[Suite de l'extrait précédent]
Au harcèlement de son impétueux correspondant, Ratzinger répond par la tactique du retardement. Concernant "le problème de la nomination d'un évêque, le Saint-Père tend à considérer votre proposition", une telle nomination "ne pourrait toutefois pas intervenir dans l'immédiat" en raison du temps nécessaire à "l'établissement des dossiers".

Qu'à cela ne tienne ! Mgr Lefebvre lui communique le 3 mai quatre noms d'épiscopables, lui annonçant l'envoi prochain de leur dossier.

Et le 4 mai, dans un discret couvent de la Via Aurelia, a lieu la réunion décisive entre l'archevêque, assisté de ses deux experts, et le cardinal, secondé par les siens. La déclaration est mise au point sans accroc, les modalités de la normalisation ne font aucune difficulté. C'est alors que Ratzinger opine : "Je trouverais bon qu'à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à côté des messes de la Fraternité, il y ait une messe de la paroisse; l'Eglise est une".

Brusquement Mgr Lefebvre est en alerte, ses yeux se dessillent : "Ah ! se dit-il, c'est la cohabitation des rites qu'ils veulent, au sein de l'Eglise... conciliaire !" Et lorsque le cardinal énonce la composition de la Commission romaine : "Un cardinal président, un vice-président ou secrétaire romain, et cinq membres, dont deux de la Fraternité, dont l'un travaillerait au secrétariat", l'archevêque se tait : "J'ai compris !"

Ensuite, l'Eminence confirme qu'il sera "suggéré" au Saint-Père "de nommer un évêque choisi dans la Fratenité, sur présentation de Mgr Lefebvre". Monseigneur garde le silence.

"Reste la question de la date du sacre", observe finement l'inflexible abbé Patrice Laroche. C'est l'heure de vérité, la révélation des coeurs. Le cardinal se tait. alors l'abbé Laroche de suggérer : "Avant la fin de l'année mariale ? c'est à dire avant le 15 août." "Les bureaux sont fermés à cette date", rétorque Ratzinger. "Alors pour la Toussaint ?" questionne Monseigneur qui ajoute : "Normalement, les confrères s'attendent à la date du 30 juin." Le cardinal élude la question : "Que Mgr Lefebvre dise que les choses sont en bonne voie".

Après le repas pris en commun, au cours duquel il est resté anormalement silencieux, l'archevêque, d'un ton appuyé, dit à ses deux assistants :
"Arrêtons là, je ne veux pas continuer ! Avez-vous entendu le cardinal ? La cohabitation, la minorité dans la Commission et pas de date pour le sacre !"

Néanmoins, le colloque reprend :
"Dès que Monseigneur, conclut Ratzinger, aura signé le protocole, un communiqué de presse avertira du progrès de la réconciliation."

J'ai un évêque, pense Mgr Lefebvre, mais pour quelle réconciliation ?

C'est dans ces dispostions contradictoires que le 5 mai, en la fête de saint Pie V qui lui semble un bon présage, Mgr Lefebvre signe sa déclaration et écrit au pape une lettre l'accompagnant, exprimant le souhait de la réalisation des mesures indiquées dans le protocole. il ne parle pas explicitement du sacre. Enfin, il appose sa signature au protocole d'accord que lui apporte à Albano, à 16h30, le père Josef Clemens, secrétaire du cardinal. La photo prise en la circonstance montre un archevêque mi-souriant, mi-crispé, penché sur le texte qu'il relit attentivement. Son visage exprime exactement les deux sentiments qui l'habitent : "réelle satisfaction", comme il l'écrira à Ratzinger, et méfiance soude, qu'il a exprimée aux soeurs del Cenacolo vers 15h : "Si don Putti était là, que dirait-il ? "Monseigneur, où allez-vous ? Que faites-vous ? ""

"Marcel où vas-tu ?" La tête entre les mains pendant tout le chapelet et le salut à la chapelle, l'archevêque prie, il soupire parfois, puis sans rien dire il se retire. Il ne dort pas de la nuit. Il réfléchit... [à suivre]

Marcel Lefebvre - une vie, Bernard Tissier de Mallerais, ed.Clovis, p 583-584

Cordialement
Meneau