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JUILLET 2003 A MARS 2011

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L'intuition de l’intériorité Imprimer
Auteur : Basam Damdu
Sujet : L'intuition de l’intériorité
Date : 2004-06-25 17:46:49

L'intuition de l’intériorité

Près de trente ans après sa mort, l’enseignement de Maurice Zundel, à la vie austère et marquée par l’incompréhension, trouve un large écho

Dames âgées, jeunes femmes chic, artistes en catogan, étudiants dégingandés… En ce samedi d’avril, pour la journée d’amitié organisée chaque année par l’association des Amis de Maurice Zundel (AMZ, lire encadré page suivante), ils sont plus d’une centaine de tous âges et de tous milieux, plus ou moins proches de l’Église, à se retrouver devant quelques photos et citations accrochées sur les murs de la grande salle parisienne où se déroule la matinée. Certains confient avec émotion ce qu’ils ont compris à la lecture de Zundel.

Sylvie, psychologue en préretraite se qualifiant de «nouvelle convertie», aime le lire «pour sa poésie, pour ses mots neufs qui disent la foi et aèrent l’image de l’Église». Nathalie, 40 ans, bibliothécaire et engagée dans sa paroisse, parle d’un «sentiment de liberté» : «Dès que je lis un peu de lui, ça me fait du bien. Son approche de la personne humaine aide à devenir ce que l’on est, à sortir de tous les enfermements.»

Les participants s’assoient pour écouter un vieil enregistrement du prêtre suisse (1897-1975). Sa voix profonde, un peu rauque, suscite le recueillement. «C’est la première fois que je l’entends, alors que je l’ai si souvent lu et que sa pensée me nourrit depuis si longtemps», confie Mgr Robert Le Gall. L’évêque de Mende est invité ici pour témoigner de sa rencontre avec Zundel, après avoir lu sa biographie, alors qu’il était encore jeune bénédictin à Kergonan, en Bretagne. Il parle de ce prêtre comme de «celui qui sait nous faire respirer au cœur des Trois qui font Un, dans la plénitude de leur don réciproque».

D’autres hommes d’Église n’ont pas lésiné sur les qualificatifs pour parler de Zundel. Paul VI, qui entretenait avec lui une discrète mais fidèle amitié, l’avait qualifié de «génie de poète, génie de mystique, écrivain et théologien, et tout cela fondu en un avec des fulgurations». L’abbé Pierre, qui l’avait choisi comme confesseur à la fin des années 1950, n’hésitait pas à traverser la France pour le rejoindre à Lausanne ; il écrit qu’«avec lui, on se trouvait en présence de Quelqu’Un, à mi-chemin entre Dieu et les hommes. Par sa personne même, on accédait presque naturellement au mystère de Dieu, à l’absolu».

Le P. Zundel semble avoir eu une intuition majeure et prophétique pour ce XXIe siècle : celle de la liberté intérieure. «Le seul devoir, c’est d’être libre, écrivait-il dans son style si particulier, fait de phrases courtes et de répétitions. Libre à l’égard de tous, libre devant Dieu qui est la liberté même, libre d’abord de soi-même.» Cette exigence de liberté intérieure, qui s’accompagne selon lui d’un don total de soi et aussi d’une transparence dans la relation à l’autre, le P. Zundel l’aura chèrement payée.

Toute sa vie, en effet, a été marquée par l’incompréhension et la mise à l’écart, voire l’isolement. Et ce dès l’enfance.

Dans sa ville natale de Neuchâtel (Suisse), ville protestante et aristocratique, les familles catholiques vivent en dehors de la cité. Son père, fonctionnaire des postes et catholique engagé, est un homme droit et doux. L’enfant est baptisé par son oncle et parrain, prêtre des Écoles chrétiennes, qui le consacre à Marie. Pourtant, c’est par sa grand-mère protestante que le jeune Maurice, troisième de quatre enfants, restera marqué : «C’est elle qui m’a le plus influencé dans toute ma vie», confiera-t-il.

La lecture des Béatitudes et des « Misérables »


À l’adolescence, Maurice fait deux expériences spirituelles déterminantes. Le 8 décembre 1911, alors qu’il prie dans l’église Notre-Dame-de-l’Assomption de Neuchâtel, il goûte à la «présence mystérieuse» de la Vierge Marie, et perçoit une exigence de pureté dans «une vision de la femme excluant toute sensualité» qui le guidera toute sa vie. Autre expérience fondatrice : la lecture des Béatitudes et des… Misérables de Victor Hugo, en particulier la fameuse scène des couverts d’argent. Maurice s’identifie aussitôt au bon évêque Myriel qui pardonne à Jean Valjean : il deviendra prêtre des pauvres, et sa maison sera la maison de Jésus-Christ. «Cette résolution de pauvreté, écrit le P. de Boissière, prise à 15 ans et tenue jusqu’à sa mort, est sans aucun doute la clé de ce comportement, qualifié d’original, qui va le déconsidérer aux yeux de sa hiérarchie et l’isoler terriblement au sein d’une Église trop souvent établie.»

Après une année à Fribourg, Maurice Zundel termine sa scolarité à l’abbaye bénédictine d’Einsiedeln, pour suivre les cours en allemand. Ce contact avec la vie monastique va également imprégner toute sa vie : «Cette abbaye est la patrie de mon esprit, la liturgie y était faite avec perfection, j’y étais profondément heureux.» Son bac en poche, Maurice quitte Einsiedeln à regret (il restera oblat bénédictin et en portera toute sa vie la cape noire) pour entrer au séminaire de Fribourg. Il y passe quatre années difficiles, souffrant spirituellement de constater que «les enseignants ne vivent pas ce qu’ils enseignent» et que «la Parole de Dieu devint un sujet d’examen».

Ordonné à 22 ans pour le diocèse de Fribourg-Lausanne-Genève, il est nommé vicaire de la paroisse Saint-Joseph de Genève, dans un quartier populaire des Eaux-Vives. Le jeune prêtre se lance à fond dans l’animation du foyer paroissial pour des jeunes filles de familles ouvrières, qu’il veut aider intellectuellement et spirituellement. À la rentrée suivante, il se voit confier l’entière gestion du patronage qui se développe. Il n’hésite pas à défendre publiquement le suffrage féminin, ni à prêcher sur la nécessaire pauvreté de l’Église. Ses prises de position lui attirent les calomnies d’un collègue et les foudres de son évêque. Après six années fécondes, il est brutalement envoyé à Rome reprendre des études de théologie. Dorénavant, Zundel ne connaîtra que l’exil, et n’exercera que rarement un ministère en paroisse.

À l’Angelicum, l’université romaine des dominicains, le P. Zundel se remet aux études avec acharnement, même si la rigueur du thomisme lui paraît «étouffante» ; il soutient une thèse sur «L’influence du nominalisme sur la pensée chrétienne». En Italie, il découvre aussi le poverello d’Assise : «Saint François m’est apparu comme celui qui a eu la mission unique de chanter la pauvreté comme une personne, et de voir en elle Dieu lui-même», écrit-il alors.

Au bout des deux années prévues, Maurice n’est pas jugé digne de revenir dans son diocèse suisse : «L’Église n’aime pas les francs-tireurs, fussent-ils des saints…», résuma son évêque dans une lettre à Jean Ramuz, un ami prêtre qui restera l’un des rares à le soutenir. «Cet éloignement de Genève a donné la direction à tout le reste de ma vie», confiera Zundel plus tard : une coupure qui n’est pas sans rappeler le départ de Teilhard de Chardin pour la Chine, après qu’on lui eut supprimé son enseignement de biologie à l’Institut catholique de Paris. Ces deux grands spirituels ont su trouver dans l’exil un élargissement.

Le voici donc à Paris où, en tant que cinquième vicaire à Charenton, il s’occupe d’un patronage et «fait pot de fleurs aux offices», selon son expression. Il est ensuite nommé aumônier chez les bénédictines de la rue Monsieur, où il chante chaque jour la messe en grégorien, avec une telle qualité que l’on vient de tout Paris pour l’écouter. Il rencontre également Mgr Giovanni Battista Montini qui, devenu Paul VI, le fera venir en 1972 prêcher la retraite de Carême au Vatican : «J’ai une immense confiance dans la paternité du Pape», écrira Zundel.

Ses prédications provoquent la polémique


La Mère abbesse de la rue Monsieur n’appréciant guère cet aumônier atypique, il doit à nouveau partir : vers Londres, où il est accepté comme second aumônier d’un pensionnat de jeunes filles. Ses extraordinaires capacités intellectuelles lui permettent d’apprendre l’anglais en lisant les œuvres du cardinal Newman, dont il se sent très proche. Il étudie l’anglicanisme, en rencontre plusieurs évêques, et s’ouvre à l’œcuménisme. Il se met une nouvelle fois à la disposition de son évêque, qui l’envoie comme aumônier de pensionnat de jeunes filles à La Tour-de-Peilz. L’année suivante, il est envoyé à Neuilly, où il réunit autour de lui un cercle intellectuel de qualité. Puis des amis lui offrent de s’inscrire une année à l’École biblique de Jérusalem, où il part étudier le grec, l’hébreu et l’arabe, ce qui lui permet d’entrer en contact avec la population.

Après un court séjour en Suisse, où ses prédications provoquent une fois encore la polémique, et alors que la guerre vient d’être déclarée, Zundel part au Caire sur les conseils du grand islamologue Louis Massignon. Il devient aumônier du carmel de Matarieh («Sa présence a été une vraie source de grâces spirituelles pour nos âmes», témoignait en 1984 une Sœur âgée), puis se voit confier l’instruction religieuse d’un collège du Caire et la responsabilité du scoutisme catholique.

Son ministère s’intensifie : lever à 5 heures pour célébrer la messe, lecture de la presse, visite des pauvres et des malades, conférence au Caire, à Alexandrie ou à Suez devant des publics de plus en plus larges, retraites, entretiens avec ses visiteurs qui affluent, travail tard dans la nuit (Zundel étudie l’islam et traduit le Coran) tout en menant une vie de jeûne et d’ascèse…

Son intérêt pour l’œcuménisme s’élargit lors de ses contacts avec les Grecs catholiques et leur patriarche Maximos V. Un an après la fin de la guerre, il rentre en Suisse et s’installe à la paroisse d’Ouchy, à Lausanne. En plus du catéchisme et du pensionnat de filles, Zundel reprend son ministère de direction spirituelle et de prédication itinérante. Sans parler de «ses» messes, qui attirent, bouleversent et convertissent de plus en plus. Ce qui n’empêcha pas le prêtre, aussitôt après Vatican II, à près de 70 ans, de changer ses habitudes liturgiques avec une docilité éclairée.

« La hiérarchie est un sacrement »


Mais il lui faut rejoindre la paroisse de Bex : il loge dans le clocher, les autres prêtres ne voulant pas de lui au presbytère. Fortunés ou clochards, brillants intellectuels ou personnes psychologiquement fra giles, ils sont très nombreux à frapper à sa porte.

En 1954, quand tombent les mesures frappant d’interdiction les prêtres-ouvriers, il est profondément blessé, lui qui, cette même année, prêchait sur «les erreurs de l’économie libérale». Mais il reste soumis à l’Église : «La hiérarchie est un sacrement», a-t-il l’habitude de dire. Au cours de ses vingt dernières années, il multiplie les prédications, retraites et récollections, de Paris à Londres, du Caire à Beyrouth.

En 1975, une embolie cérébrale suivie d’une seconde attaque le laisse à moitié paralysé et privé de parole. À force de volonté, il retrouve le moyen de marcher et de s’exprimer. Mais, dépassé par la maladie, il connaît l’épreuve d’une nuit de la foi : «Je ne suis plus l’abbé Zundel», écrit-il. Confirmation d’un destin, pour celui qui n’avait eu de cesse d’inviter à «se vider de soi pour l’autre, en faisant une confiance totale à l’Esprit-Saint».

Claire LESEGRETAIN

***

La vie de Maurice Zundel


1897 Naissance le 21 janvier à Neuchâtel (Suisse).

1907-1912 Collège latin de Neuchâtel.

8décembre 1911 « Expérience mariale » à Neuchâtel.

1912-1913 Au collège Saint-Michel à Fribourg.

1913-1915 Au collège de l’abbaye d’Ensiedeln.

1915-1919 Grand séminaire de Fribourg.

1919 Ordination sacerdotale à Fribourg.

1919-1925 Vicaire à Saint-Joseph de Genève.

1925-1927 Angelicum à Rome, doctorat en philosophie.

1926 Publication du Poème de la sainte liturgie.

1927-1929 Vicaire à Charenton, puis aumônier de bénédictines à Paris.

1929-1930 Londres, second aumônier d’un pensionnat.

1930-1933 La Tour-de-Peilz (Suisse), aumônier au pensionnat Beau-Rivage.

1933-1937 Neuilly, aumônier au cours La Fayette.

1936 Publication de L’Évangile intérieur.

1937-1938 Jérusalem, études à l’École biblique.

1938 Retour à Neuilly.

1939 Bex (Suisse), sans ministère.

1939-1946 Le Caire, aumônier du carmel de Matarieh.

1944 Publication de L’homme passe l’homme.

1946-1975 Lausanne, auxiliaire à la paroisse du Sacré-Cœur d’Ouchy.

1956 Publication de Croyez-vous en l’homme ?

1960 La liberté de la foi.

1971 Je est un Autre.

1972 Prédication de la retraite de Carême du Vatican.

1975 Décès le 10 août, à Lausanne.

La Croix d'aujourd'hui


La discussion

 L'intuition de l’intériorité, de Basam Damdu [2004-06-25 17:46:49]
      Le Poème de la Sainte Liturgie, de Bertrand Decaillet [2004-06-25 18:58:50]
      Virgo Virginans, de Assum [2004-06-26 10:25:40]