mais des valeurs christiques qui trouveraient leur accomplissement dans le christianisme historique. Si j'ai insisté sur la différence entre l'universalité du Christ et l'universalité du christianisme, j'ai cependant insisté sur le fait que je maintiens une certaine universalité sous l'expression que j'appelle christianité et qui s'enracine dans le mystère du Christ et coexiste avec toute l'histoire humaine dans la mesure où c'est le dessein de Dieu que l'homme soit créé et soit sauvé en fonction du Christ qui a une valeur paradigmatique comme homme parfait par rapport à tout homme. On peut parler d'une traduction du Christ en milliers d'autres Christs pour parler comme le mystique allemand Silésius, traduction qui explicite des virtualités qui sont contenues dans l'humanité de Jésus Christ. Vous m'avez demandé de pratiquer un discernement parmi ces valeurs constitutives, ou ces valeurs christiques. Comme c'est normal quand il s'agit d'une religion, on peut distinguer ce qui est de l'ordre de la connaissance, ce qui est de l'ordre du culte, et ce qui est de l'ordre de l'exigence éthique. Dans l'ordre de la connaissance, il y a des textes sacrés, des révélations, des prophéties qui peuvent être une pédagogie sur le chemin de la découverte du vrai Dieu ; cela est vrai de toutes les religions qui sont des religions à écritures, écritures très anciennes comme les écritures védiques, bouddhisme tibétain, plus près de nous comme dans l'Islam ; on peut aussi discerner des prophéties qui peuvent favoriser l'ouverture à l'absolu et à la communion avec lui. Je pense que toutes les religions, quelles que soient leurs limites, leurs imperfections, attestent cette vérité souvent contestée par notre modernité, à savoir que la relation à ce que l'on appelle l'absolu ne coïncide pas avec une aliénation de l'homme, mais coïncide au contraire avec un surcroît d'être pour l'homme et un plus, un surcroît d'ouverture et de qualité dans sa relation à autrui. Je m'inscris en faux contre des philosophies qui dès le départ mettent une sorte d'opposition entre la relation à une transcendance et la qualité, l'authenticité de l'humain ; je pense que l'authenticité de l'humain croît avec le maintien ou plutôt l'instauration d'une relation à quelque chose qui est plus que l'humain, qui est une ouverture à une altérité par rapport à ce que serait l'immanence de l'homme pris en lui même. Dans l'ordre du culte, il y a certains rites, et surtout des ascétismes de l'âme et du corps qui peuvent être un apprentissage de la vérité du rapport religieux de l'homme à Dieu qui trouve sa plénitude dans la religion de Jésus. Dans l'ordre éthique, même si certaines religions comportent des pratiques qui sont proprement à nos yeux immorales, il n'empêche qu'elles ont aussi des valeurs souvent éthiques d'oubli de soi, de justice, de compassion, d'hospitalité, même de fraternité ; à propos de toutes ces richesses d'ordre religieux qui sont disséminées dans les diverses traditions religieuses du monde, le grand principe à poser est : qu'est ce qui favorise le dessaisissement de l'homme, le décentrement de l'homme à l'égard d'un plus grand que soi ? Cette idée que la relation à la transcendance, à une altérité, à l'absolu, passe par une certaine mort à soi, non seulement de l'illusion du soi, mais du repliement du soi sur lui même, passe par une mort à ce que l'on peut appeler l'égotisme, ou l'inflation d'un ego propre, cela a quelque chose à voir, une certaine complicité avec le mystère pascal. On pourrait dire que toute expérience spirituelle authentique a une valeur pascale, sans tomber dans une mauvaise apologétique. Autrement dit, il n'y a pas de rencontre de l'absolu sans passer par une certaine mort, mais une mort, une désappropriation qui est au service d'un surcroît d'être, un surcroît de vie ; donc, de ce point de vue, là, il y a une analogie avec le mystère de mort et de résurrection au sens fort, c'est à dire au sens pascal. " Qui perd sa vie la gagne " : cette maxime de Jésus se vérifie dans toute expérience spirituelle authentique bien en dehors des limites du christianisme.

Evidemment lorsque nous parlons de salut au sens fort, il s'agit de la réconciliation de l'homme avec Dieu qui normalement se fait à partir de la connaissance de Jésus Christ, à partir de la participation au mystère pascal de Jésus. J'ai déjà cité plusieurs fois le texte de Gaudium et Spes qui nous dit qu'un certain nombre d'hommes et de femmes participent déjà au mystère pascal dans une méconnaissance intellectuelle, notionnelle du mystère du Christ. Le texte de la Congrégation de la foi reprend cela, mais le texte Dominus Jesus le met immédiatement en relation avec la médiation de l'Eglise, ce que ne fait pas le texte de Gaudium et Spes ! Cela est tout à fait typique de cette attitude, de cette espèce d'obsession de la centralité de l'Eglise catholique comme étant celle qui a le monopole des moyens de salut, et même le monopole de la grâce liée à ce qui est le mystère central, le mystère pascal. Or je pense, comme le dit la constitution Gaudium et Spes, qu'il y a un certain nombre d'hommes et de femmes qui participent déjà sans le savoir au mystère pascal ; si effectivement ils vivent quelque chose du mystère pascal, c'est toujours, dans une ordination à l'Eglise, mais ce n'est pas dans un lien direct avec l'Eglise, surtout si, par Eglise, on entend l'Eglise catholique parmi l'ensemble des Eglises chrétiennes. Quant au texte de la déclaration, j'ai lu hier dans le journal La Croix les correctifs de Jean Paul II (La Croix, 2 octobre 2000, p. 21 : le Pape fait une mise au point sur " Dominus Jesus ". La Documentation catholique, n° 2235, 5 novembre 2000, p. 909-910 : " Le sens et la portée de la Déclaration Dominus Jesus ", (Allocution lors de l'Angelus du 1er octobre).Lire aussi dans le journal La Croix, 16 novembre 2000, p. 23 : " Après Dominus Jesus, le dialogue se poursuit ").
Si on prend un titre comme cela : " Dominus Jesus, unicité et universalité salvifique de Jésus Christ et de l'Eglise ", sans que l'on précise de quelle Eglise il s'agit, on est prêt à contresigner cela si l'Eglise c'est le mystère biblique de l'Eglise, si l'Eglise c'est le Corps du Christ. Mais tout le texte manifeste que ce qui est dit de l'Eglise dans le titre sans plus, c'est l'Eglise catholique. Aucun catholique, aucun de nos frères séparés, qu'il soit protestant, anglican, ne peut mettre sur le même pied l'Eglise catholique et le mystère de l'Eglise. Certes l'unité a été conservée dans l'Eglise catholique, mais si l'œcuménisme a un sens, c'est qu'il y aura tout de même un enrichissement de cette unité qui a été conservée depuis les apôtres dans l'Eglise catholique quand les autres Eglises seront en communion avec l'Eglise romaine. Or le texte dit que finalement le manque d'unité entre les chrétiens est certes une blessure pour l'Eglise, non pas comme privation de son unité, mais en tant qu'obstacle pour la réalisation pleine de son universalité dans l'histoire. La séparation des Eglises est une blessure pour l'Eglise, et c'est une blessure pour l'unité même qui est déjà acquise dans l'Eglise catholique, et je pense que le mouvement œcuménique n'a de sens que par rapport à une unité, qui a certes été conservée dans l'Eglise catholique, mais qui est quand même une unité devant nous, qui est une unité qui d'une certaine façon reste inédite, car comme le dit très bien Jean Paul II dans son encyclique Ut unum sint, l'Eglise universelle, pas seulement l'Eglise catholique, sera enrichie par les éléments d'ecclésialités qui sont dans les autres Eglises ; le texte de Ut unum sint dit : certains éléments d'ecclésialités manifestent mieux la grandeur du mystère du Christ que ce que l'Eglise catholique elle même fait ! Il faut quand même s'entendre ! Ce n'est pas le retour pur et simple des Eglises à une Eglise qui est déjà parfaite parce qu'elle a maintenu l'unité ; si cette future Eglise universelle est devant nous, c'est l'unité aussi de cette Eglise universelle qui est devant nous. On ne peut pas dire que l'unité de l'Eglise catholique elle même n'est pas blessée par la séparation des Eglises.

Cela ne nous écarte pas de notre sujet. Tout ce qui est dit est utile en ce sens qu'il y a effectivement des déviations actuellement sur l'universalité du salut en Jésus Christ, mais on peut réagir contre ces déviations sans revenir à un type d'ecclésiocentrisme qui me semble préconciliaire, et qui n'est pas dans la logique des grands textes de Vatican II, surtout de la constitution Lumen Gentium.

Le Christ comme universel concret.

Qu'est ce que je veux dire par là ? Je constate tout d'abord qu'aujourd'hui un certain nombre de théologiens, ce qui a été l'occasion je pense de ce texte, représentent ce qu'on appelle volontiers une position dite pluraliste. Certains sont impressionnés par la révolution copernicienne qu'un théologien comme John Hick veut promouvoir, le fait que l'on va dépasser un christocentrisme et un christianocentrisme ; on ne dira plus que toutes les religions tournent autour du mystère du Christ et autour du christianisme, mais que toutes les religions, y compris le christianisme, tournent autour de ce soleil qui est le mystère, on ne dira pas le mystère de Dieu, mais le mystère de la réalité dernière de l'univers. C'est cela une révolution copernicienne, et lorsqu'on continue à dire que toutes les religions tournent autour du mystère du Christ comme unique Sauveur, on reste encore dans une perspective ptoléméenne pour prendre ces comparaisons cosmologiques.

Un théologien comme Raymond Panikkar, théologien relativement nuancé comme théologien indien, accepte de dire que les religions tournent autour du Christ, mais le Christ pour lui est alors plutôt le Christ sagesse du Père, ou un Christ cosmique préexistant. Ce n'est plus le Verbe incarné relié à un moment unique de l'histoire, c'est la préexistence du Christ qui surplombe toute l'histoire et tout l'univers. Il est certainement visé dans le texte de la Congrégation de la doctrine de la foi quand on accuse certains théologiens de faire une certaine séparation entre le Verbe de Dieu et l'humanité de Jésus de Nazareth. Même si, à d'autres égards, Raymond Panikkar a probablement raison de dire qu'il y a plus dans le Christ que dans l'humanité de Jésus de Nazareth ; moi, je dirais volontiers cela aussi, plus, oui, il y a plus à cause précisément de la particularité de l'humanité de Jésus de Nazareth qui ne peut pas être adéquate à la plénitude du mystère du Christ comme Verbe ; mais cela n'empêche pas que il faille maintenir l'unité absolue entre celui que nous appelons Jésus et le Christ, le Messie, ou le Fils de Dieu.

Personnellement, plutôt que de gommer le scandale, le paradoxe du Christ comme homme Dieu, je préfère réfléchir sur ce que Nicolas de Cues appelle le Christ comme " universel concret ". Au lieu de recourir à un théocentrisme général, je crois que c'est un approfondissement du mystère de l'Incarnation qui doit permettre de comprendre comment on peut maintenir la singularité du mystère du Christ, son unicité, sans faire en sorte que cette unicité aboutisse à une sorte d'impérialisme, d'hégémonie du christianisme par rapport aux autres religions. Certains théologiens aujourd'hui, engagés sur la terrain dans le dialogue avec les grandes traditions religieuses, en particulier l'hindouisme, estiment que la prétention du christianisme est insupportable pour les membres des autres religions. Il sont donc tentés d'édulcorer à force d'interprétation le scandale de l'Incarnation. C'est là où je crois qu'il y a une limite à ne pas franchir, et qu'il faut accepter que cette vérité soit difficilement supportable pour un certain nombre de membres d'autres religions qui ne partagent pas notre foi. Je pense qu'on peut rester dans la perspective d'un inclusivisme sans faire que le christianisme tombe dans ce qu'on peut appeler un christianocentrisme.

En fonction d'une meilleure connaissance de la richesse du patrimoine spirituel des grandes religions de l'Orient, on peut être tenté d'adopter une position pluraliste qui coïncide avec un théocentrisme. Je prends d'autres exemples de théologies aujourd'hui qui finalement veulent favoriser le dialogue interreligieux, mais en réinterprétant la signification du mystère de l'Incarnation, je pense à des théologiens comme Paul Knitter, un théologien américain catholique, directement visé dans le document de la Congrégation de la doctrine de la foi, je pense aussi à un théologien jésuite, le Père Roger Haight, qui a écrit un ouvrage qui s'intitule " Jesus, symbol of God ", livre que conteste le Père Dupuis, lui même jésuite, et qui est également visé en filigrane derrière le texte de la Congrégation de la doctrine de la foi ; c'est un théologien qui, à propos de l'inclusivisme, parlera de l'inclusivisme christologique normatif, mais non constitutif : Jésus est bien le symbole de la médiation parfaite entre Dieu et les hommes, il est la norme de la vérité religieuse sur Dieu, sur l'homme, sur le monde, mais il n'est pas la cause exclusive du salut puisqu'il faut faire sa place à d'autres médiations. Et le Père Haight souligne que Dieu seul sauve, vérité incontestable, et puisque historiquement, de fait, il y a d'autres médiations de salut en dehors de Jésus ; il répugne à considérer Jésus Christ comme la cause exclusive, et constitutive du salut de tous les hommes. Le Père Amaladoss est assez proche de cette position ; si vous lisez le compte rendu du colloque qui a eu lieu à l'Institut Catholique au début de l'année dernière sur les perspectives missionnaires aujourd'hui, colloque repris dans la revue Spiritus Spiritus, (n° 159, juin 2000)
vous verrez qu'à la suite de la conférence du Père Amaladoss, je me suis permis de faire quelques remarques critiques, rédigées ensuite ; le Père Amaladoss me répond à nouveau pour me dire que je reste prisonnier d'une christologie haute, comme dira aussi le Père Haight qui fait de Jésus Christ la cause exclusiviste et constitutive du salut. Pour quelqu'un qui vit en contact permanent avec des Hindous et qui a conscience des richesses du patrimoine spirituel hindou, cette affirmation de Jésus Christ comme cause exclusive du salut est quelque chose d'insupportable ; il faut accepter au fond que le Christ soit une voie de salut particulière. Finalement, puisque Dieu seul sauve, il peut se ménager d'autres voies de salut que le Christ. Ce n'est pas ce que nous disons quand nous disons que les religions peuvent être des voies dérivées de salut, mais elles sont des voies dérivées de salut en référence à l'unique médiation du Christ. La tentation de l'hindouisme, comme la tentation de Raymond Panikkar, c'est de dire qu'on peut à la limite reconnaître un Christ préexistant qui est comme le chiffre de l'homme, mais que ce Christ préexistant va prendre, va connaître divers avatars ; il y a cet avatar qui est Jésus de Nazareth, et il peut y avoir d'autres avatars, et ces autres avatars ce sera Bouddha, ce sera Mohamed, ce sera Krishna. On respecte le Christ comme sagesse, finalement on identifie le Christ comme sagesse de Dieu, sagesse de Dieu qui a une espèce de valeur universelle, alors cette sagesse de Dieu va s'incarner dans des personnages historiques qui seront des incarnations visibles, des icônes de ce Christ préexistant. Je pense que là effectivement on s'écarte de la foi apostolique.

Un théologien comme Haight voit mal comment on peut rendre compte d'une action salutaire du Christ dans toute l'histoire humaine avant l'avènement de Jésus comme Verbe incarné. Alors il dira Jésus comme Sauveur est normatif pour les chrétiens, mais c'est l'action de Dieu comme unique Sauveur qui est à l'œuvre dans les autres traditions religieuses. Et son essai, un gros livre de 400 pages, cherche à réinterpréter la foi traditionnelle de l'Eglise en fonction de ce qu'il appelle toujours, cela m'énerve un peu, notre âge postmoderne qui est sous le signe de la conscience historique et sous le signe de la fin de la métaphysique. Il confesse bien Jésus comme symbole de Dieu, Symbol of God ce n'est pas tout à fait le Christ Icône de Dieu de saint Paul ! Il traduit cela en anglais Manifestation and embodiment of God, soit la manifestation et la corporéité, plus exactement, mais il n'y a pas de mot en français, processus de corporéisation de Dieu. On doit noter que son refus de l'inclusivisme christologique est en lien étroit, comme pour le Père Amaladoss, avec son rejet d'une christologie haute qu'il caractérise comme une christologie ontologique et abstraite. Au lieu d'une christologie du Logos qui va insister surtout sur la consubstantialité de Jésus avec le Père, le fameux homoousios, il va développer une christologie d'en bas, ou encore ce qu'il appellera une Spirit Christology, c'est à dire une christologie pneumatique qui souligne avant tout la consubstantialité de Jésus avec tout homme. Comme vous le savez, on ne peut pas dissocier, c'est cela le mystère du Verbe incarné, la consubstantialité du Fils et du Père et en même temps bien sûr la consubstantialité du Christ avec tout homme, s'il est vraiment homme et vraiment Dieu.

Je ne peux pas ici ouvrir un débat sur la christologie du Nouveau Testament, et sur ses rapports avec les formulations ultérieures de la Tradition chrétienne, de la tradition dogmatique, celle des Conciles. Tout en sachant les limites insurmontables de la formulation de Chalcédoine, face à un mystère qui nous échappera toujours, je ne suis pas sûr qu'il soit opportun de placer une opposition insurmontable entre une christologie haute et une christologie d'en bas, si on veut prendre en compte la totalité des témoignages scripturaires, même s'il est vrai qu'aujourd'hui le mouvement le plus général des christologies contemporaines, c'est plutôt des christologies qui partent d'en bas, de l'humanité de Jésus, et qui ne partent pas d'en haut, c'est à dire du Verbe éternel de Dieu.

Sous prétexte que cette christologie haute serait une christologie ontologique, elle est nécessairement disqualifiée à un âge qui est considéré comme étant celui de la fin de l'ontologie. On pourrait contester d'ailleurs le concept de postmodernité auquel le Père Haight se réfère sans cesse ; on pourrait ici formuler à son endroit la réserve que Paul Ricœur exprimait déjà à propos de la modernité quand il dit : Je doute que l'on puisse donner un critère univoque de ce terme essentiellement " épocal ". La modernité elle même, on ne sait pas toujours très bien ce que c'est, c'est un concept qui implique une périodisation de l'histoire. Alors ce qu'on peut dire de la modernité, on peut le dire encore bien plus de la postmodernité.

En tout cas, s'il est vrai que le langage de l'incarnation est encore un langage métaphorique, et c'est vrai que le mot incarnation ne se trouve pas dans le Nouveau Testament, il est incontestable que le Nouveau Testament témoigne quand même sans ambiguïté de la filiation divine de Jésus. Et quoiqu'il en soit des débats sur les titres, Fils de l'homme, Fils de Dieu, l'Evangile nous atteste que la présence de Dieu en Jésus est une revendication de Jésus luimême ; ce dernier a conscience en effet que le Royaume eschatologique, que le Royaume de Dieu est advenu avec Lui et en Lui.

Avec Jacques Dupuis d'ailleurs, je crois donc possible de concilier ce que j'appellerai un inclusivisme christologique constitutif, pas simplement normatif, qui fasse en même temps droit à un pluralisme inclusif. Et cela ne nous conduit pas à ce que l'on peut appeler un christomonisme, ou à ce que j'appellerai un christianocentrisme, christianocentrisme qui est insupportable pour les membres des autres religions. C'est bien plutôt une invitation à dépasser une fausse opposition entre christocentrisme et théocentrisme. C'est toujours Dieu qui sauve, c'est vrai, et il faut maintenir la distance entre Jésus et Dieu, mais selon le dessein éternel de Dieu qui nous a été caché, mais qui nous a été révélé dans les derniers temps, c'est en tant qu'il est le Fils Bien Aimé du Père que Jésus est l'unique médiateur entre Dieu et les hommes. Et je rappelle le texte de la première lettre à Timothée (2, 4) : " Il n'y a qu'un seul Dieu, qu'un seul médiateur aussi entre Dieu et les hommes, un homme : Christ Jésus, qui s'est donné en rançon pour tous ". Cette médiation de Jésus n'est pas exclusive d'autres médiations, et certaines traditions religieuses peuvent être à leur manière porteuses d'une valeur salutaire, mais c'est toujours en lien avec l'événement Jésus Christ dans son mystère de mort et de résurrection. Et là je cite volontiers le numéro 5 de l'encyclique Redemptoris Missio : " Le concours de médiations de type et d'ordre divers n'est pas exclu, mais celles ci tirent leur sens et leur valeur uniquement de celle du Christ, et ne peuvent être considérées comme parallèles et complémentaires ".

Tout en acceptant sans compromis de faire de Jésus Christ la cause constitutive du salut pour tout homme, je cherche à prendre au sérieux la valeur intrinsèque des autres religions comme voies mystérieuses de salut. C'est ce que j'appelle un pluralisme inclusif. Il s'agit donc dans la perspective du dialogue interreligieux de réinterpréter l'unicité du Christ comme Verbe incarné et l'unicité du christianisme comme religion historique. Pour cela, Jacques Dupuis fait appel, comme clef herméneutique, à une christologie trinitaire, et selon lui l'action du Verbe et de l'Esprit est toujours à l'œuvre dans l'histoire et elle vient en quelque manière compenser la particularité historique de l'événement Jésus de Nazareth. Et c'est ce contraste entre la particularité et la généralité de l'action du Verbe et de l'Esprit qui lui a été reproché, je crois à juste titre, mais cela ne condamne pas tout le reste de son entreprise qui est très équilibrée. Personnellement, je préfère, quant à moi, tirer toutes les conséquences du paradoxe christologique.

C'est le paradoxe même de l'incarnation, c'est à dire la manifestation de l'absolu dans et par une particularité historique, qui nous invite à ne pas absolutiser le christianisme comme une voie da salut exclusive de toutes les autres. Et je reprends la formule de Nicolas de Cues, il s'agirait, et cela est le paradoxe christologique, de déployer toutes les implications du mystère du Christ considéré comme universel concret. Depuis les temps apostoliques, les chrétiens confessent Jésus comme Christ, c'est à dire comme Messie, cela veut dire que Jésus nous a révélé l'amour universel de Dieu non seulement par son message, mais dans et par son humanité concrète. Je pense que cette identification de Dieu comme réalité invisible, réalité transcendante, à partir de l'humanité concrète de Jésus de Nazareth, c'est cela le trait distinctif du christianisme. Je rappelle la formule très forte de Paul : " En Lui habite toute la plénitude de la divinité corporellement " (Col 2,9). Jésus peut être reconnu comme la figure de l'amour absolu de Dieu, c'est un trait toujours souligné par Hans Urs von Balthasar, " le Christ est la figure de l'amour absolu de Dieu " ; c'est pourquoi on peut, à partir de là, développer une esthétique théologique.

Mais Dieu ne peut se révéler bien entendu qu'en termes non divins, c'est à dire dans l'humanité contingente d'un homme particulier. Nous confessons que la plénitude de Dieu habite en Jésus, mais cette identification de Dieu en Jésus nous renvoie au mystère même de Dieu qui échappe à toute identification. Il faut maintenir une distance entre l'identification de Dieu en Jésus de Nazareth et puis l'identité ou l'identification de Dieu en lui même. Selon notre manière humaine de connaître, l'humanité particulière de Jésus ne peut être la traduction adéquate des richesses contenues dans la plénitude du mystère du Christ. Ou alors Jésus ne serait plus l'icône de Dieu, mais déjà une idole. Je crois que c'est une autre manière d'exprimer l'avertissement du concile de Chalcédoine : " Sans confusion, ni séparation ", sans séparation mais sans confusion. Et si je ne prends pas au sérieux la particularité historique de Jésus de Nazareth, je tombe déjà dans une vieille hérésie bien connue qui s'appelle le docétisme. Et je ne suis pas sûr que la manière dont le texte de la Congrégation de la doctrine de la foi parle de la révélation chrétienne dont Jésus est le témoin, ne tombe pas dans un certain docétisme à l'égard de Jésus comme prophète. Jésus comme prophète parle comme homme Dieu de son Père. Mais le Verbe fait chair ne peut s'exprimer qu'en termes humains, donc en termes limités, révélation définitive, complète, mais dans la limite d'un langage humain même quand ce révélateur est Jésus, le Fils de Dieu. Ou alors je ne distingue plus en Jésus ce qui est la part de l'homme et ce qui est la part de Dieu ! A Chalcédoine, le " sans confusion " , cela veut dire que je ne peux pas attribuer à Jésus comme homme des qualités qui ne lui appartiennent qu'en tant que Dieu, ou alors je ne prends pas au sérieux l'humanité de Jésus, et je tombe dans le docétisme.

Ainsi en conformité avec la vision traditionnelle des Pères de l'Eglise, il est permis de considérer l'économie du Verbe incarné comme le sacrement d'une économie plus vaste, celle du Verbe éternel qui peut coïncider avec l'histoire religieuse de l'humanité. Selon le titre d'un livre, suggestif en français, du Père Schillebeeckx (L'Histoire des hommes, récit de Dieu, Paris, Cerf, 1992) c'est " l'histoire des hommes qui raconte Dieu ". Jésus est pour nous, chrétiens, l'identification du Dieu personnel, " celui qui me voit, voit le Père " ; mais cette identification renvoie elle même à un Dieu transcendant qui dépasse toute identification. Donc Jésus n'est pas exclusif d'autres figures historiques, à la fois d'ordre religieux et d'ordre culturel, qui peuvent renvoyer aussi à la réalité dernière de l'univers. Le théologien Christian Duquoc écrivait : " Dieu n'absolutise pas une particularité, il signifie au contraire qu'aucune particularité historique n'est absolue, et qu'en vertu de cette relativité Dieu peut être rejoint dans notre histoire réelle ". Donc la tâche d'une théologie des religions n'est pas d'édulcorer le scandale de l'incarnation sons prétexte de mieux favoriser le dialogue, mais de manifester que c'est le paradoxe même de l'incarnation, à savoir la présence de l'absolu dans une particularité historique, qui nous invite à ne pas absolutiser le christianisme comme une religion exclusive de toutes les autres. Et là, je reprendrais volontiers le vocabulaire du philosophe et théologien Stanislas Breton qui dit : " Il faut éviter de parler de l'unicité du christianisme en termes d'unicité exclusive ou inclusive, et en parler comme d'une unicité relative ". Ou encore on parlera de la singularité du christianisme.

Accomplissement en Jésus Christ de toutes les valeurs positives des religions

Dans un premier temps, essayons d'expliciter le paradoxe de l'incarnation en nous référant à la problématique de Paul Tillich, dans sa Dogmatique, sur le Christ, qui est comme l'union de l'absolument universel et de l'absolument concret.

Puis, précisons que le christianisme porte en lui même ses principes de limitation parce qu'on ne peut pas parler du christianisme en dehors du mystère de la croix : nous soulignerons la dimension kénotique du christianisme.

Enfin, à propos du christianisme comme accomplissement de toutes les valeurs positives des religions dans le Christ, nous prendrons l'analogie du rapport entre l'Eglise naissante et Israël, de ce fait nous insisterons sur la dualité d'Israël et de l'Eglise comme paradigme du rapport du christianisme et des autres religions.

Le paradoxe de l'Incarnation

Le christianisme est dans une situation d'exception par rapport aux autres religions du monde puisque le christianisme se réfère à Jésus Christ qui est plus qu'un fondateur de religion, qui est pour nous, selon le foi apostolique, l'homme Dieu, le Verbe incarné.

Mais précisément, si l'on veut faire en sorte que le dialogue soit possible entre le christianisme et les autres religions, malgré sa situation d'exception, il faut approfondir ce mystère de l'incarnation et montrer comment d'une certaine façon, dans la logique même du mystère de l'incarnation, nous sommes appelés à désabsolutiser le christianisme comme religion. Là, je me réfère à Paul Tillich, théologien protestant allemand qui a vécu très longtemps aux Etats Unis d'Amérique où il a écrit sa " Systématique " en anglais, mais qui, avant d'aller aux Etats Unis, avait déjà écrit une " Dogmatique ", en allemand, en 1925. Je me réfère surtout à cette Dogmatique pour essayer d'exprimer le paradoxe du Christ comme étant celui qui concilie en lui, qui fait l'unité de l'absolument universel et de l'absolu concret ou de l'absolument particulier.

Le paradoxe du mystère du Christ consiste dans le non absolu et le oui absolu que Dieu prononce sur la même personne humaine, Jésus de Nazareth. Cette loi se vérifie dans le christianisme, car, dans le moment où l'Eglise dépend de la foi en l'absolu, elle doit accepter le non qui est prononcé sur elle par cet inconditionné que nous appelons Dieu. La loi du paradoxe absolu se vérifie dans le mystère même du Christ inséparablement homme et Dieu. Je m'explique : la personne de Jésus comme manifestation historique du Logos invisible et universel de Dieu réalise l'identité entre l'absolument universel et l'absolument concret.

Et toute la christologie de Tillich est une christologie qui insiste sur " le Christ comme être nouveau " ; il formule la thèse suivante : " l'être apparu en Jésus Christ en même temps fait partie de l'histoire et porte l'histoire, il entre dans l'histoire et il est suprahistorique ". Ici on essaie de rendre compte de cette universalité de l'action du Christ même sur cette très longue histoire religieuse de l'humanité qui est avant la venue du Christ, parce que, si le Christ est pleinement historique, il est en même temps supra historique, puisqu'il est le Fils de Dieu. Le paradoxe consiste en ce que le Christ, comme être pleinement historique, est dans une union indéfectible avec Dieu alors que l'histoire, pour Tillich, est sous le signe de la chute, sous le signe de la contrariété de l'essence et de l'existence, et de la séparation d'avec Dieu. Disons que le Christ comme événement historique coïncide avec l'irruption de la révélation finale de la part de Dieu, et donc le Christ remporte la victoire sur l'ambiguïté de l'histoire, l'ambiguïté de tout ce qui est historique.

Je ne peux pas restituer le contexte de cette christologie , une christologie qui réfléchit sur l'histoire générale et qui dit que cette histoire est sous le signe de la chute, sous le signe de ce qu'il appelle une distinction entre l'essence et l'existence. Or le Christ comme événement historique coïncide avec l'irruption de la révélation finale sur Dieu et remporte donc la victoire sur l'ambiguïté de tout ce qui est historique. L'intérêt de cette vision audacieuse est de montrer que loin d'être contraire à sa portée universelle, la particularité historique de l'événement Jésus Christ en est la condition de possibilité : non seulement le Christ donne sens à l'histoire, mais il porte l'histoire, il est au centre de l'histoire comme événement de salut. Cette christologie ne spécule pas comme dans la ligne de Chalcédoine sur l'union des deux natures dans la personne du Christ. Tillich prend ses distances par rapport au vocabulaire de l'incarnation parce qu'il estime que le vocabulaire de l'incarnation n'appartient pas au langage du Nouveau Testament, mais jamais il n'accepterait de dire, comme certains théologiens même catholiques aujourd'hui, que parler de la filiation divine de Jésus n'est qu'une manière métaphorique de parler ; on dira Jésus est la manifestation privilégiée de Dieu, mais il n'est pas vraiment le Fils de Dieu !

Donc le Christ est celui qui réalise l'unité de l'absolument universel et de l'absolument concret. C'est une voie pour rendre compte du paradoxe de l'incarnation, cette union de l'universel et du particulier, et une voie qui évite une formulation typique depuis Chalcédoine qui consiste toujours à affirmer l'identité de la personne, mais identité de la personne qu'il faut concilier avec la dualité des natures, nature divine et nature humaine. Cela va bien du point de vue statique, cela est beaucoup plus difficile dans l'ordre opérationnel pour savoir quelles sont les actions qui relèvent de Jésus comme homme, et celles qui relèvent de Jésus comme Dieu. Je disais que nous sommes toujours exposés à la vieille tentation du docétisme, c'est à dire d'attribuer à Jésus comme homme des actions et des opérations qui ne sont légitimes que si on parle de Jésus comme Dieu ; même quand Jésus est pour nous le révélateur suprême, la révélation de Dieu comme Verbe, il n'empêche que c'est comme homme qu'il nous communique un certain nombre de vérités sur son Père, sur Dieu, sur le rapport de l'homme à Dieu, et que ce langage là est un langage humain et le contenu de cette révélation est lui même, je dirais, un contenu inadéquat, ou un contenu partiel, par rapport à la totalité du mystère. Cela ne veut pas dire, c'est ce que reproche le texte de Dominus Jesus, qu'il doit y avoir d'autres révélations qui vont compléter cette révélation ! Cette révélation est bien définitive, elle est bien complète, mais elle est quand même traduite, exprimée dans les mots du Christ en tant qu'homme particulier de premier siècle de notre ère, avec tout ce que peut être son enracinement dans la tradition à la fois linguistique et culturelle du sémitisme ; mais aussi, à partir du moment où les paroles de Jésus ont été réinterprétées par la première communauté chrétienne, on fait appel aussi à tout le véhicule culturel que constituent la pensée et le langage hellénistiques.

La dimension kénotique du christianisme : une théologie de la croix

Deuxième moment : quand on a affirmé cette unité de l'absolument universel et de l'absolument concret en Jésus Christ, cela ne prend sa signification ultime qu'à la lumière d'une théologie de la Croix. Cela est très important dans le dialogue interreligieux si l'on veut éviter un impérialisme chrétien. Le christianisme annonce le mystère de Dieu sous le signe de la kénose, de l'abaissement de Dieu ; le fait que le Christ ait renoncé à son égalité avec Dieu. La mort est la condition de la vie, la croix est la condition de la gloire ; si on traduit cela par rapport à la problématique universel particulier, on pourrait dire que la croix signifie le renoncement à une particularité comme condition d'une universalité concrète. Et c'est la différence entre l'universalité qui serait une universalité abstraite, et une universalité qui est un universel concret, le Christ comme universel concret. On connaît cette formule paradoxale de Paul Tillich, qu'il faut bien comprendre, quand il dit : " Le Christ est Jésus et la négation de Jésus ". Qu'est ce qu'il veut dire par là ? Selon sa conception de l'événement Jésus Christ comme irruption de l'absolu et de l'inconditionnel dans l'histoire, il faut bien comprendre que le Christ n'est le Christ que dans la mesure où il a sacrifié son existence historique comme existence de celui qui est simplement Jésus de Nazareth. Et Paul Tillich écrit : " Un christianisme qui n'affirme pas que Jésus de Nazareth s'est sacrifié à Jésus en tant que Christ n'est rien de plus qu'une religion parmi d'autres ". Disons, si vous voulez, que le Christ ressuscité libère la personne de Jésus de Nazareth d'un particularisme qui l'aurait fait la propriété d'un groupe particulier, celui de la première communauté de ses disciples, alors qu'il faut montrer comment le Christ coexiste avec toute l'histoire de l'humanité, mais en tant que Christ ressuscité.

Vous savez que, depuis très longtemps, on a toujours vu dans la figure spatiale de la croix, deux barres qui se coupent, une signification universelle. En quel sens ? Elle est le symbole d'une universalité qui est toujours liée au sacrifice d'une particularité. Jésus meurt à sa particularité historique pour renaître en figure d'universalité concrète, en figure de Christ. Analogiquement, ce que l'on dit du Christ, on pourrait le dire aussi de l'Eglise ; l'Eglise ne conquiert son universalité concrète, c'est tout le problème de l'inculturation du christianisme dans d'autres cultures que sa culture de naissance que par le sacrifice de la particularité historique qui a été la sienne de part sa naissance et de par le mouvement d'inculturation qui a pu durer des siècles. Si l'Eglise peut être universelle, si l'Evangile peut devenir le bien de tout homme, c'est dans la mesure où l'Eglise accepte de passer par une certaine mort de sa particularité historique première, et de sa particularité historique du point de vue de son incarnation privilégiée dans cette culture dominante qu'a été l'Occident. C'est toujours en référence au mystère de la kénose du Christ, " qui n'a pas gardé jalousement son égalité avec Dieu ", qu'il est permis de dire que le christianisme porte en lui même ses propres indices de limitation, loin d'être une religion impérialiste. On peut alors exorciser tout venin totalitaire de la part de la religion chrétienne et mesurer la portée exacte de sa prétention à l'universel.

Pour reprendre une intuition souvent présente dans la pensée du Jésuite, disparu depuis près de dix ans, Michel de Certeau, on serait tenté de dire que le christianisme n'est fidèle à sa singularité propre que pour autant qu'il fait la preuve que, loin d'être une religion impérialiste et englobante, il se définit par un certain manque, par le rapport à ce qu'il n'est pas . C'est la kénose du Christ dans son égalité avec Dieu qui permet la résurrection au sens le plus large du mot, en paraphrase du fameux passage de la lettre aux Philippiens (2,6-8). On pourrait aussi dire que c'est le tombeau vide, l'absence du Christ, l'absence du corps du fondateur qui est la condition de l'avènement de ce corps qu'est l'Eglise, la communauté des croyants, et c'est aussi la condition de possibilité de ce corps qu'est le corps des Ecritures canoniques. Donc absence du corps du fondateur comme condition d'avènement du corps de l'Eglise et du corps des Ecritures. Cela revient à dire, et c'est une intuition très profonde au point de vue spirituel, que le christianisme est fondé sur une absence originaire. De même il n'y a pas d'expérience spirituelle profonde sans conscience d'une origine toujours absente ; il n'y a pas d'expérience spirituelle sans conscience d'une origine absente ; mais une origine absente, ce n'est pas rien, c'est la condition de possibilité d'une certain nombre d'activités ; ce que nous disons de l'expérience spirituelle, on pourrait le dire aussi de la pratique chrétienne, il n'y a pas de pratique chrétienne sans conscience d'un certain manque, et cette conscience d'un manque est la condition d'un rapport à l'autre, à l'étranger, au différent. Si le christianisme se définit simplement comme une totalité close, une totalité englobante, comment peut il dialoguer ? Comment peut il avoir une ouverture, une relation à une altérité, à autre chose que lui, à ce qui est différent ? Ce n'est pas une attitude simplement morale de tolérance, c'est constitutif du christianisme comme religion sous le signe de la kénose, c'est à dire sous le signe de l'abaissement de Dieu. L'action chrétienne comme telle ne fait pas nombre avec l'action humaine tout court ; mais l'action chrétienne a toujours référence à d'autres pratiques que la pratique chrétienne prise en elle même.

Le christianisme n'est pas sans son rapport à autre chose que lui même. Il n'est pas sans rapport au différent, il n'est pas sans rapport à l'autre, l'autre bien sûr l'altérité de Dieu, mais l'autre bien sûr l'altérité d'autrui. A propos de cette expression allemande " nicht ohne ", qu'on peut traduite par " pas sans ", on peut proposer ce commentaire : plutôt qu'une avancée d'être, c'est une avancée d'absence ; ce qui fait être l'action est ce qui lui manque. Nous disposons là d'une clé herméneutique fort précieuse pour comprendre comment le christianisme peut s'engager dans le dialogue interreligieux sans compromettre son identité propre. Il ne s'agit pas de compenser comme de l'extérieur la prétention du christianisme à témoigner de la révélation finale, mais de manifester comment il détient en lui même ses propres principes de limitation, et alors on peut donner un sens à l'expression d'unicité relative à propos du christianisme ; le christianisme n'aurait pas une unicité d'excellence ou d'intégration, mais une unicité relative à condition de comprendre relatif non pas comme le contraire de l'absolu, mais de comprendre relatif au sens de relationnel. La pratique du dialogue interreligieux nous invite de plus en plus à définir la singularité chrétienne en termes de relation à une altérité, à ce qui est différent, et je dirais même à ce qui est irréductiblement différent. Là est la difficulté ; c'est pourquoi je récuse la simple dialectique de l'implicite et de l'explicite, car cette dialectique ne respecte pas assez l'irréductibilité du différent. L'expérience chrétienne est d'abord l'expérience de cette origine toujours manquante qui est l'altérité même de Dieu, et dans la vie mystique, la vie spirituelle on sait ce qu'il en ait, mais c'est aussi l'expérience de l'altérité de celui qui devient mon prochain. L'identité chrétienne est de l'ordre du devenir et du consentement à l'autre dans sa différence, c'est pourquoi je disais qu'il s'agit d'une existence pascale qui, à l'encontre de tout impérialisme dans l'ordre du savoir et de la pratique, doit témoigner de ce qui lui manque. Et dans l'ordre du savoir, la foi la plus inconditionnelle porte en elle même son principe d'autolimitation dans la mesure où la foi elle même, la foi chrétienne, n'est pas compréhensive de la totalité du mystère de Dieu. Nous ne sommes pas des propriétaires du mystère de Dieu. Et dans l'ordre de la pratique, nous savons bien que la pratique chrétienne ne fait pas nombre avec les pratiques humaines tout court, elle est plutôt de l'ordre du déplacement, ou de l'ordre d'une rupture instauratrice à l'égard d'un humain qui a déjà toute sa consistance en lui même. Etre chrétien, c'est d'abord être humain, mais instaurer quelque chose de neuf qui métamorphose cet humain. En d'autres termes, l'expérience chrétienne ne se substitue pas aux autres expériences humaines authentiques, mais elle leur confère un sens inédit. Vous voyez les conséquences de tout cela lorsqu'on réfléchit aux exigences de l'inculturation du christianisme dans des cultures qui lui sont étrangères. Finalement, on pourrait dire que l'identité chrétienne, la question du spécifique chrétien, est peut être une mauvaise question l'identité chrétienne ne se définit pas en termes de perfection déjà acquise, mais en termes de devenir, en termes de transit, de consentement à l'autre et de service. On ne peut assurer le dialogue interreligieux, avec cette religion d'exception qu'est le christianisme, que si on insiste sur la dimension kénotique du christianisme.

Dualité " Israël - Eglise " comme paradigme du rapport du christianisme et des autres religions

Le christianisme n'est pas un accomplissement totalitaire de ce qui se trouve disséminé comme valeur positive dans les autres religions. Pour justifier cette affirmation, je réfléchis sur la dualité d'Israël et de l'Eglise.

C'est vrai que le Christ est celui qui accomplit tout ce qui se prépare soit dans l'économie de l'Ancien Testament, soit dans ces histoires que sont les grandes traditions religieuses. Cela n'est pas faux, mais nous devons interpréter la notion d'accomplissement dans un sens non totalitaire si nous voulons prendre au sérieux les autres religions dans leurs différences et ne pas se contenter de faire de leurs valeurs positives des valeurs déjà implicitement chrétiennes. Pour cela, on doit réfléchir sur la dualité originaire de l'Eglise et d'Israël qui est inscrite dans l'acte de naissance du christianisme.

Vous savez que, depuis la concile Vatican II, la théologie catholique accepte de dire que, en dépit de la réprobation divine, Israël demeure le dépositaire des promesses divines. Dieu n'a pas révoqué ses promesses faites à Israël. Et Israël représente donc un irréductible, irréductible en tant qu'il est le peuple choisi par Dieu, c'est le don de la grâce dans tout ce que cela a d'unique ! Le choix de Dieu sur Israël a quelque chose d'analogique avec le choix de l'incarnation du Verbe de Dieu en Jésus de Nazareth. On peut même dire que le choix d'Israël parmi tous les peuples de la terre est comme une préfiguration de ce choix de l'homme Jésus de Nazareth comme l'incarnation du Verbe.

Donc Israël représente un irréductible qui ne se laisse pas intégrer dans l'Eglise durant son pèlerinage terrestre jusqu'à la consommation de l'histoire. A l'encontre d'un certain absolutisme catholique, on peut dire, à la suite d'ailleurs de Hans Urs von Balthasar, on peut aller jusqu'à parler de la non catholicité de l'Eglise dans sa dimension historique. Il faut affirmer à la fois, et c'est la grande difficulté vous savez que la théologie chrétienne sur le judaïsme est encore balbutiante depuis Vatican II il faut affirmer à la fois et sans contradiction que les promesses faites au peuple de Dieu trouvent leur accomplissement dans le peuple de la Nouvelle Alliance, et que cependant l'Eglise ne se substitue pas à Israël comme la théologie ancienne l'a toujours enseigné. De même on peut faire une analogie au point de vue de la dualité Israël et l'Eglise avec la dualité Ancien et Nouveau Testament. La nouveauté de l'Evangile est une rupture instauratrice de quelque chose d'inédit, de neuf, mais qui n'abolit pas la part d'irréductible de la Loi et des prophètes. La meilleure preuve, c'est que l'Ancien Testament est Parole de Dieu pour nous chrétiens, et l'Ancien Testament, la Thora, est Parole de Dieu, lieu de sanctification pour les juifs du judaïsme postchrétien, les juifs qui ne reconnaissent pas dans le Christ la figure du Messie.

Nous sommes donc invités à penser l'irréductible des grandes traditions religieuses de l'humanité par analogie avec l'irréductible d'Israël. Le rapport original de l'Eglise naissante à l'égard du judaïsme est exemplaire du rapport actuel de l'Evangile aux autres religions et aux autres cultures. De même que l'Eglise naissante n'intégrait pas et ne remplaçait pas les richesses propres du peuple d'Israël, de même aujourd'hui le christianisme comme religion historique ne peut avoir la prétention d'intégrer et de remplacer les richesses authentiques des autres traditions religieuses. C'est pourquoi il me semble théologiquement légitime, quelle que soit l'imperfection du vocabulaire, de parler d'un pluralisme religieux de principe qui relèverait du dessein mystérieux de Dieu comme Dieu créateur et comme Dieu sauveur. En dépit de leurs limites, en dépit de leurs erreurs, on doit dire que les valeurs authentiques des religions du monde sont récapitulées dans le Christ, à condition de ne pas comprendre ces valeurs propres des autres religions comme des degrés inférieurs et transitoires qui disparaissent complètement quand elles trouvent leur accomplissement dans la religion chrétienne. En fait, je pense que, de même qu'Israël n'est pas intégrable dans l'Eglise jusqu'à la fin de l'histoire, je pense que les valeurs des autres religions dans leur différence même ne sont pas intégrables visiblement dans le christianisme comme religion, alors même qu'elles seront récapitulées, mais de manière pour nous inconnaissable, dans le Christ. Car chaque figure religieuse dans la très longue histoire religieuse de l'humanité recèle quelque chose d'irréductible, et cette irréductible a pu être suscité par l'Esprit même de Dieu qui souffle où il veut. Il y a donc des vérités d'ordre religieux qui trouveront leur accomplissement dernier dans le mystère du Christ, mais qui ne seront jamais thématisées, intégrées dans le christianisme historique. Je regrette que, quand le texte Dominus Jesus parle des religions en général, il ne soit pas fait mention explicite de la place tout à fait particulière du judaïsme parmi les religions du monde ; il est un peu dommage que, quand on parle, pour reprendre une expression malheureuse de Pie XII, de l'indigence des autres religions par rapport au christianisme, on puisse parler sans plus de l'indigence du judaïsme par rapport au christianisme.

V Devoir de mission de l'Eglise

Après la réflexion sur le salut en Jésus-Christ et le salut dans les religions non chrétiennes, à partir d'un approfondissement du mystère du Christ, le paradoxe de l'incarnation, à partir d'une dimension kénotique du christianisme et à partir de l'exemplarité du rapport entre Israël et l'Eglise, je ne peux terminer ce rapide survol sur la théologie des religions sans poser la question de la permanence, du devoir, ou même de l'urgence de la mission de l'Eglise. C'est toujours l'objection qui est faite dès qu'on porte un jugement positif sur les religions du monde : qu'en est il de la mission de l'Eglise ?

Une des raisons de la publication du document romain Dominus Jesus vient de ce qu'un certain trouble est parfois jeté dans la conscience de certains missionnaires quand on leur dit que les hommes et les femmes peuvent faire leur salut dans les religions dans lesquelles ils sont nés : à quoi bon alors dépenser tant d'énergie pour les convertir à Jésus Christ et essayer de les faire entrer dans l'Eglise. Et c'est vrai que, dans un premier temps, cela est vécu parfois dans le grand public avec un certain enthousiasme pour le dialogue interreligieux, d'où une vision beaucoup plus optimiste sur les grandes religions du monde qui se traduit par une sorte de mésestime de la vocation missionnaire. Pourquoi dépenser tant d'énergie pour assurer le salut éternel des autres s'ils peuvent faire leur salut dans leur propre religion ? C'était beaucoup plus facile quand on s'en tenait au slogan : " Hors de l'Eglise, point de salut ", slogan entendu de manière rigoriste ; c'était plus facile aussi quand on disait que si les hommes font leur salut, c'est en dépit de leur appartenance à telle ou telle religion païenne. A partir du moment où ils peuvent parvenir à ce que nous appelons le salut dans et à travers leur religion, que devient, que signifie le devoir missionnaire ? Que fait on du cri de Paul " Malheur à moi si je n'évangélise pas " ?

Ce sont des questions très sérieuses, et, depuis Vatican II, le magistère récent s'est efforcé d'y répondre ; le grand texte qui a essayé de répondre à ce genre d'objections, c'est l'encyclique du pape Redemptoris Missio qui date de 1991. Dans cette encyclique, la pape reprend l'enseignement de Vatican II, maintient le jugement positif de l'Eglise sur les religions non chrétiennes, mais en même temps, cette encyclique est un appel à l'urgence de la mission, la mission qu'il appelle toujours Ad Gentes, la mission à l'égard des païens, et il constate qu'à la fin du XXème siècle, au début du XXIème, beaucoup de peuples sont encore dans la méconnaissance du message évangélique. On ne peut pas dissocier cette encyclique Redemptoris Missio de 1991 du texte du Conseil pontifical pour les relations avec les religions non chrétiennes Dialogue et Annonce qui complète sur certains points, corrige peut être même parfois l'encyclique Redemptoris Missio.

Evolution de la théologie de la mission : passage des missions à la mission

Quand on essaie d'évaluer l'évolution de la théologie de la mission, on pourrait dire ce qui caractérise un nouvel âge de la mission dans l'Eglise, on pourrait dire, pour faire bref, que c'est un passage des missions à la mission, par comparaison à un âge qui est celui des missions lointaines et qui avait largement coïncidé d'ailleurs avec l'expansion coloniale de l'Occident, depuis pratiquement la conquête de l'Amérique latine au XVIème siècle jusqu'au XIXème siècle. La vocation missionnaire de l'Eglise aujourd'hui serait moins polarisée sur la conversion de l'autre, incroyant ou non chrétien, que sur les témoignages rendus au Royaume de Dieu qui se cesse d'advenir dans l'histoire et dans le cœur des hommes et des femmes bien au delà des frontières de l'Eglise.

L'interprétation de Redemptoris Missio est délicate : certains ont jugé, estimé que ce texte apparaissait, au moins au niveau du vocabulaire, en retrait par rapport à la grande encyclique de Paul VI Evangelii Nuntiandi de 1975 qui avait carrément opté pour le vocabulaire de l'évangélisation plutôt que le vocabulaire de la mission. Dans ce texte, Jean Paul II veut revaloriser le vocabulaire de la mission, c'est à dire qu'il maintient bien entendu l'idée que c'est toute l'Eglise qui est missionnaire, que la mission ne concerne pas seulement des Eglises minoritaires au milieu de peuples païens, mais il veut maintenir cependant le charisme de la mission au sens traditionnel, c'est à dire de la mission qui essaye de toucher ceux qui sont les plus loin ; mais il est bien évident que la mission aujourd'hui vaut autant pour les pays qui sont d'ancienne chrétienté dans la mesure où ces pays d'ancienne chrétienté sont souvent devenus des nations post chrétiennes, et que la mission a totalement son sens. Le missionnaire, ce n'est pas simplement celui qui part au loin, mais c'est celui qui essaie d'atteindre les hommes qui, même sur place, peuvent être complètement étrangers à l'Eglise, qu'ils soient incroyants, ou qu'ils soient séduits par les nouvelles religiosités ou carrément par les grandes traditions religieuses qui maintiennent leur emprise et manifestent même une nouvelle vitalité. On a même pu dire que la carte missionnaire du monde s'était en quelque manière modifiée parce que la mission était un mouvement qui allait du premier monde vers ce qu'on appelle le second monde ou surtout le tiers monde, c'est à dire allait de l'hémisphère nord vers l'hémisphère sud et actuellement on constate que parfois c'est presque l'inverse, qu'il y a un mouvement missionnaire qui vient du sud, qui vient de l'Asie et qui atteint l'Occident, à la fois l'Europe et l'Amérique du Nord. Et c'est vrai que de grandes religions comme l'hindouisme, comme le bouddhisme qui étaient des religions surtout locales, nationales, sont devenues elles mêmes de véritables religions missionnaires et qui prétendent beaucoup plus à l'universel que dans le passé. Là on peut voir une sorte d'émulation entre le christianisme comme grande religion universelle et ces grandes religions qui actuellement cherchent à compter de nouveaux membres, de nouveaux adeptes dans les pays qui étaient autrefois de chrétienté.

On a pu donc interpréter cette encyclique comme en retrait, mais en fait je pense que cette encyclique ne remet pas en cause une nouvelle intelligence du pourquoi de la mission, et cela à la lumière du défi positif des religions non chrétiennes. Quand je dis une nouvelle intelligence du pourquoi de la mission, cela veut dire que le pourquoi de la mission ce n'est pas simplement annoncer Jésus Christ et essayer d'inviter les non chrétiens à entrer dans l'Eglise parce que l'Eglise est le seul moyen de salut ; mais le pourquoi de la mission c'est essentiellement le témoignage rendu à l'amour de Dieu, le témoignage rendu au Royaume de Dieu qui s'instaure parmi les hommes, sans que l'on mette un lien nécessaire, une condition absolue entre l'appartenance à l'Eglise, et très précisément à l'Eglise qui a la plénitude des moyens de salut, c'est à dire à l'Eglise catholique, et puis le salut.

Nature et pourquoi de la mission

C'est à partir de son fondement trinitaire et christologique qu'il faut comprendre la nature et le pourquoi de la mission. L'Eglise est missionnaire par nature, et il est même insuffisant de rattacher la vocation missionnaire de l'Eglise à l'ordre de mission de Jésus : " Allez, enseignez toutes les nations " (Mt 28,18). Selon la formule de la Constitution dogmatique de Vatican II, l'Eglise est essentiellement le sacrement du salut pour les nations. La mission confiée à l'Eglise n'est pas une tâche parmi d'autres, elle est sa raison d'être.
Dans le passé, on parlait souvent de la fin ou du but de la mission comme si celle ci, la mission, était un pur moyen au service de cette fin surnaturelle qu'est le salut éternel des âmes. Une telle vision était indissociable d'une conception très surnaturaliste, très individualiste du salut. C'est pourquoi on disait souvent à une époque, que la tâche proprement missionnaire de l'Eglise est une tâche spirituelle qui a un lien avec cette fin surnaturelle, le salut des âmes ; et s'il arrive que l'Eglise dans des pays de mission assume des tâches profanes, on dira qu'il s'agit de tâches provisoires, de tâches de suppléance par rapport à un Etat encore en développement, un Etat encore fragile. Mais ces tâches profanes n'entrent pas directement dans la mission de l'Eglise. Autrement dit, on en restait à une dichotomie entre ce qu'on appelle le spirituel et le temporel ; on a même quelquefois argumenté en disant que la mission proprement dite, la mission spirituelle, était la tâche des prêtres, et les fonctions profanes que l'Eglise pouvait assumer étaient la tâche réservée aux laïcs.

On a dépassé cette dichotomie. Ce n'est pas l'Eglise qui définit la mission, c'est plutôt la mission qui détermine le visage de l'Eglise afin qu'elle soit le signe eschatologique du Royaume de Dieu. Alors on ne peut pas se crisper sur une distinction entre l'humain tout court et puis le surnaturel. On va considérer l'Eglise comme un peuple en marche tendu vers le Royaume à venir et nous savons que l'Eglise ne se définit pas par rapport à elle même, elle ne se définit pas par rapport à sa permanence et par rapport à son accroissement quantitatif, elle se définit par rapport au Royaume. De même que, d'une certaine façon, Jésus dans sa prédication, sa prédication première, sa prédication qui s'adresse aux fils d'Israël, sa prédication ne se définit pas par rapport à lui même, mais par rapport au Royaume. Disons que Jésus se décentre par rapport au Royaume de Dieu qu'il inaugure.

Ainsi on peut dire que l'Eglise n'a pas seulement pour but le salut comme libération du péché, comme réconciliation avec Dieu, comme victoire remportée sur la mort, la mort éternelle, mais l'Eglise a pour but, a pour fonction, a pour tâche tout ce qui contribue à anticiper le Royaume de Dieu parmi les hommes. C'est pourquoi il est très difficile de distinguer dans l'abstrait des tâches qui seraient spécifiquement missionnaires parce que conformes à la vocation surnaturelle de l'Eglise, et puis des tâches secondaires, ou des tâches de suppléance qui tiendraient à des conjectures locales ou contingentes.

Concrètement après tout ce que nous avons dit sur le dialogue interreligieux, sur la valeur positive des religions non chrétiennes, je pense, du moins c'est comme cela que je décrirais un certain déplacement de l'intelligence que nous avons de la mission de l'Eglise, je pense que la mission n'est plus polarisée sur la conversion à tout prix, comme si le salut de l'autre dépendait exclusivement de son changement de religion, comme si l'appartenance à l'Eglise était la condition sine qua non de son salut éternel. C'est vrai que c'est, dans ces termes là, que l'on a souvent défini, déterminé l'urgence de la mission et l'urgence du baptême. Et Dieu sait si, parfois, on n'a pas toujours respecté les temps nécessaires ou la doctrine fondamentale selon laquelle le baptême est le sacrement de la foi ; s'il s'agit du baptême des petits enfants, il faut au moins que la foi des parents ou la foi de l'Eglise supplée à cette absence de foi ; mais vous savez que dans certaines périodes, encore au XIXème siècle, les enfants abandonnés, les enfants confiés à des hospices tenus par des sœurs, ont été baptisés comme petits enfants quoiqu'il en soit de l'avis de leurs parents et quel que soit leur propre avenir au point de vue de la foi, parce qu'on avait une espèce de conception quasi magique du sacrement comme le seul moyen pour ces enfants de faire leur salut éternel surtout s'ils risquaient de mourir en bas âge. Je ne veux pas revenir là dessus, mais on a aussi dans l'histoire des missions des cas de personnes en fin de vie qui ont été baptisés quelle que soit leur culture religieuse, quel que soit le minimum de foi comme si le baptême était un viatique automatique par rapport au salut éternel. Nous avons une meilleure intelligence de ce qu'est le sacrement du baptême comme sacrement de la foi, et le baptême ne vous lave pas comme cela automatiquement du péché originel en tant que rite valide, sacramentel, s'il ne s'accompagne pas de la réponse croyante du sujet ; et si cette réponse croyante n'est pas possible parce qu'il s'agit de quelqu'un qui n'est pas encore adulte, il faut qu'il y ait au moins le consentement des parents, il faut qu'il y ait au moins l'espoir d'une prise en charge par une communauté chrétienne de ceux qui ont été baptisés dans l'inconscience.

Donc la mission garde tout son sens même si elle n'est pas polarisée sur la conversion à tout prix comme changement ; elle garde tout son sens comme manifestation de l'amour de Dieu. A la limite, je dirais que, si on a vraiment l'esprit missionnaire, ce n'est pas parce qu'on est obsédé par le salut éternel de ceux qu'on aime, c'est parce qu'on veut leur faire partager ce que soi même on a découvert. Et si on estime que le Dieu de Jésus Christ est un Dieu libérateur dans une vie humaine, je dirais que ce serait un manque à gagner, que ce serait tout de même dommage qu'un certain nombre d'êtres humains soient dans l'ignorance des valeurs du christianisme, soient dans l'ignorance du Dieu de Jésus déjà pour cette terre ici bas quoiqu'il en soit de leur salut éternel. Témoignage rendu à l'amour et volonté de partager avec d'autres ce qu'on a vécu soi même comme libération dans la découverte du Dieu de Jésus Christ.

La mission : " Incarnation de l'Evangile dans le temps "

Pour reprendre une formule qu'aimait bien employer le Père Chenu, on peut parler de la mission comme incarnation de l'Evangile dans le temps. A ce moment là, on voit que c'est une mission qui peut prendre des formes diverses. La mission n'est pas un pur moyen par rapport à une fin qui serait le salut éternel, parce que l'Eglise aurait le monopole de ce salut éternel. A partir du moment où je sais que Dieu n'est pas lié par les moyens disposés dans l'Eglise, même dans l'Eglise catholique, je ne peux faire de l'appartenance à l'Eglise, et à l'Eglise catholique, la condition sine qua non du salut éternel. Donc la mission ne peut pas avoir comme premier but la conversion de l'autre à tout prix. Cependant le fait de savoir que Dieu n'est pas lié par les moyens de salut de l'Eglise ne diminue en rien l'urgence de la mission. Si la mission c'est la nature même de l'Eglise, si la mission consiste à témoigner de l'amour de Dieu, de témoigner des effets libérateurs de cet amour de Dieu dans une vie, si le but de la mission c'est de témoigner du Royaume de Dieu qui advient, nous avons à témoigner par la Parole, par notre vie, par tous les gestes posés au nom de l'Evangile, nous avons à témoigner de ce Royaume de Dieu qui advient, quelle que soit la réception, quelle que soit l'attitude des hommes, quelle que soit leur conversion.

A une époque où l'Eglise est souvent minoritaire en de nombreux pays, en dehors des pays d'Europe et d'Amérique du Nord, dans des pays qui sont sous l'emprise de religion majoritaire comme l'islam, comme l'hindouisme, même si l'Eglise est là, présente, souvent de manière fort modeste, la mission ne peut pas toujours utiliser les formes d'une prédication publique, d'un témoignage public rendu à Jésus Christ. Dans des pays musulmans, c'est pratiquement impossible : au Pakistan, c'est pratiquement impossible, en Algérie, c'est difficile. Ces Eglises là, peut on dire d'elles qu'elles ne sont plus des Eglises missionnaires ? Est ce qu'une Eglise, comme celle d'Algérie extrêmement modeste, réduite à presque rien au point de vue de son corps sacerdotal, au point de vue de sa pratique sacramentelle, au point de vue de sa visibilité dans des églises, est ce que cette Eglise n'est pas une Eglise missionnaire ?

Bien sûr parfois, et c'est l'attitude de beaucoup de musulmans, les musulmans pensent que les tâches que l'on appelle caritatives, les tâches humanitaires, les tâches pour le développement, tâches qui sont assumées par des laïcs, mais assumées aussi par des religieux, par des religieuses, par des prêtres même, lesquels pratiquement ont très peu de ministère sacramentel à assumer, ils n'ont qu'une minorité chrétienne, est ce qu'on va dire qu'ils ne remplissent pas la mission d'Eglise ? Non. Même si effectivement parfois certains musulmans s'imaginent que cette générosité dans des tâches profanes n'est pas sans calcul, comme si c'était une stratégie pour rendre plus séduisant le christianisme et espérer ainsi que les musulmans eux mêmes vont embrasser le christianisme, vont rentrer dans l'Eglise. Or nous avons la certitude que la prière, c'était d'ailleurs la mystique du Père de Foucauld, la présence de communautés contemplatives, la pratique des béatitudes au quotidien, la proximité aux plus défavorisés, la défense de la dignité des personnes, des droites de l'homme, de la vie, et le dialogue lui même avec les membres de la religion dominante assurent pleinement la mission de l'Eglise autant que la prédication explicite rendue à Jésus Christ. Qu'y a t il de plus missionnaire que la passion, le sacrifice, la mort des moines de Tibhirine ? L'un d'eux disait : nous ne pouvons exister comme hommes qu'en acceptant de nous faire image de l'amour tel qu'il s'est manifesté dans le Christ qui lui, le Juste, a voulu subir le sort de l'injuste. Mgr Claverie, évêque d'Oran, n'a pas fait de prosélytisme, il n'a pas prêché explicitement Jésus Christ sur les places publiques ; mais au nom de l'Evangile, il a posé un certain nombre d'actes, et cela lui a coûté la vie. Il a refusé de faire le silence, il a pris la liberté de dénoncer une violence insupportable, surtout quand cette violence était une prétendue violence au nom de Dieu, au nom des droits de Dieu. Il écrivait : " L'Eglise accomplit sa vocation, sa mission quand elle est présente aux ruptures qui crucifient l'humanité dans sa chair et dans son unité ". Cela est la mission de l'Eglise : être présent aux ruptures qui crucifient l'humanité dans sa chair et dans son unité.

L'Eglise sacrement du Royaume

L'Eglise accomplit pleinement sa mission, quand, dans la fidélité à l'Evangile, elle travaille, avec d'autres d'ailleurs, avec des hommes et des femmes de bonne volonté, à la construction du Royaume de Dieu dans le sens de la justice, de la paix, de la réconciliation, de la fraternité entre tous les hommes. L'Eglise est alors le sacrement du Royaume. L'Eglise visible ne prétend pas s'identifier purement et simplement avec le Royaume, mais elle est le sacrement, et qui dit sacrement veut dire qu'elle est un signe par rapport à une réalité plus vaste qu'elle même. C'est cela le sens d'un sacrement comme signe efficace. A partir du moment où nous comprenons la mission de l'Eglise comme témoignage rendu à l'avènement du Royaume de Dieu, nous n'identifions pas l'Eglise et le Royaume de Dieu comme le rappelle le texte Dominus Jesus, mais nous travaillons en quelque manière à ce que le Royaume de Dieu soit anticipé bien au delà des frontières de l'Eglise. On peut anticiper le Royaume de Dieu du point de vue de la Parole de Dieu, du point de vue de la pratique sacramentelle, du point de vue de tout ce qui constitue les moyens de salut de l'Eglise, mais on peut anticiper aussi le Royaume de Dieu chaque fois que les gestes qui sont posés en faveur des hommes sont des gestes en conformité avec l'Evangile. C'est cela que l'on peut appeler les valeurs du Royaume, que j'appelais des valeurs christiques même si ce ne sont pas toujours des valeurs implicitement chrétiennes.

A partir de tout ce que nous avons dit précédemment, il me semble que nous pouvons dire qu'un certain nombre d'hommes et de femmes qui appartiennent à des religions non chrétiennes et aussi des hommes et des femmes qui ne se réclament d'aucune tradition religieuse, sont déjà sans le savoir membres du Royaume de Dieu ; il sont membres du Royaume de Dieu si dans leur vie ils honorent les valeurs du Royaume, alors qu'ils n'appartiennent pas visiblement à l'Eglise comme institution. On ne peut donc pas identifier l'Eglise avec le Royaume à venir ; mais ce ne sont pas seulement les membres de l'Eglise qui sont membres du Royaume, il y a des membres du Royaume qui n'appartiennent pas à l'Eglise à condition qu'ils honorent les valeurs du Royaume. Je sais bien qu'il y a beaucoup d'ambiguïté dans ce vocabulaire ; déjà dans Redemptoris Missio, à nouveau dans Dominus Jesus on nous met en garde contre une inflation du vocabulaire centré sur le Royaume de Dieu et qui ne maintient pas suffisamment le lien avec Jésus Christ et avec l'Eglise, comme si le fait d'être engagé dans des tâches humanitaires était une sorte de sacrement automatique de la venue du Royaume de Dieu. Je vous rappelle ce passage, le numéro 19 dans Dominus Jesus : " En considérant les rapports entre le Royaume de Dieu, le Royaume du Christ et de l'Eglise, il est de toute manière nécessaire d'éviter les formulations unilatérales comme ces conceptions qui mettent délibérément l'accent sur le Royaume et se définissent comme régnocentriques. Elles mettent en avant l'image d'une Eglise qui ne pense pas à elle même, mais se préoccupe seulement de témoigner du Royaume et de le servir. C'est une Eglise pour les autres, dit on, comme le Christ est l'homme pour les autres. A côté d'aspects positifs, ces conceptions comportent souvent des aspects négatifs. D'abord elles gardent le silence sur le Christ : le Royaume dont elles parlent se fonde sur un théocentrisme parce que, dit on, le Christ ne peut pas être compris par ceux qui n'ont pas la foi chrétienne, alors que les peuples, les cultures et les diverses religions peuvent se rencontrer autour de l'unique réalité divine quel que soit son nom. Pour le même motif, ces conceptions privilégient le mystère de la création qui se reflète dans la diversité des cultures et des convictions, mais elles se taisent sur le mystère de la Rédemption. En outre, le Royaume, tel qu'elles l'entendent, finit par marginaliser ou sousestimer l'Eglise par réaction à un ecclésiocentrisme supposé du passé et parce qu'elles ne considèrent l'Eglise elle même que comme un signe, d'ailleurs non dépourvu d'ambiguïté. Ces thèses sont contraires à la foi catholique parce qu'elles nient l'unicité de rapport du Christ et de l'Eglise avec le Royaume de Dieu ". Quand on dit unicité du rapport du Christ et de l'Eglise, cela veut dire entre parenthèses du Christ et de l'Eglise catholique.

C'est vrai qu'il y a parfois, c'est le reproche que l'on a fait aussi aux théologiens de la libération, une manière de taire trop le mystère du Christ, de taire trop le salut dans toutes ses dimensions, c'est à dire le salut comme don de la vie divine, et comme don de la vie éternelle, pour privilégier tout ce qui peut être au service d'une libération des aliénations dont beaucoup d'hommes sont les victimes ici bas. Mais je crois pouvoir dire que la plupart des laïcs, des religieux, des religieuses, des prêtres qui sont engagés, c'est le cas en Amérique latine, c'est le cas en Algérie, c'est le cas en Asie, dans des tâches au service d'une certaine humanisation de l'homme, au service d'un certain développement, au service d'une certaine guérison par rapport à des aliénations parfaitement intolérables, et qu'ils font cela au nom de l'Evangile, et quelquefois au prix de leur vie, on ne peut tout de même pas les appeler des " régnocentristes " qui taisent le mystère du Christ ; ils sont eux mêmes des incarnations vivantes de ce qu'a pu être le combat de Jésus pour les plus défavorisés, pour les plus pauvres au nom du Dieu dont il se réclamait, et cela lui a coûté également la vie. Ce que l'on appelle le mystère de la Rédemption, mystère de la Rédemption opéré par la croix du Christ, ce n'est pas simplement d'une certaine façon la croix du Christ en tant que souffrance qui est le motif quasi magique de la rédemption, c'est le fait que le Christ s'est fait solidaire. En Jésus Christ, Dieu s'est fait solidaire des hommes les plus pauvres et les plus souffrants. C'est cela le mystère de la rédemption. A partir du moment où même sans en faire étalage, faire mention de ma foi personnelle comme foi en Jésus Christ je me fais solidaire de la condition de ceux qui sont victimes, je pense que je réalise pleinement ma vocation chrétienne. De ce point de vue là, le régnocentrisme est peut être un danger pour ceux qui transformeraient le christianisme en idéologie qui ne serait plus qu'une idéologie humanitaire, ou une idéologie même révolutionnaire ; on a pu reprocher cela à certains représentants de la théologie de la libération, mais je crois que souvent c'est une accusation qui est injuste, dans la mesure où il s'agit de prêtres, de religieux, de religieuses qui sont engagés au nom de l'Evangile et qui travaillent pour les valeurs du Royaume de Dieu, qui travaillent pour cette incarnation de l'Evangile dans le temps, pour cette incarnation du Royaume de Dieu dans l'histoire.

Dialogue interreligieux : un dialogue de salut

Les non-chrétiens qui travaillent dans le sens du Royaume de Dieu, on peut dire qu'ils font déjà partis mystérieusement du Royaume. C'est à ce moment là qu'on peut reprendre l'expression qui remonte à Paul VI, on peut parler du dialogue interreligieux comme étant un dialogue de salut. Dans ce cas, le dialogue n'est pas simplement un préalable à la mission proprement dite comme annonce, mais il est déjà à sa manière une partie intégrante de la mission. Cela ressort de l'encyclique Redemptoris Missio, numéro 55 : " Le dialogue interreligieux fait partie de la mission évangélisatrice de l'Eglise, il ne s'oppose pas à la mission ad gentes, au contraire il lui est spécialement lié et il en est une expression ". Et le document " Dialogue et annonce " du Conseil Pontifical pour les relations avec les non-chrétiens, au numéro 13, dit : " Dans la conscience de l'Eglise, la mission apparaît comme unitaire, mais complexe et articulée " ; et l'on énumère la présence, le témoignage, l'engagement au service des hommes, la vie liturgique, le dialogue, l'annonce, la catéchèse. Tout cela rentre dans la mission de l'Eglise. La présence, présence silencieuse, présence par la prière, le témoignage, le témoignage ne veut pas dire simplement le témoignage par la parole, mais le témoignage par la vie, l'engagement au service des hommes, la vie liturgique, le dialogue, l'annonce, la catéchèse. Donc le dialogue est une partie intégrante de la mission ; il n'est pas un simple préalable, même s'il est vrai que normalement et c'est le désir de chacun, le dialogue doit aller jusqu'à un témoignage explicite rendu à l'Evangile par sa vie et par sa parole, mais doit aussi aller à un témoignage explicite rendu à Jésus Christ comme étant celui qui a inauguré le Royaume de Dieu. Il faut tenir les deux : le dialogue est déjà un dialogue de salut il est déjà un élément intrinsèque de la mission, mais c'est vrai que le dialogue n'est pas une fin en soi, le dialogue doit normalement conduire à une explicitation des raisons de mon comportement évangélique et que je sois capable de rendre compte du dynamisme qui m'anime. Donc je rends compte de l'Evangile, de l'esprit de l'Evangile, et je rends compte de celui qui m'a transmis l'Evangile, à savoir Jésus Christ, et je rends compte aussi de celui qui a inauguré le Royaume de Dieu. Si j'honore les valeurs du Royaume, je dois pouvoir un jour dire que celui qui a inauguré ces valeurs du Royaume, c'est Jésus Christ.

Loin d'être un pis aller ou une sorte de respect humain le dialogue est un dialogue de salut quand chacun est fidèle à lui même et s'efforce de célébrer une vérité qui déborde non seulement les limites, mais aussi peut être les incompatibilités de chaque tradition religieuse. Quand nous dialoguons avec des musulmans, avec des hindous, avec des bouddhistes, avec des juifs, il peut s'agir mystérieusement d'une partenariat entre les membres du même royaume à venir où chacun donne et reçoit. Et mon interlocuteur comme non chrétien peut être éventuellement écouté comme quelqu'un qui peut être dans le fond de son cœur a déjà répondu à l'appel de Dieu, et qui appartient déjà mystérieusement au Royaume de Dieu.

Je ne suis pas celui qui est dans la situation de tout posséder et qui apporte quelque chose à quelqu'un qui n'a rien, mais je suis aussi dans la situation de celui qui doit être à l'écoute et être prêt à recevoir de la part de l'étranger, de la part du non chrétien dans la mesure où cet étranger, ce non-chrétien peut lui même avoir été sollicité par l'esprit même de Dieu.

Si l'Eglise aujourd'hui propose et encourage le dialogue interreligieux, c'est que souvent nous ne pouvons découvrir notre propre identité chrétienne qu'en faisant le détour par la vérité de l'autre dans sa différence. Et ainsi loin de nous conduire au relativisme et au scepticisme, le dialogue interreligieux peut nous faire redécouvrir avec des yeux neufs notre singularité chrétienne, notre propre identité. Et cela se vérifie dans le dialogue loyal entre deux interlocuteurs qui ont chacun un engagement absolu par rapport aux convictions, par rapport aux vérités auxquelles ils adhérent. J'ai déjà dit combien le slogan " La vérité est une, l'erreur est multiple " est une formule intellectuellement insuffisante qui ne va pas au fond des choses. Certes la vérité est une, mais les approches de cette vérité sont multiples. On peut se réclamer de vérités qui sont encore des vérités partielles, et viser une plénitude de vérités. Je cite encore ici Pierre Claverie dans son dialogue avec les algériens : " On ne possède pas la vérité et j'ai besoin de la vérité des autres. C'est l'expérience que je fais aujourd'hui avec des milliers d'algériens dans le partage d'une existence et des questions que nous nous posons tous ".

Sans tomber dans le relativisme, je crois qu'on peut continuer de témoigner de la vérité qui nous fait vivre tout en faisant preuve de respect et d'estime à l'égard de la vérité qui fait vivre les membres d'une tradition religieuse différente. C'est là où si on parle de dialogue de salut, on veut dire que ce dialogue peut être une exigence de conversion réciproque ; pas une exigence nécessairement de conversion au changement au sens d'un changement de religion, mais d'une conversion mentale et d'une conversion morale des deux interlocuteurs.

C'est dans le dialogue ouvert, franc, loyal avec l'autre, à condition bien sûr que l'autre se définisse par une certaine identité religieuse différente de la mienne, que je m'aperçois que je ne vérifie pas, ni intellectuellement, ni existenciellement les vérités dont je me réclame. C'est dans le dialogue avec l'autre que je fais cette découverte et cela peut se faire justement à l'occasion des grandes situations de la vie que ce soit l'amour, la naissance, la mort. Le Père Chenu disait : " Heureux sommes nous si nous honorons au moins 10 % du Credo auquel nous adhérons ". Adhérer au sens où je suis capable de rendre raison ; comme dit saint Pierre, " rendre raison de mon espérance ", c'est à dire rendre raison au moins intellectuellement, pour moi même. Et c'est quand on est mis au pied du mur dans le dialogue avec l'autre que là il faut rendre raison des grandes affirmations du Credo. Mais aussi être capable de dire que ces vérités là, que nous honorons intellectuellement, sont des vérités que nous expérimentons dans la vie, dans toutes les situations de la vie.

Dans le dialogue avec les musulmans, il y a des incompatibilités évidentes entre la confession de foi chrétienne et la confession de foi musulmane. Et bien même dans ce dialogue, chaque partenaire est invité à la célébration d'une vérité plus haute, plus profonde, plus compréhensible qui dépasse le caractère partiel de chaque vérité particulière. Nous sommes dans une situation historique où il peut y avoir une émulation réciproque entre chrétiens et musulmans même après des siècles de polémiques, de conflits fratricides ; nous nous réclamons du même Dieu, peut être y a t il une interpellation réciproque en ce sens que grâce aux chrétiens peut être les musulmans peuvent découvrir la singularité du Dieu de Jésus, découvrir ce que peut être la paternité de Dieu, mais inversement un certain nombre de chrétiens peuvent aussi découvrir la grandeur du Dieu Créateur et le sens de l'adoration quand ils essayent de comprendre les musulmans comme eux mêmes se comprennent au point de vue de leur attitude religieuse. Actuellement dans tout ce qui concerne le domaine que certains appellent le domaine d'une justice écologique, c'est à dire pas seulement le respect des droits des personnes, mais le respect des droits de la terre, je pense que l'Islam a quelque chose à nous apprendre dans la mesure où l'Islam a un sens extrêmement développé de la grandeur de la création et du côté sacrilège de l'action humaine par rapport à cette création. Cela va même quelquefois beaucoup trop loin comme respect des fatalités de la nature, comme respect de la création, ce qui explique aussi quelquefois une certaine résignation musulmane beaucoup plus facile qu'à l'intérieur du christianisme vis à vis des calamités ou des catastrophes naturelles. Si Dieu l'a permis, c'est la volonté de Dieu, et cela ne rend pas la création mauvaise pour autant, ce qui fait que parfois ils tombent dans une certaine incurie, une certaine imprévision, et ne font pas tout ce qu'il faudrait faire pour prévenir les catastrophes naturelles. Savoir ce qu'est le prix d'une vie humaine par rapport au respect de la nature, comme si la nature était intouchable parce que créée par Dieu. Mais par rapport à ce qui se passe aujourd'hui dans le domaine de la science et de la technologie, en particulier dans le domaine de la biologie, dans l'instrumentalisation des embryons humains, je pense que l'Islam en tant que religion qui se réclame d'un Dieu Créateur et du respect absolu de cette création par Dieu, l'Islam peut avoir quelque chose à nous apprendre.

Un des premiers effets du témoignage rendu à la vérité, c'est donc une certaine conversion du témoin lui même. Ce témoin, cet agent, ce missionnaire, cet évangélisateur n'est pas dans la situation de celui qui apporte tout à celui qui n'a rien. A l'intérieur du dessein de Dieu, nous sommes tous des enfants de Dieu, et peut être sommes nous tous sous l'influence cachée des semences du Verbe et des visitations de l'Esprit de Dieu. Je cite simplement ce texte que l'on trouve dans le document Dialogue et annonce : " Il est évident que dans les situations où pour des raisons politiques ou autres l'annonce est pratiquement impossible, l'Eglise accomplit déjà sa mission évangélisatrice, non seulement par sa présence et son témoignage, mais aussi par ses activités telles que l'engagement pour le développement humain intégral et le dialogue lui même. D'autre part, dans les situations où les gens sont disposés à entendre le message de l'Evangile et ont la possibilité d'y répondre, l'Eglise évidemment à le devoir d'aller à la rencontre de leurs attentes. Le dialogue n'est donc pas le dernier mot, le dialogue peut conduire à un témoignage rendu explicite, mais, quand ce témoignage explicite est difficile, il faut savoir que le dialogue est déjà une forme de la mission, et que, si ce dialogue ne conduit pas à la conversion de l'autre comme changement de religion, ce dialogue conduit au moins à une conversion réciproque des deux interlocuteurs.

On sait de mieux en mieux maintenant quelle est la différence entre le témoignage et le prosélytisme. Tout ce que nous disons sur la mission, on doit le dire à la lumière de la déclaration de Vatican II sur la liberté religieuse : le fait qu'aucune conscience ne peut être contrainte dans sa manière d'embrasser la vérité même si cette vérité est la vérité du salut. Aujourd'hui, pour la première fois, l'Eglise catholique procède à une certaine repentance à l'égard du passé ; l'Eglise doit exercer une certaine repentance par rapport à des époques missionnaires qui ont coïncidé avec la conquête coloniale, où, d'une certaine façon, sous prétexte que la fin était la salut éternel, cette fin justifiait tous les moyens y compris la contrainte des consciences. Cela c'est la prosélytisme. C'est un petit peu l'idéologie de la vérité obligatoire où la vérité est toujours privilégiée par rapport au droit de la conscience individuelle.

Ce que nous a appris Vatican II, et cela est une grande nouveauté car beaucoup de religions n'en sont pas encore là, c'est que la vérité prise abstraitement n'a pas de droit par rapport au droit de la conscience individuelle ; et si cette conscience individuelle ne considère pas cette vérité comme son bien, si cette conscience individuelle veut être sans religion ou veut quitter sa religion pour en choisir une autre, alors les droits de la conscience doivent l'emporter sur les droits de la vérité en soi, même si cette vérité est une vérité révélée, et même si cette vérité est une vérité salutaire. L'Eglise a mis beaucoup de siècles pour découvrir cette chose élémentaire qui est déjà dans l'Evangile : qu'est ce que c'est que la foi dans l'Evangile si la foi n'est pas un choix libre, un choix volontaire ? L'islam n'en est pas encore là. Si vous êtes musulman, vous ne pouvez pas sans sanction, parfois jusqu'à la peine de mort, quitter, abjurer votre religion pour en choisir une autre. C'est là un non respect, une certaine incompréhension de la différence entre les droits de la vérité et les droits de la conscience individuelle. Or bien sûr il faut tout faire pour que la conscience ne soit pas une conscience erronée, il faut tout faire pour que la conscience choisisse la vérité, surtout s'il s'agit de la vérité révélée comme son bien ; il n'empêche que l'instance dernière reste la conscience individuelle, en espérant bien sûr que cette conscience soit une conscience éduquée, formée. La liberté religieuse, cela n'a de sens que si elle me donne la liberté de choix de ma religion, que si elle me donne la liberté aussi de quitter ma religion si je considère en conscience que c'est une vérité à laquelle je ne peux plus adhérer.

Les temps de la mission

Il y a des temps dans la mission, il faut respecter ces temps.

Dans un premier temps, on peut rendre témoignage aux valeurs du Royaume, et cela est à la disposition de tout le monde. Quand je dis " rendre témoignage aux valeurs du Royaume ", c'est au fond pratiquer non seulement l'esprit, mais la lettre des béatitudes. On n'a pas besoin de dire qu'on le fait parce qu'on est chrétien.

Dans un second temps, on peut progressivement manifester que ce Royaume a été inauguré par Jésus Christ, que Jésus a inauguré le programme des béatitudes, qu'il a inauguré le Royaume, que le Royaume de Dieu, celui que cherche toutes les religions et c'est cela la fin de toutes les religions, le Royaume de Dieu, c'est à dire une certaine libération, un certain salut au delà de la finitude de l'histoire ; bien, c'est le Christ qui a inauguré ce Royaume.

Dans un troisième temps, on peut faire découvrir que, normalement, c'est l'Eglise qui est le lieu où l'on essaie de vivre selon les lois, selon les principes du Royaume. L'Eglise, parce qu'elle a la plénitude des moyens de salut, comme nous répète le document romain, l'Eglise est effectivement depuis les temps apostoliques celle qui est restée fidèle à l'institution de l'Eglise par le Christ, celle qui a maintenu la succession apostolique, celle qui a maintenu la célébration valide du sacrement de l'eucharistie, celle qui a maintenu la primauté de l'évêque de Rome comme étant essentielle pour l'unité de l'Eglise. J'aurais envie de dire que tout cela est très bien, à condition que l'on ne parle pas simplement matériellement de l'Eglise toujours comme celle qui a toujours les moyens de salut, en oubliant de dire que l'Eglise est l'Eglise du Christ si elle est le miroir de l'Evangile.

La vocation mondiale de l'Evangile

Nous revenons un peu à ce qui vous préoccupe davantage, car vous n'êtes pas des missionnaires, et vous avez à essayer de vivre au point de vue de votre expérience spirituelle, vivre à la fois les richesses du christianisme, et peut être aussi les richesses d'autres traditions spirituelles ; le défi pour la prédication de l'Eglise, surtout au début du troisième millénaire, ce n'est pas seulement la permanence et la vitalité des grandes religions du monde, c'est aussi l'existence de très vieilles cultures comme la culture asiatique, la culture africaine, les cultures amérindiennes qui demeurent encore trop étrangères à la culture dominante du christianisme depuis vingt ans. Alors même que nous avons une conscience plus vive de la particularité culturelle du christianisme, nous sommes de plus en plus convaincus de la vocation catholique, mais au sens d'universel, la vocation catholique c'est à dire mondiale de l'Evangile.

L'Evangile doit pouvoir devenir le bien de tout homme, de toute femme. Durant des siècles le message chrétien a été pensé, explicité, reformulé sous le signe de la tension entre ces deux villes emblématiques que sont Jérusalem et Athènes. Or de plus en plus, et nous en sommes déjà les témoins, l'Eglise s'efforce de prendre en compte un tercium quid, à savoir l'autre non occidental. Troisième parce qu'il n'est ni juif, ni grec ; de même que l'Evangile en vertu de sa vocation universelle a surmonté la dualité du juif et du grec, il doit pouvoir dépasser la dualité de l'occidental et du non occidental. Pour la première fois, à l'âge de la mondialisation, l'inculturation de l'Eglise au nom de l'universalité de l'Evangile pourrait ne pas coïncider avec l'emprise d'une culture dominante. Et c'est vrai que l'âge de la mondialisation est aussi l'âge de la relativisation de l'Occident comme culture dominante, ce que l'on appelle parfois l'eurocentrisme.

Je vous ai dit que Jésus de Nazareth est mort à sa particularité pour renaître par la Résurrection en figure d'universalité concrète. Analogiquement, il est permis de penser que l'Eglise ne peut réaliser son universalité, conformément au dynamisme de l'Esprit, qu'en relativisant les figures historiques privilégiées qu'elle a revêtues au cours des siècles. Mais en vertu du lien indissociable entre culture et religion, il faut savoir qu'il sera de plus en plus difficile de réaliser l'inculturation du message chrétien dans d'autres civilisations que celles de l'Occident sans évoquer la rencontre avec une grande tradition religieuse. Le christianisme ne rencontre pas une grande culture en dehors d'une grande tradition religieuse, et cela est surtout vrai dans le sud est asiatique. Ainsi il serait trop simpliste d'imaginer que le travail d'évangélisation consiste à assumer les valeurs positives d'une culture en laissant tomber les éléments religieux de cette culture. Ce serait d'ailleurs contraire au jugement positif que nous portons sur les religions du monde. Alors la nouveauté de l'Evangile peut être en rupture avec les éléments d'une tradition religieuse ; il y a des éléments en toute religion qui ne favorisent pas l'obéissance à Dieu. Mais comme je l'ai dit plusieurs fois, cette tradition religieuse, pour la part positive qu'elle représente, peut être porteuse d'un irréductible dans l'ordre religieux, un irréductible qui ne sera pas nécessairement aboli, mais qui peut être baptisé et métamorphosé par l'Esprit du Christ.

Il est donc très difficile, dans la mission aujourd'hui, d'établir une distinction rigoureuse entre les éléments culturels qui pourraient être assumés et des éléments dits religieux qu'il faudrait rejeter. Toute la question est donc de savoir si c'est l'Evangile lui même qui est refusé par les représentants de ces traditions religieuses, ou si c'est le faux scandale d'un véhicule culturel, la forme historique et culturelle qu'a pris la christianisme depuis vingt siècles, si c'est ce faux scandale d'un véhicule culturel complètement étranger aux hommes et aux femmes d'une autre tradition qui font que l'Evangile n'est pas accepté. Autrement dit bien sûr que l'Evangile peut être rejeté au nom, pour faire court, de ce que l'on peut appeler la condition pécheresse de l'homme, parce que l'Evangile contredit trop la hiérarchie spontanée des valeurs de l'homme comme homme pécheur ; mais l'Evangile peut être aussi rejeté parce qu'il est étranger aux aspirations les plus légitimes du cœur humain, parce que le véhicule culturel de cet évangile est trop étranger.

L'Eglise ne peut être fidèle à l'universalité de l'Evangile qu'en opérant un discernement entre les éléments fondamentaux de son message, et puis des éléments plus contingents qui relèvent de la culture privilégiée à laquelle il s'est trouvé associé. Pendant vingt siècles, on peut dire en gros que c'est la culture qui correspond sinon à la culture occidentale, du moins à ce que j'appellerai la culture méditerranéenne, même si cette culture méditerranéenne a pu donner lieu à divers christianismes historiques, pas simplement le christianisme oriental, mais le christianisme latin, le christianisme slave, le christianisme anglosaxon, irlandais, mais tout cela est culturellement homogène par rapport à l'ensemble des civilisations. Le fait que, durant vingt siècles, la figure privilégiée du christianisme a été occidentale ne préjuge pas de l'avènement d'autres figures du christianisme au cours du troisième millénaire.

Il est banal d'affirmer qu'il est possible de concilier une double appartenance chrétienne et nationale, ou chrétienne et culturelle. Heureusement on peut être à la fois pleinement chrétien et pleinement chinois. D'accord, mais cela est une double appartenance banale.

Ce qui est moins banal, c'est ce qui correspondrait à une double appartenance religieuse. La question reste posée de savoir s'il est possible d'imaginer une double appartenance religieuse au sens d'une réelle identité chrétienne, mais qui assumerait non seulement les valeurs culturelles qui sont actuellement étrangères au christianisme, mais qui assumerai aussi les valeurs religieuses, les valeurs positives d'une grande tradition religieuse. Bien sûr, il serait contradictoire de dire qu'on peut être à la fois chrétien et hindou, si quand on dit cela on met sur un plan de parité, un plan d'égalité, l'orientation fondamentale d'une vie ; il faut choisir être chrétien ou être hindou. Mais tout en étant chrétien, si je viens de l'hindouisme, est ce que je vais être totalement aliéné par rapport aux valeurs religieuses de la religion dont je viens ? Est ce que je vais pouvoir d'une certaine façon continuer à les honorer à condition qu'elles aient été baptisées par l'Esprit du Christ ? Et en sens inverse, dans quelle mesure, tout en gardant mon identité chrétienne, surtout dans l'ordre spirituel, je vais pouvoir, sans trahir mon identité chrétienne, m'enrichir des valeurs positives, des nuances nouvelles de telles ou telles expériences spirituelles qui sont le privilège , le propre de telle ou telle grande tradition religieuse ? La double appartenance, c'est un vocabulaire qui peut être suspect parce qu'on peut toujours se demander si on ne tombe pas dans le mauvais syncrétisme ou dans la conciliation contradictoire de deux identités, une sorte de schizophrénie. Le Père Le Saux a vécu jusqu'à la schizophrénie la volonté de rester intégralement chrétien et en même temps d'être intégralement fidèle aux intuitions spirituelles de l'hindouisme.

De plus en plus, l'Eglise doit tendre non pas simplement à une évangélisation des individus, des personnes, mais elle doit tendre à une évangélisation des cultures et des sociétés. L'Eglise n'a pas la prétention de proposer un modèle de société alternatif qui rende la terre plus habitable et la communauté humaine plus respirable, plus conviviale. Mais l'Evangile peut exercer un rôle de contreculture à l'égard d'une certaine déshumanisation de l'homme ; l'Evangile peut exercer ce rôle de contre culture, pas simplement par rapport aux sociétés modernes sécularisées, mais aussi par rapport aux sociétés sous le signe des grandes religions traditionnelles qui quelquefois ne favorisent pas l'humanisation de l'homme. L'Evangile peut aussi avoir un rôle d'avertisseur face aux injustices criantes de sociétés qui sont simplement sous le signe du profit, des intérêts, et qui sacrifient le social à l'économique. L'Evangile témoigne comme d'autres religions d'une espérance au delà des limites de cette histoire, mais comme d'autres religions, et plus que d'autres religions, il a une responsabilité historique pour la figure de ce monde. Concrètement, cela veut dire que si l'Eglise prétend être universelle, elle ne peut justifier sa prétention universelle ou universaliste que si elle épouse les causes universelles de l'homme tout court, de l'humanité contemporaine. Et les causes universelles de l'humanité contemporaine, c'est le combat pour la justice, c'est la défense et la promotion des droits de l'homme, c'est la sauvegarde de la création, c'est le respect de la vie, c'est le souci prioritaire des plus défavorisés. L'Eglise n'est pas seulement le sacrement du Royaume à venir ; dès ici bas, elle est le sacrement, c'est à dire à la fois le signe et le moyen de l'unité de tout le genre humain (Lumen Gentium, n° 1)

Je vous disais en commençant que, par rapport à la mondialisation et aux chances de la mondialisation, l'Eglise pourrait être le paradigme de ce qu'est une humanité qui évite à la fois l'homogénéité ou le conformisme d'une globalité de plus en plus uniformisante, et puis un éclatement proprement babélique. Il s'agit de favoriser un type d'unité qui fasse sa place à la pluralité des cultures, à la pluralité des modèles anthropologiques, et bien sûr aussi à la pluralité des formes religieuses. En cela l'Eglise est vraiment l'Eglise de la Pentecôte, et l'Eglise de la Pentecôte est celle qui raconte les merveilles de Dieu dans la diversité des cultures, dans la diversité des langues ; à ce moment là, l'Eglise, l'Eglise du Christ, bien sûr l'Eglise catholique, mais aussi les Eglises chrétiennes qui sont encore séparées de l'Eglise de Rome, peuvent être un modèle pour l'humanité à venir. "

Bonne réception, bonne lecture, bon après-midi.

Scrutator.


La discussion

 L'abbé Aulagnier, seul parmi les siens, dénonce  [...], de Scribe [2011-02-25 20:11:07]
      Si je puis me permettre..., de XA [2011-02-25 20:21:29]
          Si je puis me permettre aussi..., de Ennemond [2011-02-25 20:34:09]
              Well..., de Etienne [2011-02-25 21:52:27]
              ironie et présomption: "seul parmi les siens [...], de Beauceron [2011-02-26 09:01:11]
                  Bon !, de Miserere [2011-02-26 10:31:18]
                      Eh bien !, de Lux [2011-02-26 14:36:11]
                          Pour pas grand chose !, de Miserere [2011-02-26 14:49:22]
                              Il me semble que..., de Lux [2011-02-26 15:14:14]
                              Une question classique, mais une question tout de  [...], de XA [2011-02-26 15:48:31]
                                  Si vous le désirez !, de Miserere [2011-02-26 16:38:49]
                                  Réponse indirecte !, de sylvquin [2011-02-26 16:47:00]
                  Si la FSSP et cie assumait ses positions, de Arvernis [2011-02-26 11:06:01]
                      Pourquoi répondre..., de Athanasios D. [2011-02-26 12:10:58]
                          NSJC n'a pas répondu à l'insulte, de Arvernis [2011-02-26 14:20:54]
                              Vous avez déjà ouvert un Evangile ?, de Athanasios D. [2011-02-26 21:35:57]
                                  Plus que vous visiblement, de Arvernis [2011-02-26 22:02:06]
                                      Vous devez confondre..., de Athanasios D. [2011-02-26 22:20:38]
                      Mon pauvre Monsieur, de XA [2011-02-26 15:37:43]
                          Le cri du coeur ?, de Ennemond [2011-02-26 15:50:23]
                              Oui..., de XA [2011-02-26 15:51:47]
                                  oui et ?, de Scribe [2011-02-26 16:38:25]
                                      Pourquoi, cher Scribe....., de Beauceron [2011-02-26 17:10:52]
                                          Je viens de déposer mes chiens au chenil, de Scribe [2011-02-26 17:58:12]
                                      Perdu, pour le coup !, de Patapouf [2011-02-26 17:25:24]
                                          Cher Patapouf, de Scribe [2011-02-26 17:57:05]
                                              Vous sous-entendez dans ce message, de XA [2011-02-26 21:00:46]
                                      Que dire ?, de XA [2011-02-26 18:13:03]
                                          Merci, de Scribe [2011-02-26 18:54:47]
                                              Trop facile., de XA [2011-02-26 20:33:34]
                                                  Je suis simple, de Scribe [2011-02-26 20:44:15]
                          Vous ne répondez pas, de Arvernis [2011-02-26 22:15:14]
                      Avernis, vous avez, indirectement, un début de r [...], de Meneau [2011-02-26 18:15:46]
                          Et encore, de Meneau [2011-02-26 18:17:09]
                              Précision, de Meneau [2011-02-26 18:21:00]
                                  Entièrement d'accord, de Arvernis [2011-02-26 22:21:09]
          Mais pourquoi, de Vassilissa [2011-02-25 20:39:28]
          Au jour d'aujourd'hui, de Scribe [2011-02-25 21:24:36]
              Scandaleux !, de Beauceron [2011-02-25 21:41:42]
                  J'attends vos contre-exemples, de Scribe [2011-02-25 21:43:51]
                  Ecoutez..., de Le souricier [2011-02-25 22:01:52]
                      L'Apothéose de l'Antichrist, de postit [2011-02-25 22:58:53]
                      Quant à diplomatie...Mgr Fellay aussi.., de Beauceron [2011-02-26 08:50:59]
                          D'une part..., de Le souricier [2011-02-26 11:07:01]
                              Quand le diplomate s'appelle Mgr Fellay..., de Beauceron [2011-02-26 11:20:18]
                                  Mais pourquoi..., de Le souricier [2011-02-26 12:24:23]
                  Oui, ... Mais.... Dommage..... ! Donc...., de Anne Charlotte Lundi [2011-02-26 09:34:19]
              Exhortation à vous Scribe, postit, et pour nous t [...], de Véronique (Lala) [2011-02-25 23:29:54]
                  merci chère Véronique (Lala), de Paxtecum [2011-02-26 00:01:15]
                      Juste une remarque, de Meneau [2011-02-26 09:51:36]
                          nous sommes d'accord, de Paxtecum [2011-02-26 13:08:56]
                  Etes-vous bien sûre..., de Vianney [2011-02-26 00:03:34]
                      Saint-Jean Chrisostome, de Gentiloup [2011-02-26 00:18:45]
                      C'est bon, de Eti Lène [2011-02-26 08:08:20]
                          Désolé, de Eti Lène [2011-02-26 08:09:06]
                      Cher Vianney. Des islamistes nous invitent à la f [...], de Véronique (Lala) [2011-02-26 12:19:54]
                          Trois "Je vous salue Marie"., de Véronique (Lala) [2011-02-26 12:44:40]
                          Chère Véronique, de Vianney [2011-02-26 14:21:41]
                  Jésus et les marchands du Temple , de Luc Perrin [2011-02-26 00:24:40]
                      La vidéo de l'époque, de postit [2011-02-26 00:29:26]
                      Cher Luc Perrin., de Véronique (Lala) [2011-02-26 10:51:48]
                          20 siècles plus tard, de Ennemond [2011-02-26 12:50:33]
                              Cher Ennemond., de Véronique (Lala) [2011-02-26 17:06:28]
                          Vous y allez un peu fort, de Lux [2011-02-26 13:08:41]
                              Lux., de Véronique (Lala) [2011-02-26 17:25:14]
                                  C'est bizarre, de castelrey [2011-02-27 04:17:55]
              Sans compromis ?, de Athanasios D. [2011-02-26 10:30:08]
                  et alors ?, de Scribe [2011-02-26 14:10:21]
                      Ce qui me défrise..., de Athanasios D. [2011-02-26 21:57:27]
                          Dites donc..., de Le souricier [2011-02-26 22:04:58]
                              NON !, de Athanasios D. [2011-02-26 22:14:03]
                                  Alors là, je dis..., de Le souricier [2011-02-27 14:29:33]
                                      Relisez plus attentivement...., de Athanasios D. [2011-02-27 18:27:48]
                                          A vous de démontrer le contraire, de Scribe [2011-02-27 19:06:07]
                                              C'est quoi son pseudo, déjà ?, de Noël [2011-02-27 19:11:24]
                                          Je prends acte..., de Le souricier [2011-02-27 19:27:08]
                                              Snif !, de Athanasios D. [2011-02-28 11:35:01]
                                                  Et bien..., de Le souricier [2011-02-28 12:14:46]
                                                      Noyer le poisson !?, de Athanasios D. [2011-02-28 14:06:28]
                                                          Un point secondaire??? !!!!, de Le souricier [2011-02-28 18:11:47]
                                                              Je m'en suis expliqué..., de Athanasios D. [2011-02-28 19:24:32]
                                                      Pas sûr, de Meneau [2011-02-28 17:48:25]
                                  Lesquelles ?, de Scribe [2011-02-27 16:37:05]
                          Allez vous confesser à Mgr Barbarin, de Arvernis [2011-02-27 08:16:50]
                          Hem !, de Scribe [2011-02-27 16:56:16]
                              Vraiment ?, de Athanasios D. [2011-02-27 19:14:40]
                                  Docteur, je suis gravement atteint, mais je refuse [...], de Scribe [2011-02-27 20:07:18]
                                      Je vais être franc avec vous..., de Athanasios D. [2011-02-28 11:18:48]
                                          Soyez encore plus franc, de Ennemond [2011-02-28 11:32:23]
                                              Pourquoi pas..., de Athanasios D. [2011-02-28 14:20:10]
                                          Merci pour cette franchise, Ath, de Vianney [2011-02-28 12:00:18]
                                              Bien évidemment..., de Athanasios D. [2011-02-28 14:32:08]
                                                  Figurez-vous..., de Vianney [2011-02-28 15:21:26]
                                          Qui a dit (une grande sainte) "Il n'appartien [...], de Glycéra [2011-02-28 16:58:33]
          Dommage......, de Armor [2011-02-26 12:03:43]
              Mon précédentmessage etait pour le Premier messa [...], de Armor [2011-02-26 12:13:16]
          Si je puis me permettre, XA, de Meneau [2011-02-26 18:23:48]
              Je ne veux pas radoter., de XA [2011-02-26 18:35:18]
      Le lien , de AVV-VVK [2011-02-25 20:26:08]
      Le bon lien, de Pellicanus [2011-02-25 20:49:39]
      L'abbé Aulagnier serait-il aussi fidèle du FC ?, de Pellicanus [2011-02-25 21:16:01]
      C'est un DEVOIR pour les Tradis de dénoncer Assis [...], de Pellicanus [2011-02-25 21:53:07]
          Qui êtes vous ?, de Vincent F [2011-02-26 00:52:11]
              Aucune autorité, de Pellicanus [2011-02-26 07:28:41]
          Un DEVOIR ?, de XA [2011-02-26 11:44:25]
              Ne me faites pas dire , de Pellicanus [2011-02-26 12:28:43]
              Mais, cher XA, vous n'êtes pas en cause, de Noël [2011-02-26 12:32:00]
                  Mais si !, de XA [2011-02-26 13:24:20]
                      C'est une injure à l'Eglise, de Arvernis [2011-02-26 14:27:25]
                          Je plussoie, de Scribe [2011-02-26 14:32:44]
                              Non, justement, de Lux [2011-02-26 14:42:05]
                                  Retournons donc l'exemple, de Scribe [2011-02-26 14:46:30]
                                      Oui, de Lux [2011-02-26 15:12:55]
                                      Mauvaise comparaison, de Paxtecum [2011-02-26 15:16:46]
                                          Mais..., de Vianney [2011-02-26 15:45:49]
                                          Le pape n'est pas systématiquement infaillible, de Arvernis [2011-02-27 10:05:41]
                              Allez, Scribe : renversons votre exemple, de XA [2011-02-26 15:43:05]
                                  OUI, de Scribe [2011-02-26 16:16:38]
                                  L'exemple est bon, de Arvernis [2011-02-26 22:27:49]
              Depuis quelques temps, de Anton [2011-02-26 12:41:19]
          Donc, de Yves Daoudal [2011-02-26 13:20:46]
      Ce n’est pas la première fois, de Vianney [2011-02-25 22:36:52]
          Sans commentaire., de Steve [2011-02-25 23:44:17]
              Toujours aussi plaisant à lire, de Gentiloup [2011-02-26 00:08:50]
                  Pensez-vous que, de Steve [2011-02-26 08:35:39]
                      Ce qu’on pourrait au moins en retenir, de Vianney [2011-02-26 09:23:23]
                          Le "débat" entre les religions, de Steve [2011-02-26 09:42:57]
                              Steve, péservez le latin!, de blamont [2011-02-26 10:02:39]
                                  Si vous voulez des chiffres romains,, de Steve [2011-02-26 13:45:56]
                              Ensemble pour “débattre” ou ensemble pour pri [...], de Vianney [2011-02-26 10:41:28]
                                  "Parlement des Religions", de blamont [2011-02-26 11:14:43]
                                      Vous posez la bonne question, de Vianney [2011-02-26 12:16:51]
                                          Qui a dit ..., de Armor [2011-02-26 12:31:26]
                                          Nombreux sont les chemins par lesquels Dieu cherch [...], de Gentiloup [2011-02-26 19:16:13]
                                  Excusez svp mon retard à vous répondre., de Steve [2011-02-27 08:19:17]
                                      Non, aucun procès d’intention, de Vianney [2011-02-28 12:18:33]
                                          Quant au risque de syncrétisme., de Steve [2011-02-28 23:51:52]
                              Le problème, de Gentiloup [2011-02-26 13:09:28]
                                  Dans une réunion comme Assise x + 1, de Steve [2011-02-26 14:40:16]
                                      bonne analyse, très mauvaise conclusion, de Luc Perrin [2011-02-26 15:45:55]
                                          Merci pour cette critique., de Steve [2011-02-26 19:24:51]
                                          Merci pour votre contradiction :, de Steve [2011-02-26 23:34:27]
                                      Et que faites-vous de ceci?, de Gentiloup [2011-02-26 18:44:34]
                                          Quand vous citez ces deux saints..., de Steve [2011-02-26 19:16:46]
                                              Absolument oui, oui et oui!, de Gentiloup [2011-02-26 19:22:03]
                                                  Pie XI vous aurait donné raison, de Vianney [2011-02-26 19:41:24]
                                                      Eh oui! La Tradition ne se dément pas!, de Gentiloup [2011-02-27 13:25:15]
                                                  Je vous félicite., de Steve [2011-02-26 21:32:24]
                                                  Je suis tout à fait d'accord avec vous !, de Halleluia [2011-02-26 21:34:10]
                                  Oui, sauf que, de Paxtecum [2011-02-26 15:04:27]
                                      Le relativisme, très peu pour moi!, de Gentiloup [2011-02-26 19:36:34]
      Le Père Geffré, pas seul parmi les siens, annonc [...], de Scrutator Sapientiæ [2011-02-26 14:03:16]
          Le Père Geffré, pas seul parmi les siens, annonc [...], de Scrutator Sapientiæ [2011-02-26 14:13:53]
              Cela confirmerait en partie cet enseignement..., de Véronique (Lala) [2011-02-26 21:28:58]
                  Cet enseignement..., de Meneau [2011-02-26 22:05:54]
                      Cher Meneau., de Véronique (Lala) [2011-02-26 23:50:21]
                          Procès d'intention, de Meneau [2011-02-27 00:17:05]
          merci beaucoup pour ce texte, de Paxtecum [2011-02-26 15:29:12]
              le P Geffré est brouillé avec la logique de non- [...], de Presbu [2011-02-26 16:22:00]
      Je salue le courage de l'Abbé Aulagnier, de Halleluia [2011-02-26 16:37:08]
          Halleluia: pour saluer l'Abbé, de blamont [2011-02-26 17:18:20]
              Cher Blamont,, de Halleluia [2011-02-26 21:29:33]
      Seul parmi les siens ?, de Meneau [2011-02-26 17:49:19]
      Modeste proposition, de Lux [2011-02-26 22:28:50]
          Il manque un référentiel fédérateur aux cathol [...], de Scrutator Sapientiæ [2011-02-27 10:55:20]