CHARTRES SONNE ! par Stéphanie Combe
Nous partîmes 7 000 et arrivâmes 9 000. L’heure était à la joie sur les routes de Chartres cette année, lors du traditionnel Pèlerinage de Pentecôte. Le 24 mai dernier, le cardinal Dario Castrillon-Hoyos, célébrait une messe selon le rite traditionnel en la basilique romaine de Sainte-Marie Majeure, en présence de 2 000 personnes, parmi lesquelles cinq cardinaux. « Claquez bannières de Chrétienté ! »
« Etoile du matin, voici que nous marchons… » « Que c'est beau ! Le blé et l'orge à perte de vue, le ciel qui n'en finit pas de se déployer, quelques bois de chênes, une colonne immense de pèlerins qui chante sa foi, s'élance et semble invincible : je n'ai pas pu m'empêcher de prier plus avec mes yeux qu'avec mes pieds pendant ce pélé ! » A 26 ans, Etienne découvre le pèlerinage de chrétienté pour la première fois. « Le nombre de pèlerins est à peine croyable, leur enthousiasme et leur ferveur m'ont emporté comme une lame de fond. » Venus de toute la France et rejoints par quelques 800 étrangers – Coréens, Américains, Irlandais, Lituaniens, Australiens...- 8 000 pèlerins ont cheminé cette année vers la cathédrale de Chartres. Enfants, adolescents, séminaristes, célibataires, religieuses, pères et mères de familles, tous les âges et tous les états de vie se côtoient au sein des chapitres. Grand-mère, Françoise n’a pas hésité longtemps à venir : « La marche ne m’effraie pas, j’adore ça ! » Madame est servie… Car pour franchir en 3 jours ces 104 kilomètres, on marche ! En chantant, en priant, en offrant, en méditant, la colonne s’avance lentement. 1h30 et 1,5 kilomètre séparent la statue qui précède les pèlerins du dernier chapitre.
La foi se nourrit de méditations, de prières, du rosaire auquel se sont ajoutés cette année les mystères lumineux, des sacrements. Combien vont se confesser au fil des kilomètres ! 150 prêtres et religieux sont là pour ça : prêtres diocésains, prêtres de communautés Ecclesia Dei tels ceux de l’Opus Mariae tous de blanc vêtus, les dominicains de la Fraternité St-Vincent-Ferrier, l’Institut du Christ Roi, la Ste-Croix de Riaumont en beige et, version men in black : quelques moines du Barroux, de Fontgombault, sans compter tous les séminaristes présents. Ils sont une soixantaine actuellement en formation au séminaire de Wigratzbad, en Allemagne, et autant à Denton, dans l’Etat du Nebraska au cœur des Etats-Unis. Benoît achève sa deuxième année et se réjouit de la messe du 24 mai : « On a fêté ça au Séminaire ! Une messe tridentine célébrée à Rome, dans une basilique majeure sur un autel papal, c’est un événement historique ! C’est très important pour nous. »
Splendeur de Dieu, manifestée au travers de la liturgie On est frappé par la beauté de cette messe : messe silencieuse, contemplative qui aide à se pénétrer de ce sacrement unique. Célébrée au fond des bois ou dans la cathédrale, quelle ferveur s’en dégage ! Lorsque le prêtre élève lentement l’hostie, et qu’elle apparaît soudain, aux yeux attentifs et aux visages tendus vers elle, le temps semble suspendu. Au moment de la communion, chaque fidèle s’avance et s’agenoue silencieusement le long des allées. Un prêtre, assisté d’un scout qui avance la patène et d’un jeune portant un parapluie aux couleurs papales, fait les allers-retours. Le Christ se déplace, se penche sur chacun et dépose l’hostie avec précaution.
Avec l’excommunication de Mgr Lefebvre est publiée en 1988 la lettre apostolique Ecclesia Dei par laquelle Jean-Paul II demande aux évêques du monde entier de « garantir le respect des justes aspirations » de l’ensemble des fidèles catholiques « qui se sentent liés à certaines formes liturgiques et disciplinaires précédentes de la tradition latine ». Certains évêques hésitent pourtant et continuent d’esquiver la question.
Aussi le Pape a-t-il donné l’exemple par cette messe célébrée dans son diocèse. Le 24 mai, en la basilique patriarcale de Sancta Maria ad Nives, plus connue sous le nom de Sainte Marie Majeure, qui renferme la dépouille de Saint Pie V, est célébrée une messe solennelle selon le rite tridentin. « On ne peut pas considérer que le rite dit de Saint Pie V soit éteint » a rappelé le Cardinal Dario Castrillon-Hoyos, Préfet de la Congrégation pour le clergé et Président de la Commission Ecclesia Dei, dans son homélie. « L'autorité du Saint-Père a exprimé son accueil bienveillant envers les fidèles qui, tout en reconnaissant la légitimité du rite romain renouvelé selon les indications du Concile Vatican II, restent attachés au rite précédent et y trouvent une nourriture spirituelle solide dans leur chemin de sanctification. »
Le Concile Vatican II ne préconise d’ailleurs pas autre chose lorsqu’il affirme que : "...la sainte Mère l'Eglise tient pour égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus, et elle veut qu'à l'avenir ils soient conservés et favorisés de toute façon » (Const. Sacrosanctum Concilium, n°4). Tel est le souhait de ces fidèles de la liturgie tridentine : l'usage du rite romain « traditionnel », tel qu'il était en vigueur dans l'Eglise latine avant la réforme de 1969.
Traditionalistes et missionnaires Guillaume a 19 ans. Elevé au sein d’une famille "tradi", il marche vers Chartres depuis qu’il a 10 ans. Pourquoi revient-il ? C’est pour lui un temps fort de prière qui lui permet de renforcer sa foi. Mais pas seulement. « En venant marcher, je manifeste aussi mon attachement à la tradition de l’Eglise catholique et ma foi dans le destin surnaturel de la France, fille aînée de l’Eglise et éducatrice des peuples. » C’est sa façon à lui, jeune du IIIe millénaire, de s’inscrire dans la longue chaîne qui, de Clovis à aujourd’hui, consacre la France à Dieu. « Mytho ? » « C’est comme la foi, tu ne peux pas l’expliquer. Tu y crois. » Et il y croit. A fond. « Au moment de la communion, dans la cathédrale de Chartres, je me suis mis à pleurer. C’est tellement beau, tellement fort ! »
Si cet attachement identitaire reste l’apanage d’un grand nombre de pèlerins, de plus en plus de personnes qui ne sont pas familières du rite tridentin participent au pèlerinage. On remarque de-ci de-là quelques tee-shirts ou bobs JMJ, des chants de l’Emmanuel. C’est le cas de Caroline qui a découvert la tradition au lycée par une amie. Depuis, ce n’est pas toujours évident, avoue-t-elle en souriant. Elle revient régulièrement au pèlerinage de Pentecôte sans pour autant fréquenter une chapelle de la Fraternité Saint-Pierre au cours de l’année. « J’aime la messe tridentine, je suis saisie par le silence du Canon de la messe qui rend le mystère pour ainsi dire palpable et lui redonne tout sons sens sacré. Mais je ne me retrouve pas à 100% dans ce milieu qui donne parfois l’impression d’évoluer dans un monde parallèle. »
Conscients de cette nouveauté, les responsables de l’organisation ont souhaité voir se répandre un savoir-être afin de dépasser ces différences. "L'apostolat ne consiste pas à courir après les âmes mais à être tels que les âmes courent après nous". L’abbé Pozzetto se reconnaîtrait sans doute dans cette maxime. « Nous essayons d’accueillir les nouveaux venus le plus charitablement possible afin qu’ils puissent dire : "voyez comme ils s'aiment" avant de découvrir nos spécificités comme celle de la liturgie traditionnelle qui est un moyen pour le Règne de Jésus par Marie sur les personnes et toutes les institutions. La finalité du Pèlerinage est tout autre, souligne M. l’Abbé, c’est celle de la Chrétienté ». A la fois retraite « à ciel ouvert », occasion de se poser des questions essentielles et de se décider à suivre le Christ, fort moment spirituel où Jésus par Marie parle à chacun, grand rassemblement annuel de toute la famille « tradi », le pèlerinage se définit avant tout comme « la marche religieuse de tout un peuple », le peuple de France qui supplie le Seigneur de ramener la France à son baptême. De quelle façon la Tradition s’inscrit-elle dans la dynamique de la nouvelle évangélisation ? « "Caritas Christi urget nos ", crions-nous avec l’Apôtre, répond l’Abbé Pozzetto. La Charité du Christ nous envoie annoncer l’immense Amour de Dieu pour tous les hommes et proclamer tous les moyens merveilleux qu’Il nous offre. A nous d’être fidèles et de transmettre aux générations qui viennent la Tradition vivante de l’Eglise ! »
« Quelle joie profonde d'arriver à Notre-Dame de Chartres ! Petits et grands efforts de chaque chapitre sont offerts symboliquement à Dieu par la procession des bannières, accompagnée de grandes bourrasques d'orgue » se souvient Etienne. Les prêtres entrent en procession pour la messe d’envoi célébrée par Monseigneur Fort, Evêque d’Orléans, en présence de Monseigneur Aubertin, Evêque du lieu. Le chant de la promesse, vibrant, résonne sous les voûtes de la cathédrale avant que ne s’élève le cantique à la Vierge : « Chez nous, soyez Reine ! » Oui, Notre-Dame, soyez la Reine de nos cœurs, Reine de nos foyers, Reine de France et du monde !
Stéphanie Combe
**** texte transmis par M. l'abbé François POZZETTO |