Le 22 août 1987, à Fatima, où il vient - à défaut du pape qui tergiverse - de consacrer la Russie au Coeur Immaculé de Marie selon la demande de la sainte Vierge ["Autant qu'il est en notre pouvoir", dit-il], Mgr Lefèbvre réunit ses proches : le supérieur général, abbé Schmitberger, les deux assistants : abbés Aulagnier et Bisig, les abbés Tissier de Mallerais, Williamson, de Galaretta et Fellay, dont il a déjà pressenti certains pour devenir ses "auxiliaires". Il souligne les pouvoirs exorbitants qu'aurait le cardinal visiteur : "Il risque de nous diviser, d'écarter les séminaristes."

"On ne peut suivre ces gens-là, c'est l'apostasie, ils ne croient pas à la fivinité de NSJC qui doit régner. A quoi bon attendre ? Procédons au sacre ! Je propose la date de la fête du Christ-Roi, 25 octobre"

Mais l'avis général des collaborateurs est de ne pas précipiter les choses :

"Attendons plutôt de voir où ùène l'ouverture romaine, mettons au point une structure canonique adéquate, tentons d'obtenir la permission du sacre, ainsi nous ne pourrons rien nous reprocher, nous aurons tout essayé"

Monseigneur semble suivre cet avis. Cependant, rentré en France, dans la paix que lui offre l'hospitalité de ses amis M. et Mme Laurent Meunier à Gigondas, il jette sur le papier, le 29 août, une "Lettre aux futurs évêques"qu'il a sans doute conçue la veille (d'où l'allusion à la fin de la lettre à saint Augustin) et dont il garde le texte par-devers lui sans le communiquer à quiconque, pas même à ses destinataires.

[Citation de la lettre - Déjà citée in extenso dans ce fil]

Ranger le Christ dans le panthéon d'Assise et lui refuser son Règne social, n'est-ce pas refuser sa divinité, "dissoudre le Christ" et être, comme dit l'apôtre St jean, un "anti-Christ" (1 Jn 2,22; 4,3) ?
Et comme la salle de Martigny où il envisage de procéder aux sacres n'est plus disponible pour le 25 octobre, il en reporte in petto la date au 27 décembre, fête de l'apôtre St Jean.

Visite apostolique du cardinal Gagnon

Mais, décidément, Marcel Lefebvre n'est pas tout d'une pièce. il pèse et soupèse à nouveau les propositions romaines du 28 juillet.

"On ne me demande plus de déclaration, on m'accorde la messe, un évêque, une structure juridique de relative autonomie, on me propose un visiteur. il y a si longtemps que je demande cette visite, afin que Rome nous connaisse mieux"

D'autre part, au mois d'août, Jean Guitton, l'académicien qui l'a pris en affection, fait une démarche auprès de Ratzinger : que le cardinal visiteur n'ait qu'une tâche d'information, sans nul pouvoir sur la Fraternité.

Le cardinal Oddi appuie cette demande, à laquelle Ratzinger accède, en un bref billet transmi à Mgr Lefèbvre par Eric de Saventhem.

C'est l'impondérable que fiat basculer la balance du destin. Le 3 octobre, l'archevêque fait volte-face publique : devant quatre mille fidèles venus à Ecône rendre grâces avec lui pour ses quarante ans d'épiscopat, en présence des séminaristes d'Ecône, de Zaitkofen et de Flavigny, ainsi que de nombreux prêtres et religieux amis, parmi lesquels dom Gérard, il annonce qu'on lui a "présenté des solutions qui paraissent extraordinaires". "C'est un petit espoir", dit-il prudemment, mais

"si Rome veut bien nous donner une véritable autonomie, celle que nous avons maintenant, mais avec la soumission - nous le voudrions, nous l'avons toujours souhaité : être soumis au Saint-Père _ (...) si Rome accepte de nous laisser faire l'expérience de la Tradition, il n'y aura plus de problème"

Tandis que les médias répercutent "le coup de théâtre" et divulguent "la reprise du dialogue", le monde traditionaliste est secoué d'une intense émotion : "joie indicible" de beaucoup, "soulagement" chez la plupart, "prudent espoir" pour certains, tandis que l'abbé Schmitberger fait prier la Ste Vierge pour "qu'elle nous préserve de toute fausse solution".

Le 11 novembre arrive enfin à Ecône le cardinal canadien Edouard Gagnon, président du Conseil pontifical pour la famille. Il est le visiteur idéal : bon et patient, discret et souriant, il n'a jamais caché sa sympathie pour l'oeuvre de l'archevêque et, prêtre de Saint Sulpice, il prend à coeur la formation sacerdotale. Accompagné le plus souvent de son éminence grise, le prélat luxembourgeois Camille Perl, il visite les principales maisons de la Fraternité etdes communautés amies, en France, en Suisse et en Allemagne : prieurés et écoles, couvents et séminaires, mouvements de jeunes et noviciats.

Partout il est content. Aussi se préoccupe-t-il d'apporter à Rome non seulement sa satisfaction mais un projet de solution. Aux prêtres rencontrés, il demande : "Comment voyez-vous la solution ?" La réponse constante est "qu'un prêtre de la Fraternité soit sacré évêque"; et le visage du visiteur se rembrunit.

Le voyage s'achève le 8 décembre à Ecône, où le cardinal ne craint pas s'assister publiquement à la messe pontificale de l'évêque suspens et à l'engagement de jeunes gens dans uen Fraternité supprimée. au livre d'or du séminaire, il confie :

"Que la Vierge immaculée écoute nos prières ferventes pour que l'oeuvre de formation merveilleusemnt accomplie en cette maison trouve tout son rayonnement pour la vie de l'Eglise"

Marcel Lefebvre, une vie, par Mgr Tissier de Mallerais, ed. Clovis, p.578