E - Notre Esprit

Tous ces points ne sont pas exclusivement du Père Baudouin, je l'ai déjà dit. Je voudrais maintenant parler de deux aspects qui me semblent importants car ils englobent le tout et leur donnent une unité. Ces deux points se trouvent dans la Première Règle du Père Baudouin :


"Notre Esprit sera l'Esprit du Verbe Incarné et particulièrement son Esprit de piété envers son Père et d'amour pour les hommes."

I - L'Esprit de piété envers son Père

Cet Esprit de piété pousse Jésus, Verbe Incarné, a trois attitudes que le Père Baudouin nous invite à admirer et à imiter : l'adoration du Père pour lui-même, l'action de grâces pour les dons reçus et l'offrande de soi pour le salut des hommes :


"Le premier acte du Verbe incarné fut...mais qui pourrait le raconter? quelle expression de sa religion envers son Père ! Nous adorerons donc dans Lui, par Lui, avec Lui le Père pour Lui-même à cause de la beauté de son être éternel !
"Nous nous unirons au Verbe Incarné pour remercier le Père des dons infinis répandus sur sa sainte humanité..."

"Aussitôt après sa conception, le Verbe Incarné s'offrit en sacrifice avec un zèle et un amour brûlant pour la gloire de son Père et le salut des hommes."

Ces trois attitudes de Jésus sont la base du chemin de prière que le Père Baudouin donne à ses religieux. Cet Exercice de l'Incarnation "est des plus importants. C'est notre exercice distinctif…. Nous le répéterons trois fois par jour en entier, et plusieurs fois en tout ou en partie selon l'attrait, mais on tâchera d'en faire quelque chose jusqu’à neuf fois…. Etant religieux du Verbe Incarné, nous sommes élus pour l'adorer, l'aimer et en Lui et par Lui, adorer et aimer le Père dans le temps et l'éternité"

Cette insistance pour l'adoration du Verbe Incarné se trouve aussi précisée pour les religieuses. Après leur affiliation aux Ursulines, le Père Baudouin leur rappelle :

" Mais, comme chaque bataillon a son caractère ou son drapeau distinctif, vous vous souviendrez, mes bien-aimées filles, que vous êtes fondées pour être les adoratrices spéciales du Verbe Incarné."

Le Père Baudouin souligne le caractère distinctif de cet exercice de l'Incarnation. C'est sa démarche de prière qu'il nous propose car pour lui, elle s'inscrit au cœur de la relation filiale de Jésus envers son Père.

Dans cet exercice, c'est toute la vie du Christ qui est en quelque sorte résumée : il est venu nous révéler Dieu comme Père, il est venu nous montrer le chemin pour aller vers lui, il est venu s'offrir pour le salut de tous. Cet exercice nous unit au Verbe Incarné.

Mais cette démarche de prière peut aussi se faire en fonction de ce que nous vivons. Le Père Baudouin nous en a donné des exemples : avant d'accepter la demande de la Mère Saint-Benoît à faire vœu d'obéissance entre ses mains, ayant peur de se tromper, il lui demande" Pour vos étrennes et pratiques de cette année, vous adorerez Jésus comme vérité et ennemi de tout mensonge" ; de même un peu plus tard : "Il parait, ma fille, que la divine Providence va m'envoyer missionner peut-être dans le bocage. Adorez le Verbe Incarné envoyant de tous côtés ses apôtres pour y répandre son feu et sa lumière"

Il en est ainsi pour les formules que le Père Baudouin a écrites en fonction des temps liturgiques : Passion, temps pascal. L'exercice de l'Incarnation peut donc unifier notre vie : prière et vie sont liées. Il nous provoque à faire attention à ce que nous vivons, à tous les signes de la présence de Dieu en nous et dans nos frères et nous pousse ainsi à rendre grâce à Dieu, Notre Père.

Le Père Baudouin ne veut pas fonder une communauté de moines mais de pasteurs, engagés dans le ministère paroissial :


"Si les devoirs du saint ministère ou de la charité nous obligent d'omettre quelques uns de ces exercices, voici l'ordre que nous retiendrons dans ces retranchements"
"...On quitte tout, même le soin de sa vie, pour le ministère qui regarde les malades et baptêmes..."

Malgré cela, nous devons remarquer que le Père Baudouin insiste beaucoup sur la prière, les retraites et le silence.


"Tout le temps qui ne sera pas employé au saint ministère, sera employé à l'oraison, la lecture ou l'étude"
"Imitateurs du Verbe Incarné, nous serons des hommes de retraite. Retirons-nous donc le plus souvent que nous pourrons" "Ne négligez pas, malgré vos grandes préoccupations, de faire vos trois retraites par an." "Notre vie sera une vie de recueillement et d'oraison"

Pourquoi cette insistance? N'oublions pas que le but de toute vie chrétienne est d'être uni à Jésus, de penser et de faire comme lui. Le Père Baudouin nous l'a déjà dit : "On pense, on parle souvent comme les personnes que l'on fréquente souvent et que l'on aime". De plus c'est là que nous trouvons la force de réussir et de faire du bien pour le salut des âmes.


"Rappelons-nous que sans oraison, nous ne ferons presque rien de bien, ni pour nous ni pour les autres." "Un homme de retraite fait plus de bien dans une semaine, quant au salut du prochain, qu'un autre pendant un an"
Quoi de plus normal, alors, que de proposer ces temps de rencontre personnelle avec le Verbe Incarné. C'est ainsi que nous aurons en nous et que nous vivrons de l'Esprit du Verbe Incarné.


II - L'Esprit d'amour pour les hommes


"Dès sa conception, le Verbe Incarné s'offrit en sacrifice avec zèle et un amour brûlant pour la gloire de son Père et le salut des hommes."55
"Nous serons les Nazaréens du Verbe Incarné, dévoués comme Lui, dans Lui et avec Lui pour le salut du peuple et surtout de toute l'Eglise. Chargés comme Lui de tous les péchés des hommes et prêts à les expier comme et quand il voudra, nous nous offrirons comme un agneau qui se laisse gorger ou attacher sur le bûcher.."

La plus grande preuve d'amour du Verbe Incarné est d'avoir donné sa vie pour les hommes. A sa suite nous serons nous aussi prêts à tout quitter, "à faire un vrai holocauste des biens de la terre, de notre corps et de notre âme par les vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance".

Cela implique toute une manière de se situer par rapport aux hommes que nous rencontrons. Nous quittons toute idée de puissance, de possession, de suffisance pour pouvoir aimer nos frères comme Jésus nous a aimés. C'est à ce signe de l'amour que nous serons reconnus vraiment comme disciples.


"Je vous donne un commandement nouveau" dit Jésus. Il est nouveau dans le sens que Jésus dit : "comme je vous ai aimés." Personne jusque-là n'avait aimé comme Jésus : amis, ennemis, parents, étrangers, bienfaiteurs, persécuteurs ! aimer plus que soi-même, jusqu'à donner sa vie : à plus forte raison, ses biens, son temps, ses aisances ; sacrifier ses propres intérêts aux intérêts des autres…. L'amour n'était pas descendu sur terre pour enseigner à aimer."
"A cela, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l'amour les uns pour les autres. Voilà le chef de la règle. Que donc les Enfants de Marie puissent se reconnaître à leur charité réciproque"

"Pratiquons avec aisance les 15 caractères de la charité (1 Cor 13). Ce chapitre vaut tout seul toutes les règles religieuses. Mais pratiquons solidement ; il donne la joie et la paix".

Cet amour est concret et se traduit au quotidien par des attitudes de respect mutuel, de douceur, d'humilité, de patience, de simplicité. Ce sont beaucoup de lettres qu'il faudrait citer, en particulier les lettres aux prêtres. Je ne donnerai que quelques extraits du Règlement des Missionnaires de Saintonge que le Père Baudouin a accompagnés de ses conseils.


"La vertu principale des Missionnaires est la douceur de cœur, la seconde est l'humilité…. Un missionnaire doit être plein de force et de patience, et il sera tel, s'il est humble et doux…. La force et la joie des missionnaires est l'union entre eux. Portez les fardeaux les uns des autres : ce sont des défauts de caractère, des vices, manque de sens ; c'est l'orgueil, l'égoïsme, la vanité, etc. Il faut porter tout cela…. Ne vous critiquez pas, honorez-vous les uns les autres…. Ne dépréciez pas les peuples…. Honorez tous les prêtres.

III - L'entrevue des frères

L'amour que nous avons les uns pour les autres est le signe que nous sommes de vrais disciples. Pour favoriser cet amour le Père Baudouin demande à ses religieux de pouvoir se rencontrer régulièrement même s'ils ne peuvent pas vivre sous le même toit. Ces rencontres doivent avoir lieu, suivant les possibilités, le plus souvent possible : "Tous les quinze jours nous ferons en sorte de passer un jour ensemble". Ce jour-là est consacré à un partage de ce que chacun vit:


"Etant assis, nous lirons un chapitre de ce règlement ; si on a quelque chose à dire sur ce chapitre pour le bien commun, on s'en entretiendra. Ensuite, on propose ses difficultés, ses doutes…. Après quoi on rendra compte de ses dispositions intérieures, de sa manière d'oraison, de ses goûts et dégoûts pour les peines, croix ou pénitences ; on rendra compte aussi du saint Ministère : ce que l'on fait, le fruit qu'on en retire. On parlera aussi des lectures que l'on a faites depuis la dernière entrevue, du livre de la Sainte Ecriture que l'on lit…; on fera cela avec simplicité, recueillement, pour recevoir des conseils et être repris de ses manquements et aussi pour rendre participant son frère des biens dont le ciel nous gratifiera ; on finira par se bénir l'un et l'autre"
Comme nous le voyons, ce partage a pour but de s'entraider dans les difficultés, de se corriger mutuellement, de faire participer son frère des biens que le ciel nous a accordés. Cette rencontre est importante pour favoriser l'unité entre les frères et si on ne peut se rencontrer souvent "il faudrait s'écrire tous les quinze jours".



En conclusion.



De tout cela qu'est-ce qui peut me pousser à être davantage Religieux du Verbe Incarné ? Ce qui me paraît le plus important ce sont les deux derniers points que je viens de souligner : Vivre de l'Esprit du Verbe Incarné, esprit de piété envers Dieu et d'amour pour les hommes.

En ce sens, je redécouvre combien le Mystère de l'Incarnation peut unifier ma vie de religieux. Les constitutions nous rappellent que nous sommes dans l'Eglise pour témoigner de ce mystère et nous sommes invités à être, avec le Verbe Incarné, les adorateurs et les missionnaires du Père. Je ressens avec plus de force le lien étroit que le Père Baudouin mettait entre vie apostolique et vie de prière. Ce qu'il nous demande c'est de négliger ni l'une ni l'autre mais de trouver un équilibre, mieux de découvrir que lorsque je prie, je suis aussi missionnaire ; lorsque je consacre mon temps à telle ou telle activité apostolique celle-ci doit être en même temps une prière, ou du moins elle doit pouvoir faire l'objet de ma prière du soir. L'exercice de l'Incarnation doit être pour moi un des moyens de faire ou de maintenir ce lien entre vie apostolique et prière. Dans un pays de mission où l'on voit tout le travail qu'il y aurait à faire, on serait tenté de délaisser les temps de prière pour les activités. Notre mission de religieux du Verbe Incarné peut être un signe que la prière est importante pour tout baptisé : "Notre famille spirituelle est appelée à être signe de l'Eglise qui adore le Verbe Incarné et se laisse conduire par son Esprit".

Le deuxième point est cette insistance sur l'amour qui doit exister entre les disciples du Christ et en particulier la vie fraternelle entre les religieux du Verbe Incarné. Vivre l'amour tel que le Verbe Incarné nous l'a montré : dans la communauté, dans les rencontres et les activités de chaque jour. Dans un monde où c'est le chacun pour soi qui domine, dans un monde habité par les haines entre ethnies, les religieux du Verbe Incarné ont un message à faire passer : message de fraternité, d'entente, de respect, de douceur, d'humilité. Ils peuvent dans des communautés unies proclamer que l'amour entre peuples différents est possible.

Donc qu'importe le lieu où la congrégation m'envoie : paroisse, formation permanente des chrétiens, mouvement de jeunes, etc ; là où je suis, j'ai à témoigner de l'amour infini de Dieu-Père ; un amour qui s'est manifesté par Jésus Verbe Incarné. J'ai à en témoigner par ma vie de prière et par mes actes et paroles de chaque jour comme le Christ l'a fait dans sa vie. Si je tends chaque jour à vivre cela plus intensément, quelle que soit l'activité, alors je peux affirmer que je suis réellement Religieux du Verbe Incarné et qu'avec mes frères je rends témoignage à ce mystère :

"Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous."




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Bibliographie



Raymond Hostie, Vie et mort des ordres religieux, DDB, 1972.

Maurice Maupilier, Louis-Marie Baudouin et ses disciples, Saint-Paul, Bar-le-Duc, 1973.

Basile Paré, Pour une formation spirituelle des fidèles laïcs de Bobo-Dioulasso - A l'Ecole du Verbe Incarné, Mémoire de Maîtrise en théologie, I.S.P.C., novembre 1997.

Articles du Dictionnaire de spiritualité


Louis Lallemant

Bérulle

Marie d'Agréda

Ecoles de Spiritualité

Vie consacrée
Cours sur les grandes spiritualités. Polycopiés sur Saint Jean-Eudes, sur M. Olier.

Collectif Chavagnes, Béatification et canonisation du Serviteur de Dieu Louis-Marie Baudouin, Nouveau dossier sur les vertus, Rome, 1995.

Louis-Marie Baudouin, Lettres aux prêtres (polycopiés Sainte Marie), Chavagnes-en-Paillers, 1978.

Constitutions et règles primitives, Ateliers professionnels de l'Orphelinat Saint-Jean, Albi, 1978.

Constitutions et Normes des F.M.I., 1986.